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Mot de passe oublié ?L’histoire de la République de Turquie est marquée autant par le talent de ses artistes, poètes et écrivains que par de cruelles tragédies mettant à mal la liberté d’expression, la confiance dans un système de gouvernance, et s’inscrivent au plus profond de la mémoire collective contemporaine. L’une de ces tragédies s’est soldée par la mort de trente-sept intellectuels qui s’étaient donnés rendez-vous pour rendre hommage à un poète et philosophe du XVIe siècle, Pir Sultan Abdal, figure emblématique dans les milieux progressistes de gauche. C’était le 2 juillet 1993, dans la ville de Sivas.
Genco Erkal, metteur en scène et comédien de renom, a fait renaître cet événement qui l’a bouleversé en le portant sur les scènes des théâtres de Turquie en 2007-2008. À cette fin, il a collecté des témoignages, des enregistrements, et surtout de très nombreuses archives policières, journalistiques et judiciaires retraçant le déroulement d’une tragédie qui aura duré une journée entière, en présence d’une foule grossissante, encouragée par les messages délivrés dans les mosquées, devant des forces de police imperturbables, pour s’achever dans la soirée avec l’incendie de l’hôtel où les participants se retrouvèrent piégés. La pièce qui en a émergé, Sivas’93, a d’autant plus de force qu’elle est construite sur des éléments factuels, et avec des dialogues qui ravivent l'incompréhension et l’impuissance de ces femmes et de ces hommes condamnés, parce qu’ils se croyaient libres de penser, par une foule en colère, soutenue par les autorités du moment. La cible de ce lynchage collectif fut Aziz Nesin, écrivain engagé et surtout traducteur des Versets sataniques de Salman Rushdie.
Selin Atiparmak n’avait que huit ans lorsque l’événement s’est produit. Elle se souvient de l’émotion de ses parents horrifiés devant les images de la télévision, de sa mère répétant : « Ils les brûlent ! Ils les brûlent ! ». Passionnée depuis toujours par le théâtre, elle a choisi d’étudier en France, à Montpellier puis au Théâtre National de Strasbourg, a joué entre autre avec Sedef Ecer, la plus connue des dramaturges turques dans l'hexagone. Elle a traduit en français le texte de Genco Erkal et, avec cinq autres comédiens, l'a présenté au public du Théâtre Ouvert, centre national des dramaturgies contemporaines, venu découvrir les textes, pour la plupart inédits, au programme de son 5ème festival Focus, organisé du 21 au 30 novembre.
Le public aurait sans doute préféré voir et entendre un théâtre de Turquie plus joyeux. Mais le théâtre est une fiction du contemporain, et le texte poignant de Genco Erkal, dont la lecture était interprétée avec une grande ferveur par Selin Atiparmak, Romain Berger, Lucas Bonnifait, Sedef Ecer, Tatiana Spivakova et Sarah Tick, a une force de conviction liée à la réalité qu’il véhicule, celle des violences d'une population qui élira en mars 2003 Recep Tayyip Erdogan.
Sivas'93 : texte traduit avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre International de la traduction théâtrale. À paraître aux éditions l'Espace d'un instant / Maison d'Europe et d'Orient.