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Pour Arthur Nauzyciel,  » le divertissement a tout contaminé « 

par Véronique Giraud
Arthur Nauzyciel a choisi de mettre en scène La Mouette de Tchekhov. DR
Arthur Nauzyciel a choisi de mettre en scène La Mouette de Tchekhov. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 26/05/2012
Arthur Nauzyciel a mis en scène La Mouette de Tchekhov dans la Cour d’honneur du Palais des Papes pour le festival d’Avignon 2012. Une pièce tout théâtre.

Après les désillusions tragiques du XXe siècle, voyez-vous La Mouette comme un monde des lendemains qui déchantent ?

Oui, absolument. Je pense que c’est très inscrit dans la pièce de Tchekhov, tout comme l’annonce des révolutions à venir qu’on pouvait peut-être pressentir à l’époque. Le fait que Tchekhov écrive la pièce au tournant du siècle, et que nous vivons le passage d’un siècle à un autre, est créateur de grandes angoisses et de grands bilans, plus ou moins conscients. Inhérents à la façon dont on a découpé le temps, ces passages sont très symboliques. Je me demande aussi si le fait que Tchekhov, étant un médecin reconnu mais qui ne se considérait pas comme tel et qui était habité par toutes ces vies qu’il ne pouvait pas sauver, a pesé sur cette pièce. Partagé entre cette amertume et son rapport particulier à la vie et à la mort, entre espérance et désenchantement.

 

Cela repositionne la place du théâtre dans notre société ?

Il y a en effet une ambivalence entre la nécessité et la vanité du théâtre. Il ne reste d’un spectacle que le souvenir des gens qui l’ont vu. C'est présent dans La Mouette. Tchekhov raconte dans sa pièce que le théâtre ne peut rien et, ce faisant, il écrit une très grande pièce. La Mouette est habitée par ce paradoxe : est-ce que l’art, ou la fiction, serait une possibilité de mieux vivre nos vies ? Est-ce que ça pourrait nous aider à vivre ? Dans la pièce, des personnages sont habités par la fiction, l’imaginaire, comme Tréplev ou Macha, et puis Trigorine qui se sert de la vie des autres pour écrire. Au fond est-ce que l’art, le spirituel ne nous sont pas absolument nécessaires ? Jouer dans un lieu aussi emblématique que la Cour d’Honneur me fait espérer qu’on y atteint une certaine universalité, qu’on y touche tout le monde.

 

Votre travail a suscité beaucoup de commentaires, distanciation, élitisme...


Moi j’ai l’impression d’être sans distance. Le travail que nous faisons est très littéral, je demande aux acteurs d’être dans ce qu’ils disent, de l’éprouver. On est habitué à l’effet, au spectaculaire, or notre travail est de faire entendre, débarrassé de tout décorum, l’essence même de cette écriture, son sens mais aussi son rythme, ses répétitions. Cette écriture tourne beaucoup sur elle-même. Au lieu d’« animer », on essaye de rendre compte de quelque chose.

Qui parle d’élitisme ? En regard de ce qui est fait au sein du CND d’Orléans et des autres centres dramatiques, politique de prix, accompagnement, formation... ça n’a pas de sens. En regard du besoin des spectateurs d’être pris au sérieux, il y a peut-être tentative d’élitisme de La Mouette : se dire que les gens n’ont pas tous envie d’un théâtre de divertissement et sont prêts à accéder à des propositions d’une certaine exigence.

 

Un théâtre de divertissement ?

Je pense que les gens ont besoin d’un théâtre d’art, comme on le trouve dans la plupart des théâtres nationaux, alors que le divertissement est partout, a tout contaminé. Je voyage beaucoup, je travaille parfois dans des pays où il n’y a pas d’argent pour l’art et la culture.

On veut construire une démocratie saine et éveillée, dont on préserve le capital physique et moral par l’éducation, la santé et la culture. C’est important. Or, de la même façon qu’on défendrait une école publique, un hôpital public, on devrait défendre une culture publique qui, n’étant pas assujettie au rendement, devrait être un art questionnant, qui aide les gens à grandir, à penser. Les moyens mis à notre disposition dans les centres dramatiques sont là pour ça. C’est ce qui est fait à travers les opérations de formation, de sensibilisation, d’accompagnement, de stages. Pour donner des clés au public. Il faut soutenir ce service public. Dans une époque d’impatience et de dématérialisation, je pense que le théâtre peut produire beaucoup en terme de rencontres dans une même salle et de temps passé à écouter.

 

Bio :

Formé par Antoine Vitez, Arthur Nauzyciel réalise sa première mise en scène en 1999. Il dirige depuis 2007 le Centre national dramatique d’Orléans. Son adaptation de La Mouette sera reprise en octobre à Bordeaux, Clermont- Ferrand, Tarbes. Puis en 2013 à Valenciennes, Vire, Reims, Saint-Quentin en Yvelines, Nice, Lorient et Créteil.

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