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Mot de passe oublié ?Votre pièce Les femmes de la maison devait être créée du 11 au 15 janvier. Quel effet a eu l’épreuve de l’annulation ?
C’est terrible, mais je considère que nous sommes assez chanceux puisque nous avons pu jouer deux fois au Mans devant une salle assez remplie. Parmi les spectateurs, outre la presse il y avait des professionnels sortant d’une réunion mensuelle de l’Onda (organisme national de diffusion artistique), pour débattre de sujets inhérents au spectacle vivant. La réunion est toujours suivie par la création d’un spectacle dans le théâtre où se tient la réunion et par chance c’était Les femmes de la maison. Sur les cinq représentations prévues, on n’en a joué que deux, mais nous avons joué ces deux représentations devant des professionnels. Ce n’est pas pour ça qu’ils vont acheter le spectacle immédiatement, mais certains peut-être. De toute façon, cela a permis au spectacle d’être vu et d’avoir un début d’écho. Nous avons quand même eu la sensation de vivre une première.
Pour notre compagnie, janvier, février et mars devaient être des mois extrêmement denses : Les femmes de la maison continuait à tourner et on reprenait Normalito, une pièce jeune public que j’ai écrite et mise en scène. Là, ça veut dire l’arrêt total des deux spectacles. C’est très violent, nous ne pourrons pas tenir ad vitam eternam. Pour l’instant, nous étions programmés dans des centres dramatiques. Ils sont soit près à reporter, soit prêts à payer la session et essayer de reporter l’année prochaine. Donc on peut dire que nous sommes plutôt bien accompagnés par les théâtres. Le théâtre de Brest, qui avait reporté Normalito en janvier, est même prêt à un deuxième report.
Comment fait-on pour être tout le temps prêt pour faire un spectacle ? Est-ce qu’on a l’énergie pour tout recommencer ?
Ce sont surtout des coûts que les théâtres ne pourront pas prendre en charge. Pour Normalito, qu’on aurait dû reprendre en octobre dernier, c'est une comédienne qui reprend le rôle, elle remplace celle qui l’a créée. Pour l’instant elle n’a jamais pu répéter dans le décor. Si on peut jouer la pièce à Aix-en-Provence début février, ce qui dépendra de l’aval de la Préfecture parce que c'est un spectacle jeune public, on ne pourra pas le faire si on n’a pas un ou deux jours de répétition avec le décor. La comédienne n’a jamais joué, donc si le théâtre n’est pas d’accord, ce ne sera pas possible. C’est la même chose pour Les femmes de la maison. On est en train de voir un report en juin pour Saint-Étienne, il faudra là aussi un ou deux jours de reprise avant une date qu’on ne connaît pas encore pour pouvoir le présenter au public. Ça n’a rien à voir avec le cinéma où on se dit que quand on rouvrira les salles on pourra présenter les films. Il y aura embouteillage mais les films seront prêts. Avec le spectacle vivant il faut à un moment donné re-répéter. Or monter le décor, installer les lumières, le son, faire venir l’équipe technique et les comédiens pour répéter dans une salle, c’est très onéreux pour une compagnie. Les salles qui nous programment attendent un retour de la billetterie, c’est normal. Elles ne peuvent pas nous accueillir juste pour une répétition.
On le sait, l’art vivant se prévoit un an à l’avance. Pour Normalito, des comédiens qui devaient être pris en octobre ne travaillent pas depuis. Ils se retrouvent sans rien. C’est très violent.
Cette crise sanitaire change-t-elle quelque chose dans la manière de vous projeter dans votre métier d’auteure, dans votre écriture ?
