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Thomas Jolly : « Je veux revenir à l’origine du théâtre »

par Véronique Giraud
Thomas Jolly, 32 ans, est auteur, comédien et metteur en scène.Ila fondé la Compagnie La Piccola Familia. DR
Thomas Jolly, 32 ans, est auteur, comédien et metteur en scène.Ila fondé la Compagnie La Piccola Familia. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 21/09/2014
Thomas Jolly a rencontré le succès au festival d’Avignon avec la trilogie de Shakespeare Henry VI. Le metteur en scène et comédien défend une vision nouvelle du théâtre, après un XXe siècle « ardu » pour lui.

Vous avez créé l’événement à Avignon. Comment fait-on pour séduire un public pendant 18 heures ?

A notre époque de vitesse et d’immédiateté, le plaisir de la durée, de la divagation, du temps passé à se saisir d’une œuvre d’art, est mis de côté. Or ce qui est très étonnant et presque émouvant, c’est que pour Henry VI, joué en 4, 8 ou parfois 18 heures, le public réserve d’abord pour l’intégrale. C’est un signe d’une volonté de nouveaux formats, de traverser une aventure au long cours. Et les spectateurs le font d’eux-mêmes. Une fois que les gens sont assis, je ne peux pas nier qu’il y a une petite appréhension palpable.

Mais, conscient que beaucoup de gens ne vont pas au théâtre, que d’autres se disent découragés par la longueur, j’ai mis en place plusieurs outils. A côté du gros Henry VI, nous avons inventé H6m2, un spectacle théâtral de 45 mn résumant les huit premières heures d’Henry VI, sur 6 m2 et avec 4 acteurs. Très mobile, il peut être présenté partout, écoles, bibliothèques, places de marché, salles des fêtes, sur tous les territoires à l’écart. Ce format est une forme d’efficacité : la première appréhension se lève et la rencontre avec les acteurs rend curieux de voir la grande forme. L’histoire, très résumée, lève aussi les craintes de compréhension. J’ai la volonté très forte de reconquérir les publics, car ils sont à reconquérir.

Le deuxième outil, c’est le texte de Shakespeare. Poétique et romantique, mais aussi populaire et accessible, il emprunte des expressions de la paysannerie. Je dois beaucoup à la traduction de Line Cottegnies, qui prend garde à la poésie mais aussi au matériau scénique et théâtral. On a l’impression d’une langue ampoulée, un peu pompeuse, archaïque, alors qu’au contraire il savait parler à tous, c’est sa grande force. Avec beaucoup d’images, très universelles. Moi je pose cet objet dans le XXIe siècle, avec un objectif de clarté absolue, de simplicité. L’histoire est complexe, il y a beaucoup de personnages, beaucoup d’intrigues. Pourtant le théâtre élisabéthain et Shakespeare offrent la possibilité de raconter, avec une grande simplicité de moyens, l’intégralité de la généalogie des rois d’Angleterre.

Troisième petit outil, j’ai copié le modèle des feuilletons, des séries télévisées, pour monter mon spectacle, imitant l’art de Shakespeare de maintenir les spectateurs en haleine. J’en use pour susciter la curiosité, et un peu de frustration à chaque entracte. Tous ces outils maintiennent le spectateur assis pendant 18 heures.

Vous vous êtes attaché à rendre à Shakespeare l’aspect populaire de son théâtre.

Le théâtre élisabéthain est populaire. Très marchand, très stratégique aussi. La volonté esthétique s’associait alors à une impérieuse nécessité économique. Ce théâtre était très concurrencé à l’époque où Shakespeare s’est mis à écrire et il fallait inventer des formats pour tenir le spectateur, qui était debout. Notre rapport d’aujourd’hui au théâtre est très poli, le spectateur est assis dans le noir, silencieux. Le théâtre élisabéthain se jouait en plein jour, les spectateurs exultaient, applaudissaient, riaient très fort, huaient, ils continuaient leur vie devant l’art. Certaines cultures aujourd’hui sont beaucoup moins polies devant l’art qu’en Europe. Je pense que l’art suscite la réaction immédiate, celle de notre humanité. C’était une erreur d’éteindre la lumière dans les théâtres. Même si on peut rendre des choses très belles en lumière, cette sorte d’annulation du public est contre nature. Le public a toujours été visible pendant plus de 2000 ans. D’un côté, le théâtre a du se réinventer, de l’autre il est immuable.

