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« Une Chambre en Inde » pour voir le monde

par Jacques Moulins
"Une Chambre en Inde", création collective du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine au Printemps des Comédiens. © Michele Laurent
Arts vivants Théâtre Publié le 31/05/2017
Ouverture en fanfare de la 31e édition du Printemps des Comédiens avec l'ébouriffante troupe internationale du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. Dans leur dernière création, "Une Chambre en Inde", se pose la question de raconter l'incompréhensible actualité. La farce et l'art théâtral du Theru koothu vont le permettre.

Dans ce monde, on mélange tout, on n’y comprend rien. C’est en substance ce que se dit Cornélia (interprétée par Hélène Cinque), une nuit dans un village indien où elle apprend que le directeur de sa troupe théâtrale vient d’être arrêté pour outrage et qu’elle doit se débrouiller seule pour écrire la pièce que la compagnie va présenter. Dans l’immense chambre qu’elle occupe dans la maison de Madame Murti (Nirupama Nityanandan), elle va vivre une nuit ponctuée de rêves et de cauchemars, de visions et de coups de téléphone de l’administratrice du théâtre qui, de Paris, la réveille régulièrement.

On ne comprend rien sur ce qui se passe en Syrie et en Irak, on ne comprend rien sur les sources d’eau et de vie du globe, on ne comprend rien non plus sur les phobies administratives des ministères français. Il y a pourtant des valeurs sûres qui, chaque fois que l’on aborde un sujet, s’imposent d’elles-mêmes : les droits de l’humain définis dans la charte des Nations Unis de 1948, le respect des femmes et des choix individuels, politiques, religieux, sexuels et, simplement, des modes de vie. Il y a aussi des éternels de l’humanité, ou du moins souhaités comme tels, dont le rire et le théâtre font partie.

 

Une farce. Car les sujets graves valent bien une farce. Ils semblent même l’exiger. A moins de vouloir pontifier ou moraliser, le théâtre ne peut s’astreindre de cette distance qui rend les choses audibles, sensibles, parlantes. Et le rire est sans nul doute un de ces moyens formels de distanciation. Une Chambre en Inde n’est cependant pas une comédie. D’ailleurs, vient se plaindre Tchekhov, on ne reconnaît pas toujours les comédies. C’est une farce populaire telle que l’antiquité, le Moyen Age ou l’écriture brechtienne ont pu en produire. Une farce écrite collectivement dans son texte, ses jeux, ses musiques, ses lumières et son décors, par la troupe du Théâtre du Soleil qui, sous la direction d’Ariane Mnouchkine, a déplacé pour cette création au Printemps des Comédiens, pas moins de 65 personnes, dont de nombreux acteurs et musiciens venus d’Inde du Japon, ou d’autres continents.

S’ensuivent, s’enroulent des scènes où l’on peut ainsi aborder un film de propagande tourné par Daech, un attentat terroriste, une réunion du conseil des droits de l’homme (pas de la femme) saoudien, la corruption d’un édile local à des fins d’enrichissement immobilier, un père indien vendant sa fille pour s’acheter de l’alcool… Toute l’actualité dans le bocal agité qui sert de tête à Cornélia.

 

Le Terukkuttu. Mais l’actualité est doublée, ombrée, submergée par le théâtre. C’est la préoccupation immédiate de Cornélia et de ses partenaires. Or, elle est en Inde, dans un village où l’on pratique encore une forme populaire de théâtre toujours en mouvement, le Theru koothu (Terukkuttu), réservé aux basses castes. On y joue et chante des passages du Mahabharata, l’équivalent de L'Iliade et l’Odyssée dans la culture indienne, un poème de 81 936 strophes écrit en sanskrit qui conte l’histoire de la grande guerre des Barhata. Les scènes mythologiques se superposent aux scènes d’actualité, et les élèvent, autant par leur contenu que par leur forme. Cela grâce à la participation exceptionnelle d’un maître du Theru koothu, Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran.

 

Un spectacle dynamique. Comme tout spectacle populaire, Une Chambre en Inde est vivant, dynamique, les scènes s’enchainent à une vitesse prodigieuse, les dizaines d’acteurs présents sur scène disparaissent tout à coup, alors que déjà, sortis des fenêtres ou des portes, apparaissent là un triporteur portant un Maharaja et le maître japonais de théâtre, ici des singes, devant des djihadistes, derrière une vache sacrée. Et enfin, l’esprit de Charlot, d’un fax qui ne veut pas donner sa feuille de papier au poignant discours du Dictateur. Long de 3h45, avec entracte consommé dans le beau Domaine d’O, le spectacle joyeux et grave ne lasse pas un instant, ne laisse pas un moment de repos aux oreilles et aux yeux captivés.

 

 

Une Chambre en Inde, création collective du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. Musique de Jean-Jacques Lemêtre. 65 acteurs, musiciens, danseurs, techniciens sur la scène du Théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O. Printemps des Comédiens du 30 mai au 10 juin.

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