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Mot de passe oublié ?À quelques pas de la fontaine des Innocents, dans le quartier des Halles à Paris, la maison du geste et de l’image (MGI) s’est ouverte pour accompagner les enseignants d’Île de France et leurs classes, comprendre leurs besoins, avant de les mettre en contact avec un ou plusieurs artistes avec qui ils pourront travailler à une création. Il faut dire que la MGI a des arguments de poids. D’abord des médiateurs qui connaissent parfaitement les problématiques des profs et des ados comme celles des artistes. Ensuite un réseau d’artistes habitués à concevoir avec ce jeune public. « Les artistes avec lesquels on travaille, explique Marie Stutz, qui dirige la MGI, ont une grande capacité d’adaptation. Ils ont été capables de rebondir en temps de Covid pour continuer à travailler et maintenir le lien. Les enfants et les enseignants ont besoin de ce lien, de cette continuité. Cela demande une grande persévérance, une croyance dans la capacité de l’art à maintenir éveillé ».
Expérimenter par l’art, c’est le credo de cette maison qui accueille les élèves, de la maternelle au collège. « À l’école, il y a de la musique, du dessin, mais il n’y a pas de théâtre, de cinéma, de photo. Ils viennent ici faire une pratique artistique qui leur permet de développer plein de compétences complémentaires de celles qu’on apprend à l’école, voire même fondamentales, comme la capacité d’écouter, de se concentrer, de coopérer avec les autres. Ici les enfants ne font pas seulement l’apprentissage d’une technique artistique, mais l’apprentissage du faire ensemble. Chaque élève apporte ce qu’il est, ce qu’il a envie de dire au plateau, ou dans un travail vidéo ou photo ».
Les trois médiateurs (en arts visuels, théâtre, photo), à la MGI depuis trente ans, ont un entretien préalable avec les enseignants qui leur permet d’identifier l’artiste dont le savoir-faire correspond à la nature de la classe et à la problématique de l’enseignant. « L’ADN de notre maison c’est de travailler à partir des contraintes et des objectifs des programmes des enseignants, de la maternelle à la terminale, avec des artistes professionnels qui sont par ailleurs en création mais qui ont une appétence et une expertise en matière de transmission et de prise en charge d’un groupe classe, ce qui n’est pas donné à tout le monde ».
Le théâtre qui s'invente. La comédienne et metteure en scène Marie Piémontese, collaboratrice artistique de Joël Pommerat, témoigne de sa collaboration depuis 1995 avec la MGI : « Ce qui m’intéressait en tant que jeune comédienne, c’était le théâtre qui s’invente, qui s’écrit dans le contemporain. J’ai candidaté à la MGI en demandant si je pouvais travailler avec des enfants sur Valère Novarina. Le thème de la MGI cette année-là c’était le cirque, et je trouvais extraordinaire de prendre des morceaux des textes de cet auteur. On m’a confié une classe, c’était aventureux. La restitution s’est très bien passée. J’ai été accompagnée par l’équipe de la MGI dans ce désir de transmettre à un public jeune un théâtre novateur, exigeant, à une recherche, pas un atelier théâtre. Les liens se sont étoffés d’année en année, et j’ai fréquenté régulièrement cette maison. C’est devenu important de participer à la transmission de cette façon, avec un esprit de recherche, de curiosité, d’ouverture à la création qui se fait ».
La rencontre de deux univers. La MGI ne se substitue pas à l’enseignant, elle offre un cadre, des ressources, des équipements son, vidéo, montage, écriture, très pointus, et l’expertise d’artistes, comédiens, réalisateurs, metteurs en scène, photographes… qui ont une haute idée de la transmission, du partage. Le plasticien, auteur, metteur en scène et réalisateur Florent Trochel a fondé avec Marie Piemontese la Cie Hana San Studio. À la MGI, son objectif est d’appréhender toutes sortes de disciplines et trouver l’expression artistique qui correspond à des jeunes volontaires. « J’ai souvent été appelé par la MGI pour des projets spécifiques théâtre-vidéo, des projets hors temps scolaire avec des jeunes gens qui, pour la plupart, ont connu la MGI à travers des projets scolaires et y reviennent pour les vacances avec une envie. Il faut chercher avec eux, essayer de construire avec eux un groupe, faire le lien entre les intervenants, pour ensuite créer ensemble. Parmi les projets dans lesquels je suis intervenu, j’ai eu le grand plaisir de coordonner les Haut-parleurs, projet qui a la particularité de proposer un parcours de plusieurs disciplines, vidéo, photo, théâtre, danse, son, écriture, avec différents intervenants. Il en résulte une performance qui intègre l’ensemble de ce qu’ils ont travaillé. On essaye de faire se rencontrer nos univers, nos références avec les univers et les références de ces adolescents. C’est une aventure qu’on vit ensemble. On leur a dit qu’on ne savait à quoi on allait aboutir, que ça allait dépendre de la rencontre qui allait se produire entre eux et nous. C’est une situation qu’on utilise aussi dans nos créations avec des acteurs professionnels, et qui permet de faire émerger des choses qui n’émergeraient pas si on était dans le confort de nos habitudes de pensée. » Marie Piemontese, qui l’accompagne dans ce projet, poursuit : « Ce week-end par exemple, un gamin a dit : je peux devenir invisible ! Un autre ado lui dit : vas-y prouve-le ! Je suis intervenue en disant : « il ne faut pas faire ça parce qu’au théâtre on montre des choses qui ne sont pas vraies, mais si tu dis à ton partenaire ce n’est pas vrai il ne va pas pouvoir le faire, et en même temps tu casses l’émotion du spectateur. Le spectateur sait qu’on joue à croire que quelqu’un peut devenir invisible, tout à coup tu le fais retomber dans son réel ». A ce moment Florent est intervenu : « mais avec la vidéo on peut le faire ».
