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Salzbourg : le festival fait de la résistance

par Jacques Mucchielli
Le festival ouvre donc ses portes samedi 1er août avec, comme chaque année depuis cent ans,
Le festival ouvre donc ses portes samedi 1er août avec, comme chaque année depuis cent ans, "Jedermann" d’Hugo von Hofmansthal. ©Mucchielli/NAJA
Herbert von Karajan fait ses débuts à la Festspiele en 1933 et règnera en maître absolu jusqu’à son décès en 1989. Ici sa statue sur les rives de la Salzach. © Rivaud/Naja
Herbert von Karajan fait ses débuts à la Festspiele en 1933 et règnera en maître absolu jusqu’à son décès en 1989. Ici sa statue sur les rives de la Salzach. © Rivaud/Naja
Le plus grand festival de musique classique au monde fête son centenaire en pleine crise sanitaire. © Rivaud/Naja
Le plus grand festival de musique classique au monde fête son centenaire en pleine crise sanitaire. © Rivaud/Naja
Publié le 01/08/2020
La Salzburger Festspiele fête son centenaire. L’édition s’ouvre ce samedi 1er août malgré la crise sanitaire, mais la programmation est réduite à 34 spectacles, dont deux opéras seulement, au lieu des 222 annoncés. Retour sur un des plus grands festivals de musique bousculé par l’histoire.

La ville n’a rien perdu de ses airs bourgeois et conservateurs si cruellement décrits par un de ses habitants, l’écrivain et homme de théâtre Thomas Bernhardt. Elle semble n’en avoir cure, cultivant à l’excès ces petits riens qui font l’atmosphère bourgeoise, les petites rues baroques propres et tranquilles, les fleurs aux balcons et dans les jardins publics, les grosses limousines et les habits du Tyrol que femmes et hommes portent encore comme pour rappeler qu’ici l’ordre et la tradition règnent en maîtres. Salzbourg peut s’enorgueillir d’avoir vu naître plus d’un génie et n’a pas scrupule à honorer aujourd’hui celui qu’elle ignorait hier. A commencer par le plus célèbre d’entre eux, Wolfgang Amadeus Mozart. La Salzburger Festspiele a été créée il y a cent ans pour lui rendre hommage.

 

Un des premiers festivals en Europe. L’idée de dédier la saison d’été à la musique n’était pas une nouveauté en 1920. En France, la ville d’Orange avait créé son festival, qui prendra le nom de Chorégies en 1869. Mais il s’agissait plus d’animer l’été par des spectacles de théâtre et de musique que de créer un rendez-vous annuel à l’esthétique affirmée et producteur de ses propres spectacles. Wagner aura cette ambition en 1876 à Bayreuth, un théâtre qu’il avait lui-même conçu pour donner ses opéras dont il compose musique et livret et assume la direction musicale et théâtrale.

Lançant sa première édition en 1913, le festival des Arènes de Vérone sera moins tourné vers une seule œuvre, même si Giuseppe Verdi y est admirablement servi.

Cinq ans plus tard, deux Autrichiens, le metteur en scène Max Reinhardt et l’écrivain et librettiste Hugo von Hofmannsthal, vont avoir ensemble l’idée d’un festival qui mêlerait théâtre et opéra. Quel meilleur lieu que la ville de Mozart ? Deux ans après, le 22 août 1920, la première du festival se tient sur des tréteaux et des gradins montés sur le parvis de la cathédrale. En ouverture est donnée la célèbre pièce d’Hofmannsthal, Jedermann que Reinhardt avait monté à Vienne en 1911. Elle est depuis représentée chaque année en ouverture de la Festspiele.

Il faudra attendre 1922 pour que Mozart prenne sa place avec pas moins de quatre opéras. Richard Strauss, qui a appuyé la création du festival, s’imposera comme le second compositeur d’art lyrique. Le succès du festival est tel qu’un palais spécifique est construit dès 1925.

 

La férule nazie. Lorsque Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, le festival va accueillir les artistes que le nouveau Reich rebute, à l’image d’Arturo Toscanini, antifasciste convaincu, qui a annulé sa participation à Bayreuth. Cette même année un jeune chef d’orchestre prometteur, que les nazis ne dérangent pas, fait son entrée dans le festival qu’il dirigera par la suite jusqu’à sa mort : Herbert von Karajan. Lorsque les armées du Reich envahissent l’Autriche, les artistes juifs, dont le fondateur Max Reinhardt et le chef d’orchestre Bruno Walter, s’exilent aux États-Unis accompagnés par Toscanini.

