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Mot de passe oublié ?Après quinze années d’absence, la France a retrouvé le chemin de la Quadriennale de Prague, un événement international qui met en jeu et en compétition les pays et les écoles pour faire jaillir ce qu’inspire l’architecture théâtrale, la scénographie. Au théâtre, la scénographie est au service de la mise en scène, crée un environnement esthétique à l’écriture dramaturgique et au jeu des comédiens. La Quadriennale de Prague, organisée par le ministère de la Culture de Tchécoslovaquie, offre aux élèves et aux artistes la liberté de bouleverser cette définition à travers la performance et le design spatial. La centaine de pays participant à l’événement ont cette fois mis leur créativité à l’épreuve de la « Rareté », thématique de l’édition 2023. Le rendez-vous est donné aux visiteurs dans le quartier Holešovice, où l’immense site de l’ancien abattoir et ses halles sont en train de se transformer en un lieu polyvalent composé d’ateliers d’artistes, cafés, boutiques, centres culturels alternatifs. L’une des halles accueille les réalisations « Pays et régions », tandis que les « pavillons des écoles » sont installés en plein air.
La neuvième école. En confiant à Artcena la mission de coordonner la présence de la France à la Quadriennale, le ministère de la Culture a frappé à la bonne porte. En effet, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre a pour mission de promouvoir ces arts dans le monde, d’accompagner les compagnies et les artistes de l’art vivant, de proposer des formations et, en vue de la Quadriennale, de collaborer avec huit établissements nationaux d'enseignement supérieur formant à la scénographie.
Artcena en avait convaincu huit en 2019, qui ont composé la « Neuvième école ». Le nom est resté même si, cette année, ils sont sept étudiantes et étudiants à représenter chacun leur institution. Durant leur année d’étude, ils se sont réunis en vue de la conception et de la réalisation du « Pavillon des écoles » France. Ce fut à Cyril Teste, metteur en scène et concepteur, avec le collectif MxM, d’un théâtre filmique, de conduire les élèves de la Neuvième école, en duo avec la designer Nina Chalot, qui l’accompagne dans nombre de ses projets, et même en trio puisqu’ils sont promus la designer culinaire Céline Pelcé au rang de marraine. Mettant en pratique une pédagogie collaborative, accueillante, augmentée des savoir-faire de professionnels rencontrés en résidences, ces trois artistes ont œuvré à libérer l’imaginaire de chaque élève, à favoriser l’interaction. Prenant conscience de ses propres atouts, mettant à profit les compétences de l’autre, les élèves ont pu collectivement laisser s’échapper quelque chose de neuf et bien à eux. « Une démarche c’est pour moi déjà un objet artistique » affirme Cyril Teste. Et c’est précisément pour valoriser le processus de ce collectif, qui s’est donné le temps de découvrir, d’observer, d’évaluer les conditions de production avant qu’émerge le désir de faire, qu’est né le projet We Do Not Own The Water.
Faire parler la ressource naturelle. Le monde silencieux qui nous entoure, le minéral, le végétal, l’animal, s’est mis en travers de notre chemin d’homme moderne, dominateur, maîtrisant les éléments naturels pour les asservir. Le grand bouleversement que vit la planète a sans doute besoin de représentations pour être appréhendé. Le théâtre a-t-il besoin d’être repensé, dans son processus comme dans son objet, pour l’exprimer ? Il semble que la réalisation de la Neuvième école y participe activement.
Faire collectif, faire lien avec le vivant dans toutes ses dimensions, porter attention à toutes les ressources naturelles, d’où elles viennent et où elles vont. Faire collectif en étant bienveillant envers l’autre, le maître qui nous apprend et celui avec qui on invente. Ces notions ont guidé les résidences des élèves.
L’œuvre du Pavillon des écoles, We Do Not Own The Water, répond à la thématique Rareté par l’unique et la frugalité. Rejetant la profusion, un grand vide entoure les objets façonnés. Pas de rapport au sol, tout est à portée d’yeux, invite à toucher la pierre, à se laisser surprendre par son humidité, invite aussi à lever les yeux en suivant les lignes de cordages où sont suspendus des bris de roche calcaire laissés par le creusement de la pierre. L’ensemble et chaque détail font surgir maintes métaphores. Au lieu de proposer un objet de scénographie, le collectif a préféré inciter à une réflexion antérieure à la fabrication d’une construction théâtrale. Une réflexion sur notre rapport au monde ? Une réflexion qui prend appui sur les éléments organiques qui maintiennent l’homme en vie ? Une vision critique pour repenser le théâtre dans son milieu naturel ?
Au "Pavillon Pays et région", le plasticien Théo Mercier et sa collaboratrice Céline Peychet nous emmènent dans la ville. Construite à l’échelle de l’homme, leur installation Gun City Punch donne un coup de poing magistral à la cité. Constat social ? Pure intention démonstrative ? Les deux artistes ont trouvé leur expression en recourant exclusivement à un autre élément naturel, le sable. Meuble, s’échappant de la main quand elle veut l’emprisonner, le sable est ici devenu matériau de construction… et de déconstruction. L'ensemble propose un paysage désespéré, que contrebalance la main de l'homme, ici celles de trois sculpteurs de sable.
L’idée de sobriété et de recyclage sous-tend les deux projets représentant la France, qui seront peut-être lauréats de ce festival exceptionnel.