Lors du premier confinement, j'ai écrit une pièce jeune public que normalement j’aurais écrite plus tard. À l’intérieur de cette pièce j’étais un peu obligée de parler du confinement. C’était une telle réalité que je pouvais difficilement la passer sous silence, même dans la fiction. Ce n’était pas pour faire feu de tout bois, ça peut être agaçant de parler du présent, mais comme il s’agissait d’une pièce jeune public sur la politique, sur le futur, ça me semblait impossible de ne pas en parler. Oui, ça va nourrir ma création mais en tant qu’auteure ce n’est pas le plus difficile. Certains ont perdu tout imaginaire pendant le confinement, je n’ai pas eu cette sensation. La question qui se pose pour moi n’est pas de créer mais : qu’est-ce que tout ça va devenir ? Est-ce qu’il va falloir plutôt des petites formes pour se produire un peu partout ? Cette pièce jeune public que j’ai créée avec trois personnages, est-ce qu’elle pourra être jouée ? Être contraint aux petites formes ce n’est pas très satisfaisant, ce que nous avons aimé dans Les femmes de la maison c’est que tout l’équipe théâtrale est présente, un scénographe, une costumière…
Cette pièce, vous l’avez écrite en écho à l’exposition Womenhouse organisée par des féministes américaines. Comment cette exposition est-elle venue à vous ?
J’ai découvert ce travail lors de l'exposition Womenhouse à la monnaie de Paris en 2017. J’y ai vu une performance filmée, provenant de l’exposition originelle de 1972 aux États-Unis, où une actrice disait le poème Waiting (attente) écrit par Faith Wilding en se balançant :« J’attends, j’attends de naître, j’attends de grandir, j’attends d’avoir mes règles, j'attends d’avoir un mari, j'attends d'être enceinte… ». Cela racontait l’attente perpétuelle de la femme. Cette performance m’a fascinée et je me suis renseignée sur cette exposition. Cela m’a passionné de découvrir les artistes Judy Chicago et Miriam Shiapiro, la manière dont elles avaient conçu ensemble ce projet. Ce qui m’a beaucoup touché c’est qu’elles ont créé un groupe de jeunes femmes de tous milieux, et cette maison entièrement dédiée à l’expérience du féminin, essayant de rendre l’expérience du féminin universelle. Cette aventure était assez joyeuse, puisque cette exposition a rencontré un très grand succès.
Je trouvais beau aussi que le succès les ait séparées. Quand on atteint un certain pouvoir, un certain succès, ça peut devenir compliqué. Et voir que, même entre femmes qui avaient su travailler ensemble, la question de savoir qui a la maternité du projet se re-pose. Cette question peut se poser entre les hommes, on le sait bien. Se dire qu’entre femmes elle se re-pose avec la même importance, je trouvais ça intéressant.
Comme j’avais envie de parler de #Metoo, mais sans vouloir aborder les choses de front, ça m’aidait de passer par les années 50 et les années 70 avant d’arriver à aujourd’hui. Et en même temps partir de biographies, être extrêmement réaliste, être dans la vérité de ces vies, j’ai bien senti que ça allait m’arrêter et que je n’arriverais pas à aller dans la fiction comme je le souhaitais. Du coup j’ai assumé mes sources, et j’ai aussi assumé de les abandonner en chemin. Et de pouvoir rêver autour.
Vous avez rêvé…
Oui j’ai rêvé. Par exemple, si le tout premier personnage s’appelle Germaine, c’est en référence à Germaine Krull, dont j’ai lu la très belle autobiographie La vie mène la danse. On se rend compte qu’elle a eu une vie d’une liberté, d’une émancipation extraordinaires, dans sa sexualité, son engagement politique, son foisonnement artistique. Bien sûr elle ne présente pas toutes les femmes des années 50, mais on oublie, on a l’impression qu’on va toujours vers plus d’émancipation. J'avais la sensation en voyant des figures comme Germaine Krull que c’est faux. De tout temps certaines femmes sont parvenues à une émancipation que beaucoup de femmes n’ont pas encore aujourd’hui. C’est important d’entendre que ce n’est pas avec les années qu’on va vers plus d’émancipation. C’est plus complexe que ça.