Un lieu de toutes les expérimentations. Jana Klein et Stéphane Choukroun (Cie S'Vrai) ont créé un théâtre « qui raconte souvent les processus de création ». Au cours de leur carrière, ils ont toujours beaucoup dialogué avec des groupes d’amateurs et d’adolescents, considérant que « dans l’acte créatif se posent toutes les questions dramaturgiques, émotionnelles, sociétales qui nous intéressent. Nous travaillons depuis plus de vingt ans en dialogue constant avec la MGI parce que c’est pour nous un endroit ressource. Les ados et les différentes expériences que j’ai eues ici m’ont autant appris que moi-même j’ai appris aux ados. C’est un endroit où on peut chercher avec tous les outils, ce qui est d’une grande rareté pour les artistes en production, parce que c’est très cher de réunir autant de moyens pour une production. On peut mêler audio, vidéo, écriture, improvisation, expérimenter plein de formes assez folles ». Ainsi le projet Passages, qui a été élaboré avec le théâtre Paris Villette et le théâtre du Fil de l’eau à Pantin, avec deux classes de chaque territoire, une classe de CM2, une classe de 6ème. « La Porte de la Villette était alors en travaux, l’idée était de voir comment passer de Paris intra-muros à la petite couronne. On avait aussi articulé le projet sur le passage du CM2 à la 6ème, un passage très important pour les ados ». Tout a été conçu avec les profs et avec les membres de la MGI, « qui ont une pensée forte et écrivent autant que nous les projets. Ils connaissent les lieux, les profs, ça a du sens pour ensuite rencontrer les enfants et qu’ils nous rejoignent. » Ils ont travaillé sur le projet pendant trois ans. Il y a eu beaucoup de réunions avec les profs et les directeurs des collèges, puis, la première année, a été créé un parlement des enfants. « Pour travailler sur la sensation de ce qu’est la prise de parole, comment elle peut être politique, et comment elle peut agir sur un territoire. Nous avons travaillé avec les profs d’arts plastiques, de français, de géo, un urbaniste. Les jeunes se sont retrouvés au Conseil départemental de Seine-Saint- Denis avec un micro, ils se passaient la parole, ils débattaient sur ce que cet espace allait devenir, et quel impact l’articulation de leur pensée allait agit sur le territoire. »
La deuxième année, avec l’irruption de Greta Thunberg, la question du climat préoccupait les enfants. « Là on est partis vers la fiction à travers une dystopie qui leur faisait inventer la façon dont eux, à quarante ans, ils pourraient parler à l’enfant qu’ils étaient en prenant la parole. Nous avons travaillé avec deux plasticiennes sur les habitats mobiles. La restitution, qui mêlait vidéo, son, défilé d’habitats mobiles, a eu lieu dans l’immense Espace Niemeyer du siège du parti communiste. La particularité de la MGI c’est aussi de pouvoir créer avec les enfants des journées entières, pendant une semaine. »
Un lieu ressource. « Les membres de l’équipe de la MGI ont une expertise pour les deux parties, celle des artistes et celle des groupes scolaires, souligne Florent Trochel. Ils comprennent la nécessité des artistes et leurs problématiques dans ces interventions auprès des public et en même temps ils comprennent les problématiques des enseignants et leur ligne d’horizon. Leur approche permet, et c’est rare, de faire ce lien. »
« Les profs ont de plus en plus besoin de ressources, de sortir de leur isolement pour aller chercher d’autres choses, constate Marie Stutz. Il y a eu une montée en puissance avec le pass culture, mais depuis la loi Peillon qui incite à l’éducation artistique à l’école beaucoup essayent. Nombre d’entre eux ne sont pas du tout convaincus, ils restent sur les fondamentaux, ne pensent pas qu’ils peuvent être aussi acquis ailleurs qu’à l’école. Mais une fois qu’ils ont traversé une expérience dans notre maison, ils sont convaincus. De la même manière, quand les enseignants viennent faire des formations, on les met au plateau et ils constatent ça les transforme, qu’ils ne positionnent plus pareil. »