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Mot de passe oublié ?C’est parfois lourd de vivre au quotidien les grossièretés et le laisser-aller de nos congénères, ce manque de respect qui bousille une journée pourtant bien commencée. Faites un effort, quoi ! Ça rendrait la vie si agréable. Regardez ce piéton qui s’avance vers vous, la démarche assurée, qui grimpe dans son automobile et file vers sa destination. Tout va bien, mais l’agressivité monte, l’ego se rengorge et pense de son devoir de démontrer sa virilité à l’automobiliste qui attend au feu à côté de lui. Il la lorgne, il plaisante, il la drague, l’invite à venir le rejoindre sur le siège passager et finit par l’insulter lorsqu’elle l’envoie bouler. Le mâle se réveille en lui, il va montrer qui il est, grâce à son engin mécanique qui décuple sa force. Il ne montrera en fait rien, l’accident le projette dans un purgatoire, un état entre la vie et la mort où l’inconscient prend la direction.
Pas besoin des mots. Nous ne sommes pas sur l’autoroute, mais dans une salle obscure des quartiers nord de Marseille, face à la scène d’Archaos, centre national du cirque. Le jeune homme qui vient de perdre le sens commun fait partie de la compagnie tchèque Losers Cirque, il reste étendu sur une toile blanche sous laquelle vont s’infiltrer dix personnages. Vêtus de combinaisons noires pour mieux plonger en lui, ils ne lui veulent pas que du bien, prêts peut-être à lui ravir jusqu’à son âme qu’il va défendre comme il peut.
L’expressivité du mime a déjà gagné le spectateur. La précision et la puissance des acrobates, tour à tour équilibristes, voltigeurs, danseurs, et toujours faiseurs de merveilles, nous font abandonner ces mesquineries, ces tracasseries du quotidien que le mime a gentiment moqué. Nous voilà en royaume de poésie. Il n’y aura pas de mots, pas besoin. Les corps, la chorégraphie d’une précision folle que seuls des circassiens de ce niveau peuvent réussir, nous font ressentir les affres, les tourments, les joies et les espoirs que ce passage flou entre la vie et la mort exacerbe. Par la grâce infinie des corps.
Poésie, agilité, imagination. Comme des enfants, avec les enfants, les yeux émerveillés du spectateur suivent l’aventure ante-mortem du jeune fanfaron qui n’en mène plus large mais tentera encore de faire passer ses comportements, basiques et révolus, pour l’essence de sa personne. Il ne gagnera pas ce combat contre la poésie, contre l’agilité, contre l’imagination. Mais le public y gagne, ébaudi d’une telle adresse à faire rêver.
Le spectacle terminé, la salle n’a pu retenir son émotion. Les onze artistes de la compagnie Losers qui a créé sept spectacles depuis sa création en 2014 reçoivent une ovation largement méritée. Ils ne sont là que pour deux représentations, mais notez bien le nom de la compagnie et, si elle passe dans votre ville, n’hésitez pas, courez-y.
Heroes, création de la Losers Cirque Company pour l’Entre2 BIAC de Marseille au Centre national du Cirque Archaos, le 15 janvier 2022. Direction : Daniel Špinar, réalisation Radim Vizváry. Avec : Radim Vizváry, Jindřich Panský, Matyáš Ramba, Vítězslav Ramba, Lukáš Macháček, Jiří Bělka, Mates Petrák, Jana Telcová, Kristýna Stránská, Martina Illichová, Nikola Kopáčová