En fait, le XXe siècle a été ardu pour le théâtre : le noir dans la salle, l’invention du metteur en scène directeur de l’acteur et de l’action, l’invention du cinéma, de la vidéo, du web, etc. Le théâtre a du lutter. Pour moi, il est pertinent quand il revient à ses fondamentaux qui sont le rapport au public, le rapport des vivants face aux vivants, le rapport à la grande popularité des écritures, qu’elles soient ardues ou pas. La vidéo ne m’intéresse pas, on en a fait le tour, projection sur les acteurs, sur le fond. Parfois très pertinente, elle n’a pas remplacé le rapport de l’acteur vivant avec le public, c’est juste une dramaturgie supplémentaire. Et moi je veux revenir à l’origine du théâtre, le réinterroger.

Est-on en train d’inventer un théâtre du XXIe siècle ?

Le théâtre est très vieux, par rapport au cinéma, à la musique électronique, à l’art contemporain. Archaïque, il s’appuie sur de vieilles recettes. Or depuis les grottes de Lascaux, l’homme a besoin de récit, de mythes fondateurs. Notre époque est à Harry Potter, au Seigneur des anneaux, à Twilight. Et Henry VI est l’un de ces récits, racontant tout le XVe siècle à bien des égards exemplaire à notre XXIe siècle. Le public veut revenir au théâtre, écouter du récit.

J’ai l’impression que les formats les plus anciens du théâtre sont toujours très vivaces, concernent toujours le spectateur. Ce qui est étonnant, c’est d’y revenir aujourd’hui. Je n’utilise ni vidéo, ni micro, aucune nouvelle technologie. Le théâtre se renouvelle dans son esthétique : nouvelles langues, nouvelle façon de raconter les histoires. Si notre accès à la narration n’est plus le même, on a toujours besoin de se réunir dans un théâtre pour voir une forme, qu’elle quelle soit. Ce format ne pourra jamais changer, c’est sûr. D’ailleurs il aurait pu changer mille fois. Avec nos inventions, nos évolutions, techniques, philosophiques, culturelles, politiques, religieuses… Le théâtre après 2000 ans est toujours cet endroit où les gens viennent écouter des vivants qui parlent à d’autres. Ce concentré d’humanité ne pourra jamais être dépassé.

Vos projets : la tournée de Henry VI dans laquelle vous êtes aussi comédien, associé au Théâtre national de Strasbourg dont Stanislas Nordey est devenu directeur, du cinéma ?

La captation de Henry VI pour la télévision a suscité en moi des émotions nouvelles. Voir le visage de l’acteur de si près, voir se réinventer le rapport du public à mon propre spectacle a été une vraie découverte. Je suis en plein montage du DVD de la pièce qui devrait sortir à l’automne et je trouve cela passionnant. Peut-être inventer un cinéma de format hybride, c’est-à-dire comment le théâtre peut influencer le cinéma, composer avec lui, trouver des liens. J’ai des projets, encore flous, de créer une forme de suite à Henry VI. Pourquoi pas essayer d’en faire une série télévisée ? En tout cas, il y a un désir.

Il y a aussi la tournée d’Henry VI, qui débute le 1er octobre au Théâtre national de Toulouse. J’ai aussi passé commande à deux auteurs contemporains, Manon Thorel et Damien Gabriac, qui jouent tous les deux dans Henry VI. Ce qui me plait chez Shakespeare c’est qu’il connaissait toutes les facettes du théâtre et il me semble important que les textes de théâtre soient écrits par des gens qui connaissent le plateau concrètement. Deux textes donc, peut-être aussi un texte pour enfants, un public qui n’est pas policé et qu’il m’intéresse d’accompagner.

J’ai aussi le projet de revenir à des textes plus anciens encore, des auteurs qui ont inspiré Shakespeare, je pense à des Grecs, pourquoi pas des Romains aussi. Des textes du théâtre antique pour continuer à interroger ce qui fait le fondement de nos sociétés et de l’être humain, comment il fonctionne dans ce monde.

 

Infos pratiques

Henry VI à l’Odéon-Théâtre de l’Europe du 2 au 17 mai à 14h.

Le texte Henry VI est édité à l’avant-scène théâtre.

 

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