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Un été sans festivals

par Véronique Giraud
Le Festival d'Avignon, la plus grande manifestation théâtrale du monde, est annulé. Un coup porté aux artistes et techniciens qui comptent sur ce marché pour
Le Festival d'Avignon, la plus grande manifestation théâtrale du monde, est annulé. Un coup porté aux artistes et techniciens qui comptent sur ce marché pour "vendre" leur spectacle. Un coup aussi pour la Ville d'Avignon, privée de retombées économiques estimées à 100 millions d'euros, dont 25 millions sont générés par le "In". ©Rivaud/NAJA
Arts vivants Interdisciplinaire Publié le 14/04/2020
C'était prévisible. Tout rassemblement de grande ampleur est interdit « au moins jusqu'à mi juillet ». Adieu donc les créations programmées par les grands festivals. La litanie des annulations est triste pour le public comme pour les artistes qui œuvrent collectivement depuis des mois. Cruel le silence de la pensée vivante. Si essentielle.

Les grands festivals, rendez-vous des amoureux de la musique, de la danse, du théâtre, sont priés d’adopter une position de repli. La guerre déclarée en France au Covid-19 ne supporte pas le rassemblement de milliers d’innocents désireux de vivre au rythme de leur groupe.

Les fidèles des grands festivals ne sont pourtant pas nombreux. C’est un privilège de se déplacer et de rester quelques jours dans un lieu, juste pour l’amour de l’art. Alors qu’est-ce qui explique le sentiment d’un deuil national quand le président a annoncé le 13 avril que « Les grands festivals, les grands événements avec un public nombreux ne pourront se tenir au moins jusqu’à mi-juillet prochain » ?  C’est que tous ces concerts, ces pièces, de danse et de théâtre, auraient pu figurer au programme des théâtres, salles de spectacle d'autres régions dans l'hexagone. Et la presse, qui les met à l’honneur de mai à août, en fait rêver d’autres avec ses portraits de chanteurs, d’auteurs, de comédiens, avec ses coups de cœur ou ses déceptions.

 

Le besoin de célébrer. Qu’allons-nous célébrer cet été ? Quel vide va laisser cette saison sans tous ses festivals ? La communion, la sensation d’être réunis pour vivre un moment unique, magique, qui ne se répétera pas exactement, c’est la magie de l’art vivant. L’art vivant. Que lui reste-t-il de vivant derrière un écran numérique ? Sans doute le souvenir de moments précieux, d’autant plus précieux qu’ils nous sont ôtés. Il y eut le mouvement des intermittents de 2003, la seule référence. Eros et Thanatos ne seront pas sublimés cet été en Avignon. Ils promettaient« d’aborder la question politique différemment, de manière moins sociétale, plus émotionnelle », comme l'annonçait Olivier Py, le directeur du festival, pour « nous rappeler ce que veut dire être humain, ce que mourir veut dire ». Les dieux resteront à terre, dans le confinement du foyer, ou de la solitude.

L’art vivant et ses grands événements ne rassemble pas toute la population. Pour autant le numérique a-t-il contribué à élargir son public ? Le doute est permis. Beaucoup, certes, guettent les concerts gratuits des chanteurs, les voix maîtrisées des comédiens, les spectacles des danseurs, tous privés de répétitions et de public. En puisant dans leurs archives vidéo, les festivals, les salles de spectacle, les distributeurs du 7eme art, se sont peut-être attiré un nouveau public, plus jeune, moins argenté. Mais chacun chez soi, qu’en résulte-t-il ? Un plaisir onirique, un triste onanisme.

 

Le glas d'un été de créations. Par ordre de disparition, Solidays à Paris, le Festival de Marseille, Les Eurockéennes de Belfort, Les Francofolies de la Rochelle, Les Nuits de Fourvière de Lyon, le Festival d’Avignon. " Nous avons partagé l'espoir aussi longtemps que cela était permis, mais (...) les conditions ne sont plus aujourd'hui réunies pour que se déroule la 74e édition ", ont réagi deux heures après l'allocution présidentielle Olivier Py et Christophe Rondin, co-directeur du Festival d'Avignon. Un coup porté aux artistes et techniciens qui comptent sur ce marché pour "vendre" leur spectacle. Un coup aussi pour la Ville d'Avignon, privée de retombées économiques estimées à 100 millions d'euros. Quelques-uns se réjouiront de profiter d’un centre-ville déserté de ses troubadours. Déserté aussi de ses cafés et restaurants.

La parole présidentielle, inspirée par celle des scientifiques, a sonné le glas d’un été de nouveautés. La création, celle qu’on n’attendait pas mais qui parle du monde au plus profond de nos sens et de notre entendement, ne s’exprimera pas cette fois. Le rendez-vous tant attendu ne viendra pas. Pourtant, quel délice de transmettre le plaisir d'un spectacle à un ami, à un enfant, le plaisir des mots entendus, des inventions du corps, de l'énergie musicale ! La contagion de ces plaisirs de l’été ne se produira pas. Une autre contagion, mortelle celle-là, nous oblige à nous terrer et à nous retourner vers des œuvres du patrimoine, lointain et récent. Un temps sans doute suffisant pour déplorer ce manque, et projeter d’autres façons de partager, de communier, de regarder le monde. Septembre apportera Rock en Seine, le Festival d’Automne à Paris, Montpellier Danse…

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