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Plongée dans la nébuleuse de l’ultra-droite en Europe

par Pierre Magnetto
Premier roman chez Gallimard dans la collection Série noire.
Premier roman chez Gallimard dans la collection Série noire.
Livre Roman Publié le 26/09/2020
Avec "Le réveil de la bête", Jacques Moulins publie chez Gallimard dans la collection Série noire un premier roman qui alerte sur la résurgence de groupuscules de l’ultra-droite, violents, organisés et dont l’étanchéité avec les partis d’extrême droite qui ont pignon sur rue en Europe reste à démontrer.

La quatrième de couverture est plutôt avare sur la bio de l’auteur. Elle se contente d’un « Jacques Moulins est journaliste. Le réveil de la bête est son premier roman à la Série Noire ». Et encore « à la Série Noire » peut paraître superflu car si l’auteur écrit depuis plus de 40 ans des nouvelles et des romans restés confidentiels, c’est la première fois qu’il est publié et, c’est Chez Gallimard. Pour lever un coin du voile qui entoure la personnalité de l’auteur il faut bien avouer qu’à Naja21 Jacques Moulins n’est pas un inconnu. Il est à la fois co-fondateur et directeur de la rédaction de ce site d’informations dédié à « la création culturelle du XXIe siècle, en mots, en sons, en images et en vidéo ».

 

Une hantise, le retour de l’extrême droite en Europe. À ses yeux, le XXIe siècle pourrait être celui du retour des années noires, noires comme les chemises de la milice mussolinienne, noires comme les uniformes des SS. Depuis plusieurs décennies maintenant l’extrême droite, comme si les leçons de la seconde guerre mondiale avaient été oubliées, fait un retour de plus en plus triomphal sur l’échiquier politique en Europe. Des partis de la droite extrême et populiste sont arrivés au pouvoir au sein de l’Union européenne, ou campent à sa porte : la Fidesz-Union civique hongroise de Victor Orban, le parti droit et justice et son premier ministre Mateusz Morawiecki en Pologne. En Italie Mateo Salvini de la Ligue du Nord, même écarté du pouvoir par son allié du Mouvement 5 étoiles, reste en embuscade. En Autriche le FPÖ a participé depuis la fin des années 90 à diverses coalitions dans des instances régionales. Quand au Rassemblement National en France, il est abonné au second tour des élections présidentielles depuis 2002.

 

Retrouvée égorgée au petit matin. Le contexte politique européen étant planté, ce n’est pas à la partie émergée de l’iceberg que s’intéresse Jacques Moulins. Le réveil de la bête est consacré, sous la forme d’un roman noir, à l’émergence et au développement de groupuscules de l’ultra-droite en Europe. Tout commence par l’assassinat à Paris de Maryam Binebine, retrouvée égorgée dans son appartement au petit matin. Pour une raison que lui seul connaît, le commandant Deniz Salvère de la direction antiterroriste d’Europol à La Haye s’autosaisit de l’affaire, sans même en référer à ses supérieurs hiérarchiques pour qui Europol n’a pas à se mêler d’une affaire qui semble relever d’un drame passionnel concernant la police locale.

 

Premiers pas dans la nébuleuse. Ce qu’on apprendra plus tard, c’est que Maryam est en fait une hackeuse amateure, devenue informatrice d’Europol. Elle a réussi à pénétrer le serveur d’une organisation de l’ultra-droite à Dresde spécialisée à la fois dans le piratage de données personnelles à grande échelle pour dresser des profils de personnes pouvant être recrutées, ou influencées durant les périodes électorales des pays européens. Une autre spécialité de ce groupe, c’est les opérations coup de poing ultra-violentes voire des assassinats dirigés contre les migrants, des personnalités politiques. Et puis il y a toutes les opérations financières douteuses, les transferts de fonds illégaux, qui permettent de financer l’organisation.

 

Milosz le maillon faible Si le livre est au présent, le lecteur pénètre dans cette nébuleuse deux ans plus tôt grâce au slovaque Milosz, habitant d’une cité miteuse de la banlieue de Bratislava. La cité devient un terrain de propagande et de recrutement et Milosz va se laisser entraîner dans un centre opérationnel de l’organisation où il sera formé et affecté au service informatique, avec la promesse d’une vie meilleure, et d’un pouvoir d’achat digne de ce nom.

 

Dissensions chez Europol. L’enquête sera longue, parfois entravée de l’intérieur chez Europol à cause de conflits entre services, entre directrices et directeurs. D’un côté ceux qui réclament davantage de pouvoirs et de prérogatives pour la police européenne face à une criminalité qui s’internationalise, qui ne reconnaît aucune frontière entre les pays membres de l’Union, de l’autre ceux estimant que l’action d’Europol doit s’arrêter là où débute les compétences politiques des pays de l’UE en matière de police et de justice. Finalement, Europol apparaît ici comme une métaphore d’une Union européenne qui a du mal à aller vers davantage d‘intégration, qui se divise sur ses valeurs alors que face aux géants chinois, russes et américains elle est confrontée à un environnement géopolitique inédit, hostile, qui plus que jamais devrait la conduire à intégrer davantage de compétences régaliennes pour sa sécurité, son indépendance économique et politique.

 

Carte postale de Paris la nuit. Enfin, pour ajouter une dernière touche au tableau, comment ne pas évoquer les pérégrinations des personnages dans ce Paris du Xe arrondissement et du canal Saint-Martin, du quartier Oberkampf et de Belleville regorgeant de bistrots, de bars à vin, de caves à jazz. Des quartiers qui ont conservé une part de leur identité populaire, tout en étant inexorablement en cours de gentrification. Comme si les weekends débutaient le vendredi matin, dès le jeudi soir les parisiens entament leur sorties nocturnes souvent bien arrosées, pour le meilleur et pour le pire. Deniz Salvère, lui, va poursuivre sa chasse aux démons de l’ultra-droite dans un prochain volume à venir.

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