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Neil Beloufa, l’art de déjouer les stéréotypes

par Stoyana Gougovska
"Néolibéral" installation de Neil Bélouga. © Aurélien Mole
"Développement durable" installation de Neil Bélouga. © Aurélien Mole
L'artiste Neil Beloufa ©Nanda Gonzague NOPRESS !!
L'artiste Neil Beloufa ©Nanda Gonzague NOPRESS !!
Arts visuels Installation Publié le 14/03/2018
Á 33 ans seulement, Neil Beloufa est incontestablement un artiste majeur de la scène internationale de l’art contemporain. Ses œuvres à l’esprit de controverse sont exposées à Paris, Madrid, Venise, New York, Los Angeles, Shangaï, Téhéran…  Et 2018 débute pour lui avec deux projets d’ampleur, l’exposition "L’ennemi de mon ennemi", actuellement au Palais de Tokyo à Paris, et la sortie de son premier long-métrage "Occidental".

Fils de cinéastes algériens, Neil Beloufa est né en 1985 à Paris. C’est là qu’il vit et travaille toujours aujourd’hui. Il a été formé dans des établissements réputés en France et aux Etats-Unis, parmi lesquels l’École nationale supérieure des beaux-arts et l'École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris, le California Institute of the Arts et à Cooper Union à New York. Connu pour ses installations spectaculaires, mêlant vidéo, sculpture, peinture et technologie, l’artiste s’empare de phénomènes sociétaux et politiques, les failles du capitalisme, la crise du logement, les manipulations du marketing et des médias mainstream, l’autoritarisme soft dans l’art et la société. Des sujets sérieux que Béloufa dénonce toujours par la provocation, mais avec un humour intelligent et une bonne dose d’auto-dérision. Sa ligne de mire c’est confronter son public à ses propres stéréotypes, évoquer les idéologies dans lesquelles chacun fonctionne – que ce soit dans notre rapport avec les autres, ou avec l’art comme discipline – enfin caricaturer ces clichés pour démontrer leur incrédibilité. Ses travaux sont des systèmes autonomes en interactivité avec le spectateur. Un processus valable pour son film Occidental, où ce n’est pas le scénario mais l’échec permanent de la narration qui donne la clé de la compréhension, menant le spectateur à une remise en question de ses propres idées reçues.

 

Des œuvres interactives. Le public a un rôle actif dans le fonctionnement de ses œuvres : « Il y a un jeu qui se joue tout le temps dans mes pièces. Ce qui m’intéresse ce n’est pas l’objet ou l’action qui est filmée, mais la relation qu’on a à elle. C’est une connivence avec le spectateur, et non pas un jeu dans la pièce en elle-même » expliquait Neil Beloufa lors d’une rencontre organisée en mars à la Panacée à Montpellier, devant un public d’étudiants en art. L'une de ses expositions de 2017 porte le titre Développement durable. On y trouve des objets hybrides détournés de leur sens premier : un bar accueillant, qui se révèle être un guichet de douane, des tags politiques en guise de décoration, des cartons de pizza et des cannettes de bière vides, transformés en tableaux, grâce à une résine toxique... La façon qu’a l’artiste de démonter les armes de séduction massive du néo-libéralisme met souvent le spectateur mal à l’aise. Au même moment, des caméras de surveillance renvoient la propre image du spectateur par un logiciel permettant de synchroniser les mouvements, son et images des objets de ses installations avec les réactions du public.

 

Renverser les règles. « La vidéo qui a fait que je suis artiste s’appelle Kempinksi, elle date de 2007 » raconte Beloufa. Son école avait organisé à cette époque un voyage au Mali : « J’avais l’impression qu’il y avait un désir de la part des professeurs de faire des films documentaires paternalistes et j’ai voulu les embêter ». Il a donc demandé aux gens qu’il rencontrait d’imaginer un monde futur pour se moquer d’un film qu’on attendait sur le Mali. Le résultat est un pseudo-documentaire : « J’ai essayé qu’on voie mal la vidéo, avec les fautes de grammaire que génère le projet – c’était une crise d’adolescence. » `

Cette vidéo a finalement été récupérée pour un projet artistique. Beloufa l’a intégrée dans une installation qui n’est pas là pour valoriser le film. Il a utilisé des panneaux en médium, un matériau ultra toxique, pour lui donner un air de grotte archaïque. « J’ai fait un dispositif où on ne voit pas la vidéo, parce que la vidéo c’est une forme autoritaire d’image. Il y a une suspension de la crédibilité et on croit ce qu’on voit. Du coup j’ai trouvé intéressant dans les espaces d’art, de faire en sorte qu’on n’y croit pas. Je rajoute des filtres de distance – des espèces de cadres, d’écrans qui cassent l’image pour que le spectateur puisse avoir un rapport plus libre avec elle. »

 

Art et politique. En 2016 à Cologne en Allemagne, l’équipe de l’artiste a installé l’exposition The Next Tenant, non pas dans un musée mais à l’intérieur d’un appartement de grand standing qui était en vente. L’artiste a demandé à l’agent immobilier d’essayer de vendre l’appartement avec les mêmes arguments que d’habitude, sans mentionner les œuvres d’art qui occupaient l’espace. Les visiteurs venus voir les œuvres d’art étaient scandalisés, fous de rage car, alors qu’ils percevaient ces objets comme une critique de la crise du mal logement, l’agent immobilier leur expliquait que l’appartement coûtait 2 millions d’euros. L’expérience a créé une polémique dans la ville et dans les médias. « La finalité, ce n’est pas la politique, c’est l’art »  dit Neil Beloufa « mais après, ce qui devient politique c’est la façon dont c’est fait, d’où l’argent vient, comment on l’utilise, comment on le distribue, à qui c’est montré et comment c’est reçu. Et l’art en lui-même, c’est de l’art. Il y a une tension liée à ça en permanence. »

 

Recyclage. Beloufa « recycle » souvent ses œuvres – il reprend les mêmes pièces en créant différentes versions en fonction des moyens, de l’endroit, du contexte… Il a remarqué, avec ses expositions à l’international que, bizarrement, ses pièces fonctionnent n’importe où sur terre, éthiquement ou intellectuellement. L’artiste arrive à une conclusion auto-critique « Ce qui est intéressant c’est la figure de l’artiste. Mon travail c’est de l’art, mais ce à quoi il sert, c’est à véhiculer une idéologie de globalisation libérale, que je le veuille ou non, que je le critique ou non. On s’attend que je vienne pour critiquer les mécaniques que quelque part je représente. Et on m’invite jusqu’en Iran pour faire ça. »

 

Après les expositions en galeries, en appartement, dans le désert, des courts métrages expérimentaux, Neil Beloufa élargit son champ d’expression en se dirigeant vers le cinéma avec son premier long-métrage Occidental qui sort dans les salles le 28 mars. En parallèle, l’exposition L’Ennemi de mon ennemi est visible au Palais de Tokyo à Paris jusqu’au 13 mai.

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