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Glenn Viel : « Ce qui m’éclate c’est faire plaisir aux gens »

par Pierre Magnetto
En 2020, le chef de l’Oustau de Baumière aux Baux-de-Provence a décroché sa troisième étoile à 40 ans. © Virginie Ovessian
En 2020, le chef de l’Oustau de Baumière aux Baux-de-Provence a décroché sa troisième étoile à 40 ans. © Virginie Ovessian
Champignon en strates de Glen Viel, L’Oustaou de Baumanière classé au 4e rang du palmarès mondial des meilleurs restaurants à légumes. © Virginie Ovessian
Champignon en strates de Glen Viel, L’Oustaou de Baumanière classé au 4e rang du palmarès mondial des meilleurs restaurants à légumes. © Virginie Ovessian
Style de vie Gastronomie Publié le 30/10/2022
Le chef triplement étoilé de L’Oustau de Baumanière dans les Bouches-du-Rhône s’est impliqué dans Marseille Provence Gastronomie en 2022, une manifestation célébrant tous les ans le bien manger en Provence. Mais le chef, investi dans la solidarité et l’éco-responsabilité, n’est jamais aussi à l’aise qu’au piano. Rencontre.

Vous avez participé cette année à Marseille Provence Gastronomie en élaborant un menu servi dans de nombreux établissements et en restauration collective. Est-ce facile pour un chef 3 étoiles de préparer un menu réalisable par autant de cuisiniers ?

Bien sûr, il ne s’agit pas d’un menu que je servirais à L’Oustau de Baumanière, mais ce n’est pas ça qui est important. L’objectif était justement de proposer des plats réalisables par tous les chefs souhaitant y participer, quel que soit leur niveau de savoir-faire et d’équipement. Le menu a été servi dans les établissements scolaires, des maisons de retraite et des Ehpad. L’idée était de faire des choses simples et accessibles et, ainsi, de faire du commun autour d’un bon repas. Par exemple on m’a reproché d’avoir mis du cabillaud au menu. Mais c’est un poisson qui ne coûte pas cher, les gens aiment bien, il n’y a pas trop d’arêtes. C’est tout bête mais il fallait juste privilégier le produit et la qualité. Le but de l’opération était de faire manger quelque chose de simple, de bon, de pas cher à travers un menu partagé simultanément dans de nombreux établissements .

 

Depuis Marseille Provence Gastronomie en 2019 la volonté du Département et de Provence tourisme est de continuer à faire vivre le projet. En quoi cela vous semble-t-il bénéfique pour le territoire ?

Si on ne fait rien il ne se passe rien, donc on s’ennuie. Monter ce genre d’opération maintient le territoire éveillé, attractif. Ça prouve que c’est une région qui a envie de se mobiliser à travers des actions autour de la cuisine, de la gastronomie. C’est très bien que des femmes et des hommes s’investissent dans ce genre d’événement afin que la région soit la plus attractive possible.

 

Avec MPG vous vous êtes investi dans une opération zéro déchets, en accord avec votre distinction de chef écoresponsable. C’est quoi pour vous être un chef écoresponsable ?

Vous savez, ça ne va pas bien sur la terre et chaque action menée est bénéfique. Chaque fois que quelqu’un fait une action, même si c’est peu, ça va dans le bon sens. Donc j’essaye de participer à ma manière à travers des ramassages de déchets comme nous l'avons fait sur la commune d'Allauch en octobre dans le cadre de MPG. A L‘Oustau de Baumanière, nous trions nos déchets pour nourrir des cochons. Notre établissement fait dans le luxe, et le secteur du luxe est un gros consommateur de produits. C‘est pour cela que nous nous attachons à réduire nos déchets. Nous le faisons de mieux en mieux. Nous avons des potagers cultivés en bio et nous allons doubler nos surfaces l’année prochaine. Nous n’utilisons pas de plastique pour le paillage, quand vous l’enlevez il reste toujours des morceaux dans le sol. C’est en faisant attention à des petites choses comme ça que l’on devient écoresponsable. Est-ce qu’on est les meilleurs, non. Est-ce qu’on fait mieux chaque année, oui.

 

Quel est votre rapport au terroir et à ses produits dans votre cuisine ?

