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« Nickel » : quand les vogueurs occupent la scène industrielle

par Véronique Giraud
Une scène de
Une scène de "Nickel", pièce mise en scène par Mathilde Delahaye. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 18/01/2020
Il fallait bien la performance de vogueurs* pour redonner sens à la friche industrielle. Avec "Nickel", la metteure en scène Mathilde Delahaye puise dans l'intime d'un passé laborieux pour rendre visibles l'expérimentation de vie en collectivité.

La metteuse en scène, incarnée par un comédien, introduit son spectacle en racontant le processus d’écriture du dernier ouvrier de Nourilsk Nickel. Ses textes et dessins cisèlent sa vie d’ouvrier dans la ville-usine de Russie, surplombée en permanence d'un nuage noir pollué, où chacun vivait de l’extraction minière du cuivre et du nickel.

La description de la ville, les terribles conditions de travail, les conséquences, dramatiques mais niées, sur la santé des travailleurs, sont au centre de ces écrits. Mathilde Delahaye en a extrait un chapitre, qu’elle donne à voir, à lire et à entendre sous forme de monologue. Préambule à une deuxième partie, cette fois co-écrite avec Pauline Haudepin, une suite contemporaine et bien vivante, qui s’exprime en jeu, en danse et en musique.

 

La danse des "vogueurs"*. Que faire d’un lieu longtemps animé des gestes et allées venues de travailleurs, au rythme du bruit des machines ? Que devient un lieu de vies laborieuses qui, pour des raisons économiques, fait soudain silence, soudain est déserté ? Un lieu qui, sans bruits, déshumanisé, se fissure peu à peu, puis tombe en ruine.

Ce vestige de l'industrie peut alors devenir un abri pour squatters, et pourquoi pas un lieu à venir, le Nickel Bar, où échapper aux menaces et aux dangers de la discrimination, où vivre et s’exprimer librement, où créer une nouvelle humanité. Pour l'incarner, Mathilde Delahaye a choisi le mode de vie des vogueurs*, capables de théâtraliser des relations inédites, une féminité exacerbée, et une esthétique singulière de la parole, du corps et de la danse.

 

Au Nickel Bar. La mise en scène de Nickel a quelque chose d'un opéra. La trame d’un rideau de gaze fermant entièrement la scène, et sur lequel défilent en un premier temps les mots et les dessins de l'ouvrier russe, laisse entrevoir comme en un rêve l’intérieur d’une usine désaffectée. Ce décor, peu éclairé, laisse la place au mystère, celui d’un monde interlope où la musique occupe l’espace, où le langage s’invente, où les corps s’expriment en rythme, en liberté, gainés par le défi de la performance.

Le décor, longtemps inanimé, est devenu celui du Nickel Bar, et reprend vie. Une vie dont on découvre des ressorts inconnus, où la souffrance, qui se lit en chacun des corps, est méticuleusement maquillée et habillée avec une extravagance taillée sur mesure. D’étranges rêveries s’expriment au milieu de regards enfin bienveillants. Avec Nickel, se construit un bout d’humanité, à la fois nécessaire et spectaculaire.

 

Nickel, du 16 janvier au 1er Février au Nouveau Théâtre de Montreuil - Centre dramatique national. Mise en scène : Mathilde Delahaye. Texte : Mathilde Delahaye & Pauline Haudepin. Avec : Daphné Biiga Nwanak, Thomas Gonzalez, Keiona Mitchell, Julien Moreau, Snake Ninja, Romain Pageard et la communauté montreuilloise du Nickel Bar. Puis : les 26 & 27 mars au Domaine d'O ) Montpellier. Les 1 & 2 avril au Centre dramatique national Normandie-Rouen. Du 27 avril au 7 mai au Théâtre National de Strasbourg.

 

*Extrait de la note d'intention : "Le voguing est une culture, plus que la désignation d’un style de danse urbaine. Il est né d’une double exclusion: celle de la communauté homosexuelle au sein de la communauté noire, à New-York dans les années 80. Des jeunes personnes racisées, homosexuelles et/ou trans, dans des situations parfois très précaires, se retrouvaient ensemble, inventaient un mode de communauté protectrice et soignante, créaient les conditions pour réinventer leur vie, se redéfinir dans les marges d’un monde où leurs places étaient dangereuses. Réinventer des hiérarchies -les « mothers » des « houses » que l’on se choisit, groupe d’une dizaine de personnes, jouent un rôle social très fort, d’éducation et de protection-, des pronoms, des styles de vie et des modes de fonctionnement inédits qui leur correspondaient."

 

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