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Thomas Jolly électrise le théâtre en « Richard III »

par Jacques Moulins
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Avec "Richard III", Thomas Jolly achève sa lecture époustouflante de la Guerre des deux Roses. © DR
Arts vivants Théâtre Publié le 10/11/2015
Après son succès avec Henri VI, Thomas Jolly poursuit sa conquête de Shakespeare. Sa création de Richard III, faite à Rennes, poursuivie à Martigues, désormais en tournée nationale, est vivante, électrique, spectaculaire.

En avril dernier, encore dans l’élan de son succès en Avignon avec l’intégrale d’Henry VI, Thomas Jolly annonçait dans les pages de Naja21 n’en avoir pas fini avec Shakespeare : « Henry VI achèvera sa tournée en juin pour la reprendre en 2016. Et à l’automne, je monte Richard III ».

Ce qui fut fait. La première a eu lieu au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 2 octobre, mais c’est dans le vaste et très efficace Théâtre des Salins de Martigues que nous avons choisi de voir cet opus très attendu, avant la tournée nationale qui s’installera pour plus d’un mois à l’Odéon en janvier.

Thomas Jolly ne faiblit pas, ne dément pas le propos entamé avec Henry VI, n’abandonne pas le théâtre populaire. Il a dans la tête qu’une pièce de Shakespeare n’est ni un joyau en perdition, ni une œuvre sacrée dont les interprétations, à l’image des exégèses religieuses, demandent une infinité de précautions érudites. Il fait du théâtre vivant, bouillonnant, spectaculaire. Il fait rire, il fait trembler, il fait saliver. Les bouches des plus jeunes restent ouvertes par le suspens et l’intelligence des plus avertis en oublie le texte pour le redécouvrir.

 

Un roi mégalo et malin. Richard III est un roi madré, séducteur, aussi cruel qu’un dictateur contemporain, avide de revanche sur le ciel et la nature qui lui ont infligé ces difformités au siècle où la communication d’un roi le veut guerroyant avec panache et gouvernant avec superbe. Fourbe, déloyal, nulle qualité ne lui est connue, nulle traîtrise ne le rebute. Il est l’inventeur de la promesse jamais tenue, de la trahison de l’ami de trente ans, de la défiance envers ses proches, de la femme comme reconnaissance de pouvoir. Si l’on s’en tient à la France, le Mitterrand de l’Observatoire, le Sarkozy de 2005, le DSK de New-York. Il concurrence Machiavel dans l’invention de l’homme d’État moderne.

Une telle épopée, proche de Games of Thrones ou de House of Cards, a quelque chose de la série, c’est du moins ce qu’en pense Thomas Jolly. Le metteur en scène n’entend donc rien supprimer au texte originel. Ici, peu de raccourcis, peu de suppressions de personnages, pas même l’ignorance de ce qui fait le sous-titre de la pièce « le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth ». Thomas Jolly veut tout montrer, dans une débauche de lumières, de sons et d’acteurs. Grâce à son immense troupe La Piccola Familia. C’est bel et bien le récit qui l’intéresse, sans rien en omettre, sans rien en éluder. Il le mène jusqu’au bout sans férir.

 

Une mise en scène redoutable. Le jeune metteur en scène de 34 ans ne cède pas pour autant au facile, à l’effet reconnu. Shakespeare (dans l’excellente traduction que réalise depuis des années Jean-Michel Déprats pour l’édition complète et bilingue des œuvres du dramaturge élisabéthain de La Pléiade) possède à la fois l’art du raccourci et celui de la réplique. Thomas Jolly sait les mettre en valeur, les gourmander pour le plaisir plébéien du public. Son interprétation de Richard, une véritable prouesse qui le met en scène quatre heures durant, est éloquente, son corps expressément parlant, sa diction souveraine, son costume, dû à l'artiste taxidermiste Sylvain Wavrant, époustouflant. Et sa vitalité nécessaire.

Sa mise en scène se nourrit de toutes les inventions de la scène contemporaine, tant sur le plan des décors, des lumières, des concerts rocks, des sons et des images, que du jeu des acteurs. La reine Elizabeth, avide de pouvoirs mais humiliée et privée, par sombres assassinats, de son mari et de ses fils, prend une singulière distance avec son rôle qui restitue à la fois cette avidité contrariée et ces outrages minimisés. La reine Anne grossit ses émotions sans grossièreté, comme s’il ne lui restait que ce cri permanent de douleur face à l’ignominie du sort. Quant à la reine Marguerite, qui lance la malédiction frappant tous les personnages, elle déclame avec la hardiesse décomplexée d’une intriguante déboutée sa détestation des Yorks et des Lancaster.

Les difficultés d’un texte qui alterne poésie complexe, vulgarités et redondances deviennent alors des merveilles de concision et de diversités, percutantes, éprouvantes, intelligentes. Enfin les décors, faits d’escalier et d’échafaudages en perpétuels mouvements sur un plateau vide seulement structuré par les lumières, garantissent le rythme rapide et la profondeur de l’action.

 

 

Richard III en tournée, mise en scène Thomas Jolly, Cie La Piccola Familia. Créé le 2 octobre 2015 au Théâtre National de Bretagne, (Rennes). En tournée nationale : Scène nationale de Martigues les 5 et 6 novembre ; Odéon Théâtre de l'Europe du 6 janvier au 13 février ; Scène Nationale Evreux-Louviers le 26 février ; L'Onde à Vélizy-Villacoublay les 18 et 19 mars ; Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie les 24 et 25 mars ; Théâtre Liberté à Toulon les 31 mars et 1 avril ; Théâtre National de Toulouse du 6 au 10 avril ; Les Célestins à Lyon du 17 au 20 mai et Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper les 25 et 26 mai.

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