Vous savez, je travaille dans une vieille maison qui a toujours été ancrée dans le territoire. Elle fait partie du patrimoine, elle est connue dans le monde entier. C’est une maison qui reflète bien la région. Quand on parle de Baumanière, on sait que c’est en Provence. Bien sûr je travaille avec des produits provençaux, mais je ne fais pas que ça, mon homard vient de Bretagne. Ce qui m’intéresse c’est le produit qualité. On parle souvent de proximité mais ce n’est pas forcément un signe de qualité. Le produit que vous allez sourcer loin peut être de très bonne qualité et meilleur que le produit cultivé ou élevé près de chez vous. Je recherche un produit qualité d’abord dans un court périmètre, mais si je ne le trouve pas je vais voir plus loin.

 

Vous faites partie des chefs impliqués dans l’association la petite Lili gérant le restaurant solidaire Le République à Marseille. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette démarche ?

C’est le chef Sébastien Richard qui est à l’origine du projet et c’est lui qui s’occupe de tout. Je l’ai soutenu avec d’autres chefs à travers une petite vidéo. C’est son engagement, sa volonté, il a demandé notre soutien, nous le lui avons donné. Bravo pour son action, bravo pour ce qu’il fait. C’est génial de pouvoir ouvrir la porte comme ça aux plus nécessiteux. Il faudrait qu’il y ait de plus en plus d'initiatives comme celle-là. Mais je n’aime pas trop parler de ce que je fais, la générosité doit rester discrète. Si on déballe tout, ce n’est plus de la générosité, c’est de la communication.

 

On assiste depuis quelques années à l’irruption de programmes télévisés liés à la cuisine et à la gastronomie. Comment expliquez-vous leur succès ?

Ce n’est pas étonnant qu’il y en ait autant. En vérité nous avons un territoire lourd, chargé en gastronomie, avec des plats traditionnels différents tous les cent kilomètres. C’est notre diversité géographique qui permet cette largeur. Nous avons quand même un patrimoine extraordinaire, et puis on mange deux fois par jour quoi ! Tout le monde est concerné, la nourriture parle à tous parce que c’est vital. Certaines personnes qui cuisinent à la maison trouvent un réel intérêt à suivre ces émissions. Je ne suis pas très surpris de cet engouement, ça me semble même logique.

 

Vous-même avez accepté de faire partie du jury Top Chef, qu’est-ce qui vous motive ?

La motivation première ça a été de rencontrer des gens, des jeunes. Les jeunes que je porte avec ma brigade arrivent à l’Oustau justement avec une vision de jeunes. Non pas que je ne le sois pas moi-même, j’ai 42 ans, mais j’aime bien savoir comment ils voient les choses, ce qu’ils apportent à cette cuisine en perpétuelle évolution. Ça m’intéresse aussi de rencontrer Philippe (Etchebest-NDLR), Hélène (Darroze – NDLR), Paul (Pairet – NDLR), d’échanger avec eux, de philosopher sur ce qui se fait aujourd’hui, sur notre travail. Je suis très enfermé dans ma cuisine à Baumanière, je n’en sors pas beaucoup. Top Chef me permet de m’ouvrir un peu, de comprendre d’autres choses.

 

La formation des grands chefs est longtemps passée par des itinéraires auprès de grands maîtres étoilés déjà établis. Avec Top Chef on a parfois l’impression d’avoir affaire à une génération spontanée. Le modèle est-il bousculé aujourd’hui ?

On peut le voir comme ça, mais je dirais surtout que le monde a changé et que ça a modifié la façon de percevoir les choses, de les vivre. Il est vrai qu’on passait par de grandes maisons, mais dans les grands chefs d’aujourd’hui il y a aussi des gens qui se sont faits tout seul. Il n’y a pas un seul chemin pour arriver à ce qu’on recherche. Toutefois il est vrai que les jeunes aujourd’hui sont plus spontanés, ils sont beaucoup plus ouverts au monde. En un clic on sait ce que fait un chef en Chine, au Japon… Il y a 40 ans il n’y avait pas Internet, juste deux ou trois magazines qui se battaient en duel, trois chaines de télévision. On voyageait beaucoup moins facilement. Tout est ouvert aujourd’hui en gastronomie, la France est devenue un département, l’Europe un pays et le monde un continent.

