Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Vous mettez votre notoriété de DJ au service de plusieurs combats…
Je me définis comme une féministe intersectionnelle, et je considère que plusieurs oppressions, discriminations et systèmes se coordonnent pour maltraiter les humains. Qu’il s’agisse des femmes, des personnes trans, queers, racialisées ou migrantes. Mon apprentissage personnel m’a appris que ces combats sont à mener ensemble. Je ne suis ni racialisée, ni trans, ni migrante mais il n’est pas nécessaire d’avoir un rapport personnel dans un combat pour le porter.
Ce sont des luttes que vous portez à la fois personnellement et en tant qu’artiste…
Bien sûr, c’est un mélange. J’utilise ma plateforme et ma visibilité pour le progrès des causes. Bien qu’étant femme et queer, je bénéficie d’un privilège lié à ma couleur de peau et à ma condition sociale plutôt bourgeoise. C’est pour moi une question de respect et de devoir que de rappeler que d’autres n’ont pas ces privilèges.
De quelle manière transmettez-vous cette prise de conscience ?
J’utilise des sample de voix, des discours d’activistes, de chercheurs, dans ma musique. Aussi bien Angela Davis parlant du féminisme et disant qu’il faut à la fois s’attaquer au racisme et à la transphobie, que des chercheurs italiens qui, à propos du G20, expriment la façon dont le néocapitalisme et le nationalisme construisent la société main dans la main. J’utilise aussi des samples de chercheuses d’universités californiennes pour parler du genre.
Les danseurs et danseuses donnent aux Dj, l’espace d’une, deux, six heures, leur cerveau pour les faire voyager. J’utilise l’attention qu’ils et elles me donnent volontairement pour insuffler des contenus qui poussent au réveil.
Quelle forme cela prend-il ?
Si j’organise une soirée ou participe à un festival, je fais très attention à m’adresser aux femmes, aux personnes queer et racialisées. Quand je produis un album, je fais attention à la diversité de mes collaborateurs et collaboratrices, des designers concevant la pochette, ingénieurs son, relation presse…
J’utilise enfin ma visibilité à travers Instagram pour parler de ces sujets, et à l’occasion de mes donations. Ni à mon nom, ni à mon effigie, je vends deux T-shirts qui portent chacun un message féministe en lien avec la musique électronique : « Burning the Patriarchy with Acid (Techno) » et « My Place is Not At Home, It’s in House (Music) ». L’intégralité des revenus est reversée à des associations de défense des droits des femmes, migrants, travailleuses du sexe, des jeunes sans abri. Ce merchandising permet de mobiliser mon public vers des causes à défendre et c’est une occasion de parler de ces associations sur les réseaux sociaux.
Ces initiatives visent-elles à augmenter la visibilité de la musique électronique ?
Ce n’est pas parce que l’électro s’expose à la Philharmonie que le genre se généralise. Cette musique ne passe pas à la radio, elle se vit à travers le live. Rallier un nouveau public ne se fait pas en dehors de la structure du club. C’est en allant danser qu’on peut entendre ces morceaux et exister. Le club est l’espace refuge des opprimés, où chacun trouve réconfort, consolation.
Quand je joue dans un grand festival, la majorité des personnes sont blanches et hétérosexuelles, c’est l’occasion de faire entendre Angela Davis parler de transphobie, d’intersectionnalité auprès d’un public qui n’en a pas l’habitude.
Dans votre pratique vous privilégiez le club intimiste…
Il est à contre-courant de la French Touch, techno qui a évolué en s’industrialisant, en devenant très commerciale. L’idée est de revenir à l’origine underground de la techno, qui a toujours été un mouvement communautaire, solidaire et de rébellion. Sur les petits formats, le budget est limité, on assume que l'entreprise sera sans grand profit. La mise en place de ces événements passe par les réseaux sociaux avec une communication directe. Pas par les grandes plateformes de vente de billets. C’est un Instagram privé, qui protège l’identité et la libre expression des personnes opprimées, des personnes que la société considère comme de seconde zone.
Comme tout cela se traduit esthétiquement ?
Soit à travers mes propres productions, où j’utilise des samples d’activistes au sein même de mes compositions, soit en tant que DJ et de mix, quand je construis mon texte autour d’argumentaires militants. Là j’utilise la musique des autres sur laquelle je vais rajouter des extraits. Pendant le mouvement Black Lives Matter, je passais sur une radio de Barcelone des samples d’activistes français, espagnols, américains parlant de ce combat.
La Fraicheur a produit son premier album en 2018. Après Montréal et Berlin, la DJ vit aujourd’hui à Barcelone.