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« Tous des oiseaux », un rêve d’humanité dans un conflit séculaire

par Véronique Giraud
Une scène de
Une scène de "Tous des oiseaux" de Wajdi Mouawad, programmée au Printemps des Comédiens de Montpellier les 15 et 16 juin. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 17/06/2019
Eh oui, il l’a fait. Wajdi Mouawad a osé, quatre heures durant, dans quatre langues différentes, parler du conflit israélo-palestinien. Une prouesse née d’une rencontre dans un aéroport et du conte d’un oiseau amphibie.

Il est parfois des sujets dont on ne voudrait plus entendre parler, mais qui, au hasard d’une rencontre, nous ramènent à notre histoire et à celle toujours trop large de l’humanité. La pièce Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, créée la saison dernière au théâtre de la Colline, qu’il dirige, est reprise au Printemps des Comédiens. Si elle traite du conflit israélo-palestinien, c’est un hasard qui en est à l’origine, un hasard qui sert d’argument à la pièce. Dans une bibliothèque new-yorkaise, un étudiant allemand d’origine juive rencontre à travers un livre une étudiante américaine d’origine arabe. Ce livre concerne un intellectuel et diplomate arabe du XVIe siècle, Hassan al-Wazan, plus connu en Europe sous le nom de Léon l’Africain (dont Amin Malouf a écrit la biographie romancée). Ce coup de foudre entre les deux jeunes gens va les plonger au cœur d’un conflit qu’ils préféraient ignorer.

Cette rencontre a bien eu lieu. Mais entre l’auteur québécois d’origine libanaise qu’est Wajdi Mouawad et Natalie Zernon Davis, une historienne juive travaillant sur le diplomate converti de force au christianisme. Une amitié s’ensuit, des échanges se poursuivent. Là-dessus, vient se greffer dans l’imaginaire de l’auteur un récit qu’on lui racontait enfant, la légende d’un oiseau qui voit sa curiosité éveillée par une autre espèce, celle des poissons. « Son amour pour ce qui est différent est si grand » raconte Wajdi Mouawad, qu’il finit par plonger dans l’eau. Et devient amphibie.

 

L’oiseau amphibie. Les humains n’ont pas cette capacité de l’oiseau amphibie. Face à l’autre, ils commencent par la méfiance et dérivent très facilement vers le rejet puis l’exclusion. L’exemple le plus rude, en notre siècle, est sans doute celui du conflit israélo-palestinien. Une terre, deux peuples. Ce n’est certainement pas une singularité. Nombre de pays d’immigration connaissent bien plus de communautés sur leur territoire, et parfois bien plus de langues et de cultures se mêlent harmonieusement. Mais là, le poids de l’histoire et celui des religions en a fait une impasse, avec un gagnant et un perdant, ce qui rend le drame infini.

La jeune génération est, comme souvent, bien plus généreuse que celle des aïeux. Surtout si les parents ont déserté ce terrain de larmes et d’humiliations. C’est le cas des deux personnages principaux, deux étudiants américains qui ont une vie à vivre et, si possible, une vie de bonheur. Ça commence par l’amour qui, justement, est au rendez-vous. Mais c’est compter sans les parents et grands-parents qui les ramènent au source du conflit, en Palestine même, en Israël que le grand-père a fui pour une bien étrange raison.

 

Quatre langues. Ils ne voulaient pas s’en mêler, ils voulaient vivre heureux. Mais Wajdi Mouawad en a décidé autrement. Malgré le fils, généticien qui ne cesse de répéter que l’héritage n’existe pas dans les chromosomes, les racines, l’origine, s’imposent comme un destin que les personnages du drame se devront d’assumer. La différence va donc s’affirmer, quatre langues communiquant singularités et semblances, l’américain de la jeune fille, l’allemand de la famille du jeune homme, l’hébreu et l’arabe des origines. Bien que créée en France, Tous des oiseaux ne pouvait faire place au français, absent de ces régions. Car les langues jouent un rôle dans cette dramaturgie, elles en sont les marqueurs.

Née d’une énième œuvre artistique sur un conflit qui empoisonne ses parties et le monde entier, alors que toute perspective de paix s’éloigne avec le temps et les radicalisations, l’inquiétude première du spectateur fait place à l’intérêt pour la pièce. Le drame est bien présent, pas celui du Moyen-Orient, mais celui construit sur scène, dans cet éternel débat du théâtre avec son temps.

 

Tous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad. Avec Jalal Altawil, Nelly Lawson, Victor de Oliveira, Leora Rivlin,  Judith Rosmair, Daniel Séjourné, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock. Spectacle en allemand, arabe, hébreu, surtitré en français. Création novembre 2017 La Colline/ théâtre national ; les 14 et 15 juin 2019, amphithéâtre d'O du Printemps des Comédiens, Montpellier.

 

 

 

 

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