le journal des créations du 21eVous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?« Strip, au risque d’aimer ça « , la nudité comme liberté
Dans un décor de loge jouxtant une scène de pole dance, tout commence avec Julie qui raconte : « Il y a cinq ans, il me manquait quelques heures pour obtenir mon statut d’intermittente, alors je me suis mise à chercher de la figuration ou des petits rôles en répondant à quelques annonces de casting. » La direction de Chochotte, un théâtre érotique parisien, recherchait des comédiennes et des danseuses… « Du jour au lendemain, je suis devenue stripteaseuse ». Ce « du jour au lendemain » synthétise la prise de risque inhérente à ce métier peu connu. En l’espace d’un essai, Julie se retrouve nue devant Mademoiselle qui, vêtue d’un peignoir léopard et les yeux masqués par de grandes lunettes noires, décidera qu’elle est engagée. Après cette « initiation », les soirs s’enchainent, les numéros s’inspirent des scénarios exigés par Mademoiselle et attendus par le public.
« C’est facile de considérer ces endroits comme lugubres, sordides, où il se passe des choses » commentent les metteures en scène en évoquant les clubs érotiques. « Nous voulons déconstruire des stéréotypes sur les femmes qui travaillent dans le striptease et sur les clients ». On est loin du théâtre documentaire, la fiction l’emporte et surtout c’est de l’intérieur qu’est abordé le sujet… c’est « la liberté de faire ce métier. Choisir de devenir stripteaseuse peut être un vrai choix, et il peut être porteur de confiance en soi, du sentiment de puissance sur son corps, sur ce qu’on en fait, sur ce qu’on décide d’en faire. C’est la liberté aussi par rapport au regard des hommes. » Et le spectacle tient de cette liberté, de cette puissance. Qu’elles soient nues ou vêtues d’un peignoir, les deux comédiennes jouent du mystère de la séduction. Leur sourire inquisiteur au moment de choisir dans le public la personne qui pourra suivre l’une d’elles dans un salon particulier fait son effet, fait oublier qu’on est dans un théâtre. Jette un trouble en chacune des spectatrices, en chacun des spectateurs. Les témoignages font allusion à un autre scénario qui lui se joue dans les coulisses, les filles observent le corps de l’autre, se découvrent, libèrent leur parole, se veulent rassurantes, solidaires. Dans la salle, face aux hommes, la conscience du pouvoir de leur corps fait son chemin, la confiance en soi grandit, au plus profond, sans plus rien devoir cacher. Puis quand l’une d’elles s’enroule autour de la barre de pole dance, l’art de la figure et la virtuosité du corps féminin l’emportent et l’admiration supplante le simple désir.
Construire dans l’espace, documenter, raconter, filmer, se raconter sur scène, jouer devant un public, constituent le patrimoine intellectuel et corporel de Julie Benegmos (lire son portrait). Tout cela se retrouve dans Strip, Au risque d’aimer ça, au programme de cette édition du festival Printemps des Comédiens à Montpellier. Cette dernière création, qui a exigé un long processus de recherches et de témoignages d’ex-effeuilleuses, elle l’a conçue et réalisée en duo avec Marion Coutarel, comédienne et metteure en scène formée au théâtre d’actions physiques et passionnée par l’anthropologie théâtrale, partie prenante du réseau international de femmes artistes The Magdalena Project.
L’écriture riche et inventive de ces deux esprits libres a l’accent du réel. Ponctuée par les témoignages filmés de stripteaseuses, que Julie Benegmos a interrogées longuement, la pièce traverse le risque, le plaisir, et l’esthétique de la nudité. Non pas en tant que tels mais rattachés à un métier, celui de stripteaseuse. La pièce raconte les conditions, les coulisses de ce métier, les sensations et les interrogations des professionnelles, créant les images et les situations et comment opère la nudité dans les clubs. Un en particulier, le Chochotte, un théâtre érotique parisien. Pour rendre tangible le professionnalisme insoupçonné de cet univers, largement recouvert de sombres préjugés, la mise en scène fait se succéder extraits documentaires, scènes jouées, dialogues interrogeant interrogé. Depuis les fantasmes qui nourrissent à la fois le corps de l’effeuilleuse et l’imaginaire du client spectateur, et l’ambiance unique, affectueuse et débridée, qui bruite dans les coulisses du club, la complexité de ce monde de la nuit, de la séduction, du désir est mise à jour. Et on se prend à aimer ça.
Strip, au risque d'aimer ça, de et avec Julie Benegmos et Marion Coutarel. Les 26, 27, 28, 29 mai 2022 salle Le Kiasma - Castelnau le lez. Prochaines dates : 20,21 et 22 juillet : Festival Paris Quartier d'Eté. Les 29, 30 et 31 juillet : Festival Coocool. Du 23 Novembre au 3 Décembre : Théâtre 13 Paris.
