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« Un peuple et son roi », l’émotion fait histoire

par Jacques Moulins
Olivier Gourmet, Gaspard Ulliel, Adèle Haenel, and Izïa Higelin in Un peuple et son roi (2018). DR
Olivier Gourmet, Gaspard Ulliel, Adèle Haenel, and Izïa Higelin in Un peuple et son roi (2018). DR
Cinéma Film Publié le 26/09/2018
Un nouveau film sur la Révolution française ? Oui, mais comme on ne l’a jamais vue. Après sept ans de travail, Pierre Schoeller nous plonge dans les émotions au jour le jour de cette époque exceptionnelle.

La France est fière de sa révolution qui, malgré les soubresauts de la restauration et des deux empires, a ancré dans son peuple la République. L’histoire de ces quelques années, qui ont changé le « destin d’une nation » comme aimaient à le dire ses contemporains, est bien entendu l’objet de controverses, comme toutes les questions historiques. C’est dire si, pour être juste, sept ans de travail n’ont pas été de trop à Pierre Schoeller pour être juste en émotions. Car c’est le parti pris du cinéaste qui n’a pas voulu prendre position dans le débat des historiens, même s’il est parfois amené à le faire. Le résultat est bien là. Après un démarrage où le public, saturé d’images de la Révolution française, est un peu désorienté, l’émotion s’installe en suivant une maison parisienne, où un maître verrier et des lavandières occupent un même immeuble du faubourg Saint-Antoine. Première émotion, lorsque la hideuse bâtisse qui leur cache le soleil et enfonce le quartier dans la pénombre est démolie. La lumière entre enfin. La bâtisse s’appelle la Bastille. On voit les révolutionnaires desceller une à une ses pierres, et un rayon de soleil éclairer le front des lavandières. A raconter, ça fait image symbolique. Pierre Schoeller ne tombe pas dans ce panneau. Il parvient en deux heures à donner sa vision d’une époque qui a déjà connu des kilomètres de pellicule et des milliers de tonnes de livres. Une approche au plus près de la vie de ces Parisiens, dont beaucoup ne savent pas lire, et qui sont chaque jour bousculés par un événement sur lequel, ils le sentent, il leur faut prendre parti puisque là est la condition d'une nouvelle exigence, la liberté.

 

La découverte de la démocratie. Pour rendre perceptible et émouvante la vie quotidienne, le réalisateur employe les moyens. La Constituante s’installe à Paris dans l’ancien manège royal ? On voit cinq secondes d’un cheval dressé sur le sable du manège avant que l’image ne s’estompe pour, dans le même cadrage, accueillir les menuisiers qui construisent les bancs de l’Assemblée. Tout est à l’avenant, une image sensible où les personnages évoluent, empreints de cette certitude qu’un autre avenir se prépare, non plus au service de ce roi (un exceptionnel Laurent Laffite) qui ne comprend pas ce qu’on attend de lui, mais d’une communauté fondée sur l’égalité. Les mots sont beaux, mais que veulent-ils dire ? Chaque jour de cette période intense, ces Parisiens découvrent un sens et son contraire, découverte rythmée par les discours des députés, Robespierre, Barnave, Sieyès, Saint-Just et l’enragé (on dit aujourd’hui radical) Marat qui occupe une place de choix, celle dont sans doute il avait rêvé.

 

Des personnages émouvants. Là où la réalisation l’emporte, c’est que la Révolution s’incarne dans des personnages dont Pierre Schoeller ne fait pas des icônes. Et que le film se magnifie par un choix d’acteurs impressionnants, la jeune Adèle Haenel, le maître verrier Olivier Gourmet et son épouse incarnée par Noémie Lvovsky. On vit avec eux d’abord la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, puis l’établissement de la monarchie constitutionnelle, enfin l’idée que la révolution n’est pas terminée et qu’elle ne s’achèvera que par la destitution du roi pour faire place à la République, concept amené dans le film lors d’une conversation d’auberge avec des membres du club des Cordeliers. Ce roi ayant trahi, la nuit de Varenne, l’opinion bascule à nouveau jusqu’à son procès et sa condamnation à mort par la Constituante et ces mots célèbres de Robespierre condamnant non un homme mais un système.

 

Le rôle des femmes. Des députés, pas de députées. Aucune femme n’est élue, aucune n’aura le droit de vote. Pourtant le rôle avéré des femmes dans la révolution est ici restituée avec force. Là encore, loin des icônes, loin des Olympes de Gouges et Théroigne de Méricourt, loin du club de femmes dissout en 1793 sur ordre de la Convention, mais lors de la marche des femmes du 5 octobre 1789 sur Versailles pour réclamer du pain et l’arrestation des receleurs de blé qui jouent à la hausse, avec ces femmes qui du pain passent à la justice et l’égalité avant de s’étonner de n’en point faire partie. Le vote censitaire, celui réservé aux propriétaires, est vite rejeté au profit du suffrage universel. À l’exception des femmes. L’une d’entre elle pose la question qui restera sans réponse, tant elle paraît incongrue à ces hommes, comme l’égalité semblait incongrue à la noblesse. En s’entourant d’historiens, dont Arlette Fage connue pour ses travaux sur les vies populaires et les mentalités d’avant la révolution.

 

La suite, s’il-vous-plaît. Le film s’arrête à la mort de Louis XVI, sur ce qui est alors la Place de la Révolution (aujourd’hui la Place de la Concorde). C’est peu dire que l’on vit avec ces personnages au point de souhaiter un second film, une série, de nouvelles images qui nous permettraient de rester avec eux jusqu’à Thermidor, voire jusqu’à l’Empire. Car c’est bien dans ce peuple, à ce moment, que s’est construite une souveraineté politique qui perdure encore et dont le suffrage universel reste la condition première. Le dernier film de Pierre Schoeller, L’Exercice de l’État (2011), montrait déjà la capacité du réalisateur à convoquer l’émotion dans le débat politique, avec un ministre en perte de vitesse incarné par Olivier Gourmet et son fidèle directeur de cabinet (Michel Blanc). Avec la même précision historique, Un peuple et son roi rend à l’histoire ses soubresauts et ses sensibilités là où l’on donne d’habitude la préséance aux hommes et aux idées.

 

Un peuple et son roi, film de Pierre Schoeller. Sortie le 26 septembre. 2018 Avec Adèle Haenel, Olivier Gourmet, Laurent Laffite, Noémie Lvovsky, Céline Sallette, Louis Garrel, Izïa Higelin.

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