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« Politiques du visible », Dorothea Lange au Jeu de Paume

par Véronique Giraud
Dorothea Lange, Migrants mothers, Nipomo, California, 1936.
© The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oakland. Gift of Paul S. Taylor
Dorothea Lange, Migrants mothers, Nipomo, California, 1936. © The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oakland. Gift of Paul S. Taylor
1936, Migrant mother,
Dorothea Lange
© The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oakland. Gift of Paul S. Taylor
1936, Migrant mother, Dorothea Lange © The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oakland. Gift of Paul S. Taylor
Arts visuels Photographie Publié le 24/10/2018
L’œuvre de Dorothea Lange révèle l’engagement social et politique d’une photographe dont l'intime perception de rendre visible l'humain prime sur la commande d'une administration ou de la presse. C'est aussi à sa double qualité, documentaire et artistique, que l'exposition du Jeu de Paume rend hommage du 16 octobre au 27 janvier 2019.

Dorothea Lange a laissé derrière elle plusieurs photographies connues du grand public, comme l'illustre le portrait choisi pour l'affiche de l'exposition. Le musée du Jeu de Paume a choisi de lui rend hommage en se concentrant sur le long travail qu’elle a accompli à des moments cruciaux de l’histoire des États-Unis. Une immense production d’images destinées aux archives des institutions fédérales pour lesquelles elle travaillait.

Nullement découragée lorsque les autorités américaines, pour qui elle documentait la situation des populations rurales, refusaient de financer ses expéditions, Dorothea Lange a parcouru chacun des états fédérés. On la voit expliquer dans le documentaire projeté dans le cadre de l’exposition, qu’en parcourant ces routes de l’exode intérieur, en abordant les fermiers et les migrants, elle prenait toujours le soin de se présenter avant de prendre ses photos, de dire qu’elle avait trois enfants, d’expliquer l’objet de son travail. Il en résulte des portraits d’hommes et de femmes d’une grande dignité, des lieux isolés d’une beauté saisissante, des habitations désolées, abandonnées, squattées. Ce visage de l’Amérique est loin de la belle image que les autorités veulent préserver. L’administration n’a d’ailleurs pas du tout apprécié les prises de vue de Dorothea Lange leur a fait parvenir. Elle qui avait envoyé la photographe pour documenter l’organisation maîtrisée de populations travaillant la terre a récolté des images désolées d’un pays réduit à la misère du chômage, de fermiers chassés de leurs terres par la sécheresse, de métayers déplacés pour mettre en place de nouvelles équipes, d’une population noire, effectuant de longues heures d’un dur labeur dans les champs de tabac pour quelques cents. Et la photographe ne s’est pas privée de fixer l’image d’un cinéma réservé aux noirs, un squatt en proie aux flammes… Il lui fallait rendre compte de la réalité, non pas la suggérer ou la déguiser en fabriquant de belles images.

L’exposition s’articule autour de cinq ensembles de travaux : la période de la Grande Dépression (1932-1934), quand elle se détourne de la photographie de portrait dans son studio de San Francisco pour photographier les stigmates de la dépression dans les rues de la ville, les photographies des populations rurales réalisées pour la Farm Security Administration (1935-1941) qui lui font parcourir le pays d’un État à un autre, les chantiers navals de Richmond (1942-1944) dont l’exposition a sélectionné de lumineux portraits de femmes ouvrières, dont beaucoup étaient afro-américaines, ayant quitté le Sud-Ouest pour trouver du travail en Californie du Sud dans le premier centre de construction navale des Etats-Unis.

L’internement et de la déportation des Américains d’origine japonaise en 1942, le gouvernement américain s’était organisé pour tout se passe loin des regards. Mais Dorothea Lange a suivi pendant des mois les modalités d’expulsion dans les bureaux, l’intégralité du déroulement des opérations. Les gens de San Francisco ont été les premiers déplacés. Elle en a tiré de troublants portraits de ces familles d’Américains qui, après l’attaque de l’armée japonaise de la base navale de Pearl Harbour, ont fait l’objet d’un ordre d’évacuation des États-Unis. On voit des personnes âgées assises dignement sur leurs bagages, des enfants dont le manteau portait des étiquettes d’identification, les familles vivant parquées dans les cabanes d’un des camps d’internement, celui de Mazanar dans la vallée d’Owen. Les visages sont tristes mais résignés, sans exigence. « Les photographies ont été saisies pendant la guerre. Pour les publier il fallait l’autorisation de l’armée. Ils voulaient des archives, mais pas d’archives publiques, et elles ne m’appartenaient pas… » commente la photographe dans un entretien.

Le parcours s’achève avec une vision de la nouvelle représentation légale, celle de l’aide juridictionnelle accordée aux plus démunis. Dorothea Lange est envoyée en 1955 par le magazine Life pour couvrir le sujet dans les locaux du palais de justice du comté d’Alameda, Oakland dans l’optique d’une publication pour mai 1956, à l’occasion la Journée du droit. Autorisée à aller dans les cellules de la prison, dans et autour du tribunal, elle a réalisé quelques 450 photographies, grâce à sa collaboration avec un avocat américain d’origine yougoslave jusqu’en 1957, qui identifie dans la démarche de Dorothea Lange un point de vue social et politique reflétant son engagement personnel. Ce travail ne sera pas en définitive publié par Life…

 

Dorothea Lange, Politiques du visible, exposition du 16 octobre au 27 janvier 2019, Galerie du Jeu de Paume, Place de la Concorde, Paris.

 

Dorothea Nutzhorn (1895-1965) naît à Hoboken, New Jersey, dans une famille d'immigrants allemands de la deuxième génération. À l'âge de dix-huit ans, elle se lance dans la photographie et apprend son métier à New-York, auprès de photographes portraitistes connus. En 1918, elle ouvre son propre studio à San Francisco. Indépendante, elle épouse un peintre célèbre, Maynard Dixon, elle a deux garçons. En 1932, au cœur de la Dépression, elle se détourne du portrait pour se concentrer sur des scènes de rue. S'ensuit une longue carrière marquée par sa conscience de l'importance de la condition humaine.

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