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Mot de passe oublié ?Laurent Dréano : « L’Europe nous pousse à avancer »
« La question du féminisme aujourd’hui est un mouvement suffisamment important pour nous faire bouger sur d’autres lignes. Nous le prenons comme moteur d’évolution. » Quand, il y a cinq ans, Laurent Dréano est venu diriger la Maison de la Culture d’Amiens, il a ouvert la programmation du festival de janvier à d’autres théâtres de la ville. C’est devenu Amiens Europe, qui se joue au Safran, Scène conventionnée au nord de la ville, à la Maison du Théâtre, au Cirque. Cette année du 23 au 27 janvier.
La maison de la Culture d’Amiens fait également partie, depuis quinze ans, du réseau APAP, « un dispositif que nous avons constitué avec dix autres structures culturelles ». Ces dernières présentent une grande diversité, du Teatro Nacional Dona Maria II de Lisbonne (dirigé jusqu’en 2022 par Tiago Rodriges) à Temps de Fabrique qui accompagne la danse avec des studios en résidence à Berlin, du Bergen International Festival au Bouddha Kortrijk de Courtrai ou encore à Scene Salzburg et son festival. Aujourd’hui le réseau s’agrandit avec Station Belgrade, qui promeut des artistes serbes.
Quatre ans consacrés à la notion d’égalité. Après avoir travaillé pendant des années à la promotion de la jeune création performative et en danse sur les scènes européennes, « on s’est dit qu’on se connaissait suffisamment pour s’aventurer avec nos acquis sur d’autres terrains qui seraient thématisés » explique Laurent Dréano. Les artistes promus par les structures de l’APAP ont ouvert la perspective d’un festival à thématique féministe. C’est avec cette proposition que le réseau APAP a obtenu un nouveau soutien de l’Union européenne. « Notre réflexion a porté sur un « féminisme intersectionnel », qui englobe l’ensemble des discriminations. Or d’un pays latin à un pays scandinave on n’aborde pas le féminisme de la même manière. » Et le directeur d’illustrer ce constat par l’exemple du festival de danse de Reykjavik, partenaire du réseau : « alors que nous fonctionnions en visio pendant le Covid, les membres du festival s’interrompaient pour aller s’occuper de leurs enfants. Ils nous montraient ainsi que cette tâche fait partie de la vie. Au contraire avec Tiago Rodriges, on se retrouvait entre Lisbonne et Amiens sur des postures assez communes liées à notre histoire. Le passé colonial et le rapport à la représentation sur scène d’artistes afrodescendants est assez comparable au Portugal et en France. Tout cela est passionnant et nous a convaincus de déposer un dossier sur les notions d’égalité. Avec des artistes qu’on coopte, on va y travailler pendant quatre ans ».
Le réseau a décidé de coopérer avec 20 artistes. Les structures en ont d’abord choisi douze, puis elles ont demandé à ces douze artistes de choisir les huit autres. « La dimension européenne nous a permis d’inviter des artistes qu’on n’aurait jamais pu rencontrer, parce qu’on ne les connaissait pas » poursuit le directeur.
La thématique féministe rallie les nouvelles générations. En janvier 2022, un premier festival Amiens Europe - Feminist Futures a eu lieu, proposant, à Amiens d’abord, puis à Lisbonne, le même programme. Accompagné de discussions autour de la thématique et des spectacles. Stupéfait de constater l’immense intérêt du public, en particulier des jeunes générations, pour la thématique féministe, Laurent Dréano confie : Aujourd’hui il y a des valeurs que l’Union européenne défend, cela donne du sens aussi au rapport entre une politique européenne et une politique culturelle. J’ai grandi là-dedans, je suis pétri de l’idée qu’on a construit l’Europe et les politiques culturelles un peu pour les mêmes raisons. On ne l’a pas fait assez et on voit les limites du modèle européen. Mais sur le terrain de la lutte contre les discriminations, de l’égalité homme-femme, et peut-être aussi de questions liées aux mutations écologiques, l’Europe nous pousse quand même à avancer ».
L’an prochain, l’artiste finlandaise Sonya Lindfors, née en 1985 au Cameroun, participera au festival. Affirmant se sentir avant tout européenne, elle touche de son esthétique l’endroit où l’institution culturelle en Europe a beaucoup de retard, et ne bouge pas assez vite. De quoi pousser encore le moteur de l'Europe.
Le festival est conçu sur une semaine, avec cette année deux grands spectacles dans le grand théâtre de la Maison de la Culture. L’édition 2023 ouvre avec Billy’s Violence (notre article) où Jan Lauwers compose dix scènes issues de tragédies de Shakespeare dans lesquelles la femme est impliquée dans des violences psychologiques ou physiques liées à sa position d’enjeu de pouvoir. Elle s’achève avec Cristina Branco, magnifique voix du fado contemporain. De l’innovation performatique du théâtre de Flandre au folklore portugais, point l’image de la femme, des violences qui lui sont faites aux délices assumés de la féminité. Entre les deux, en solos et en duos, les propositions des artistes invités. Parmi eux, Tatiana Julien, dont la création interroge la question climatique et le rapport au corps, la bienveillance, qui crée ici un duo sensuel suscitant maintes interrogations. L’Italienne Chiara Versati, invitée elle aussi, est naine et pose les questions liées à la représentation d’artistes handicapés. Le rapport au corps, à la différence, à l’acceptation, fera l'objet d'un échange avec ces deux artistes. Une semaine riche de questionnements et de monstrations fortes.