 

Parmi les tendances naissantes il y a quelques années, celle des food trucks s’est imposée comme un véritable phénomène. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Je crois que c’est bien parce que c’est ouvert à tout le monde. La gastronomie c’est assez élitiste, ça représente le haut du panier. Très peu de personnes peuvent se permettre d’aller manger dans un restaurant gastronomique à moins de casser la tire-lire. La street food peut convenir à beaucoup de gens. C’est une forme de gastronomie décomplexée, quand c’est bien fait et avec des produits de qualité évidemment. On peut prendre un plus grand plaisir dans un food truck que dans un gastro, ça dépend de ce qu’on vient chercher. Ce qui est important c'est de pouvoir donner accès à une nourriture de qualité au plus grand nombre.

 

Revenons à vous. En 2020 vous avez décroché une troisième étoile, comment avez-vous reçu cette distinction ? Avez-vous le sentiment qu’elle vous oblige, qu’elle vous met sous pression ?

Je l’ai vécu comme un shoot, une montée d’adrénaline exceptionnelle, j’étais sur le toit du monde. Pour tous les confrères qui la convoitent c’est tellement de travail, de sacrifices que quand ça tombe c’est un gros kif. Après il y a une retombée et c’est vrai que c’est dur à porter. Pour moi, c’est arrivé au moment du Covid. On a ouvert quatre jours et on a fermé tout de suite, c’était très anxiogène, pour nous comme pour tout le monde bien sûr. Une troisième étoile c’est très pesant, c’est quelque chose qu’il faut apprendre à dompter, qu’il faut canaliser. Aujourd’hui je n’ai plus de problème avec ma troisième étoile. Ce n’est plus quelque chose qui me fait peur. On peut être champion olympique et puis ne plus l’être la fois d’après, c’est la vie. Si demain nous n’en n’avions plus que deux, ça ne m’empêcherait pas d’être heureux et de continuer à faire de la belle cuisine. Mais je pense qu’aujourd’hui on progresse. Donc je n’ai pas d’inquiétude parce que j’ai le sentiment que la maison n’a jamais été aussi forte dans sa structure, dans son organisation. Nous sommes complets tout le temps, ça ne désemplit pas. C’est un signe, il n’y a pas de fumée sans feu.

 

En 2020 vous avez aussi été désigné chef de l’année par vos pairs. Qu’avez-vous ressenti ?

Le fait d’avoir été élu chef de l’année par mes pairs m’a rassuré. Ça voulait dire que la profession adhérait à ce que le Michelin avait pensé de ma cuisine, qu’elle avait vu le travail fourni, mon identité culinaire. Ça m’a fait du bien, tout comme le fait d’avoir été élu meilleur restaurant végétarien de France* et classé quatrième restaurant de la Liste des meilleurs restaurant à légumes du monde. Oui ça fait du bien, je ne vais pas cracher dans la soupe, ça me galvanise, ça me donne de l’énergie. Donc je vais bien, j’ai réussi à tout canaliser, je sais ce qui est important, ce qui est essentiel. Je n’ai pas de boule au ventre quand je vais travailler le matin. Nous sommes une belle maison, ce qu’on fait est très honnête et très sérieux., j’ai un patron formidable, que pourrais-je demander de plus. Il ne me manque rien. Le Michelin ne m’impose rien. Ses critiques viennent manger, ils font leur analyse mais tout ça, ça reste subjectif, même s’il y a des marqueurs et des curseurs. En fait l’émotion c’est quoi ? Ce n’est pas pour tout le monde la même chose, c’est très compliqué, ce n’est pas des mathématiques, c’est de l’ordre du viscéral, de l’idée qu’on se fait d’un plat, d’une culture culinaire, c’est le fruit d’une éducation reçue dans telle ou telle région… Nous n’avons pas tous la même perception, c’est de l’art ce qu’on fait. Ce qui m’amuse maintenant c’est de créer, ce qui m’éclate c’est de faire plaisir aux gens.

 

*Glen Viel propose un menu entièrement végétarien à L’Oustau de Baumanière.

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