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Silvio, le nouveau chef d’œuvre de Paolo Sorrentino

par Jacques Moulins
Toni Servillo, fabuleux Berlusconi dans
Toni Servillo, fabuleux Berlusconi dans "Silvio et les autres" de Paolo Sorrentino. DR
Ricardo Scamarcio dans
Ricardo Scamarcio dans "Silvio et les autres" de Paolo Sorrentino. DR
Cinéma Film Publié le 30/10/2018
"Silvio et les autres", le nouveau film de Paolo Sorrentino, nous emporte à la fois dans une époque déjà révolue, une histoire de l’Italie et de sa culture, face à un homme de spectacle et de pouvoir, Silvio Berlusconi. Interprété par le magnifique Toni Servillo.

Il est las. Il s’ennuie. Un de ses associés vient alors lui remonter le moral. Bien sûr qu’il peut reprendre le pouvoir. Quel est le problème ? Six voix de sénateurs. « Achète-les ». Pas difficile pour Silvio « Tu es le plus grand vendeur de l’Italie ». Et voilà notre Silvio tout revigoré. S’ensuit une scène d’anthologie où le Cavaliere appelle une inconnue pour lui vendre un appartement imaginaire selon des techniques plus efficaces que celle de toutes les écoles de commerce réunies. Rassuré sur son « pouvoir de vendre », Silvio repart à la conquête de l’Italie. Silvio et les autres, le dernier long-métrage de Paolo Sorrentino n’est pas un biopic. Ni un documentaire, ni un pamphlet politique, ni un ouvrage historique. C’est un film. « À la différence de l’information, qui joue toujours plus sur les émotions et l’énervement, je pense qu’un film, un livre, sont les derniers avant-postes de la compréhension » explique le réalisateur. Sorrentino a donc « essayé de comprendre », à la fois une époque déjà révolue, une histoire de l’Italie et de sa culture, et un homme de spectacle et de pouvoir, Silvio Berlusconi.

 

Un film italien. Pour ce faire, il lui fallait un acteur gigantesque. Toni Servillo. Les deux Napolitains en sont à leur cinquième film commun. Des films italiens nourris de près d’un siècle de cinéma péninsulaire. Rossi, Monicelli, Risi, Fellini… Ils sont tous là, dans un plan, une scène, un personnage. Quoi de plus fellinien que cette immense grue plongeant dans les entrailles de l’église d’Aquila, détruite par un des plus terribles tremblement de terre qu’ait connu l’Italie, pour en extraire le Christ d’une Pieta ? De même pour les personnages, comme le dit Toni Servillo à propos de Sergio qu'interprète Riccardo Scamarcio : « C’est le fils des anti-héros de Gassman, Tognazzi et Sordi, c’est le dernier rejeton de la comédie à l’italienne ». C’est sur cet « Italien ignorant qui vient de sa province profonde » que commence le film. Ce fils d’entrepreneur de travaux publics qui n’a pas l’honnêteté de son père est fasciné par l’argent facile et va tout faire pour rencontrer celui qui en est le pur symbole, Silvio, toujours dénommé Lui. Il va en user comme avec les élus de sa commune, en fournissant des filles. Nous sommes dès lors de plein pied dans les années bling-bling avec ce personnage comique qui, bien sûr, n’est pas à la hauteur. Mais l’écran est déjà plein de bimbos qui dansent au bord de la piscine. Avec leur plastique digne des télés berlusconniennes, elles nous trompent. Il ne s’agit que d’un cercle périphérique, une manière pour Sergio, mais pour le spectateur aussi, d’approcher le président du Conseil. Ce dernier, pendant ce temps, apprend à son petit-fils que la vérité c’est ce que l’on réussit à faire croire. Le contresens est flagrant, un grand-père assis calmement avec son petit-fils, une scène hyper décibellique où se trémoussent les bimbos. La contradiction entre en scène avec le Cavaliere.

 

La politique du spectacle. Paolo Sorrentino avait déjà filmé le pouvoir suprême en 2008, dans son impressionnant Il Divo où Toni Servillo composait à l’extrême le personnage renfermé mais avide de pouvoir du peu brillant Giulio Andreotti, arrivé à la présidence du Conseil suite à l’assassinat de son chef Aldo Moro par les Brigades rouges. C’était la politique d’une autre époque, les hommes de pouvoir « représentaient d’autres mystères, parce qu’on ne pouvait les approcher ». On parlait alors de « désincarnation du pouvoir » explique Sorrentino. Berlusconi, c’est l’inverse. Une génération où le spectacle gouverne l’apparence publique de l’homme politique. C’est l’époque où des acteurs et des hommes de média sont élus présidents à la suite de Reagan aux États-Unis. C’est l’époque où l’homme politique se met en scène, devient people, intègre la jet-society. Berlusconi parle sans cesse de lui, donne des récitals, envoie à chaque italien un roman-photo de sa vie. « C’est ce qui fait de lui un symbole » poursuit Sorrentino. Or, un symbole « à la différence d’un être humain ordinaire, appartient à tout le monde. Et donc, en ce sens, il représente aussi une partie de tous les Italiens ». C’est cela que filme le réalisateur de Youth (son film précédent). Le film ne dénonce pas, ne révèle pas, n’enfonce pas, il parle de l’Italie et du mystère que représentent ses habitants, séduits par la nouveauté de Silvio et le rejetant profondément, comme finit par le faire son épouse, Veronica (interprétée par Elena Sofia Ricci) toujours en procès contre lui. La scène de leur séparation est là encore une scène d’anthologie. Elle ne montre rien, si ce n’est la profonde contradiction d’êtres humains. Ajoutez à cela des plans et des mouvements de caméra qui savent faire partie du sujet, des scènes qui se suivent et se chevauchent avec allégresse, et vous aurez un nouveau chef d’œuvre signé d’un couple acteur/réalisateur toujours gagnant, à qui l’on doit entre autres La Grande Bellazza.

 

Silvio et les autres, film franco-italien de Paolo Sorrentino. Sur les écrans le 31 octobre 2018. Avec Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio, Kasia Smutniak, Euridice Axen, Fabrizio Bentivoglio.

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