Natif de Salzbourg, le jeune Karajan connaît déjà sa valeur. Mais dans la sphère allemande, le chef Wilhem Furtwängler est omniprésent. Il dirige l’Orchestre philharmonique de Berlin et Karajan passe en second. Leur concurrence prend une tournure plus politique quand l’un se voit soutenu par Goebbels alors que l’autre l’est par Goering. Karajan, qui dirige toujours sans partition, commet une erreur lors d’un concert où Hitler en personne s’était déplacé. Le Führer furieux tranche la querelle en faveur de Furtwängler. Une fois les deux hommes « dénazifiés » par des alliés peu regardant, la concurrence reprend.

 

La lutte de pouvoir entre Karajan et Furtwängler. Après un moment d’incertitude où les autorités octroient à Bertolt Brecht la nationalité autrichienne en 1947 pour qu’il puisse diriger le festival, ce qui ne se fera pas, l’époque est à la lutte de pouvoir entre Karajan er Furtwängler. Ce dernier, fort de ses succès publics notamment à Berlin, parvient à écarter Karajan et donnera au festival une renommée internationale qui attire les mélomanes du monde entier et fait de Salzbourg un lieu d’excellence. Lorsque Furtwängler décède en 1954, Herbert von Karajan lui succède à la direction de l’Orchestre philharmonique de Berlin et à celle de la Salzburger Festspiele.

Maître absolu, Karajan veille sur tout et ne dépareille pas de l’humeur autrichienne d’après-guerre. Il maintient la haute exigence musicale du festival, et en fait sans conteste le premier festival de musique classique au monde, suivi, mais de loin, par Aix-en-Provence.

Sous la direction de Karajan, Salzbourg brille de mille feux, mais la démocratisation qui touche déjà ses concurrents, n’est pas au rendez-vous des années 80. La programmation est soumise à un conformisme désolant. On vient à Salzbourg retrouver la copie minutieuse de ce que l’on a déjà vu et entendu. Toute nouveauté agace. Si l’excellence musicale est au rendez-vous, grâce au chef et aux ensembles musicaux de renom, la Festspiele finit par passer à côté du renouveau artistique qui anime alors les planches en Europe. Le public vieillit, les mises en scène se figent, la direction musicale écrase tout. Ce n’est qu’après la disparition, en 1989, de l’homme qui règne sur la musique et l’édition allemande (Karajan détient le record d’enregistrements) que la Festspiele se renouvelle avec l’arrivée de Gérard Mortier, directeur du théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles, un des lieux en Europe où la production fait appel à de nouveaux chefs et des metteurs en scène qui valorisent le sens de l’œuvre.

Le public est vite partagé entre amoureux de la nouveauté qui respirent enfin, et tenants de la tradition qui crient au scandale. Malgré les embûches semées par le clan Karajan, le directeur artistique tiendra bon dix ans durant, réussissant à faire entrer les contemporains, dont Pierre Boulez, dans le répertoire. Avant de laisser sa place en 2001, il monte une Chauve-Souris de Strauss qui créera le scandale. Son successeur, le compositeur Peter Ruzicka, a la lourde charge de préparer pour 2006 le deux-cent cinquantième anniversaire de Mozart où le festival donnera l’intégralité de ses vingt-deux opéras. Le directeur actuel, le pianiste Markus Hinterhaüser, poursuit la voie avant-gardiste initiée par Gérard Mortier, même si le festival a gardé ses habitudes bourgeoises, les tenues de soirée traditionnelles, et un prix des places qui préserve à la manifestation son élitisme.

 

Le festival résiste à tout, même au Covid-19. Avec un tel passé, la Festspiele n’allait pas se laisser impressionner par un virus de rien du tout. Le festival ouvre donc ses portes aujourd’hui samedi 1er août avec, comme chaque année depuis cent ans, Jedermann d’Hugo von Hofmansthal. Le programme est, il est vrai, réduit. Deux opéras seulement à la place des dix qui avaient été prévus pour cette édition du centenaire. Elektra de Richard Strauss se jouera dans une mise en scène attendue du maître du théâtre polonais Krysztof Warlinowski, sous une direction musicale de Franz Welser-Möst. Cosi fan tutte de Mozart, mis en scène par Christof Loy et dirigé par Joana Mallwitz, occupera les Grosses Festspielhaus dans une version raccourcie et sans entracte.

Les divas Sonya Yoncheva, Anna Netrebko et Cecilia Bartoli assureront les récitals lyriques, Grigory Sokolov, Arcadi Volodos, Daniel Barenboim, Martha Argerich, Renaud Capuçon Andreas Schiff et Danii Trifonov ceux de piano. Plusieurs concerts symphoniques et l’intégrale des 32 sonates de Beethoven complètent ce programme qui ne s’étendra pas au-delà du mois d’août. 34 spectacles sont ainsi programmés pour cette année si particulière.

Pour respecter les règles sanitaires, la jauge des spectacles est limitée à 1 000 personnes. De ce fait, le festival n’accueillera cette année que 76 000 spectateurs. Trois fois moins que l’an dernier et quatre fois moins qu’en 2013, année de tous les records.

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