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Mot de passe oublié ?Après la Renaissance et ses guerres fratricides, quelques troupes d’histrions s’aventuraient bien par-delà leur pays d’origine. Cela valut notamment à notre pays d’accueillir des compagnies italiennes qui firent belle concurrence à Molière. Mais si les auteurs de théâtre, de Shakespeare à Goethe en passant par Goldoni et Molière, commencèrent dès les XVIIIe siècle à être joués sur tous les tréteaux d’Europe, les Comédies et autres salles de spectacle restèrent des institutions nationales ou, au mieux, binationales.
Aujourd’hui encore si quelques théâtres, comme l’Odéon parisien, s’appellent Théâtre de l’Europe, la référence au vieux continent confère plus à l’esprit du théâtre, aux textes et aux compagnies présentées qu’à une réalité purement européenne. À la différence des festivals. Le premier d’entre eux, Avignon, qui accueille des spectacles en toutes langues et des compagnies de tous horizons, se veut festival européen et son nouveau directeur, le Portugais Tiago Rodrigues, a clairement affiché son intention d’un multiculturalisme doublé d’un multilinguisme. Sur les scènes de la cité papale, l’été 2023 a mis en avant l’anglais, celles de l’été prochain privilégieront l’espagnol.
Capitale européenne de la Culture. C'est d’ailleurs cet esprit festivalier qui préside à ce qui restera la première Cité européenne du théâtre. Le Printemps des Comédiens, deuxième festival d’arts vivants après Avignon, n’est pas étranger à la naissance de cette Cité qui marche dans ses pas au Domaine d’O.
Au moment où le ministère de la Culture tirant ses poches aussi vides que celles d’Harpagon renonce à créer la Maison du Théâtre aux Ateliers Berthier à Paris, l’institution montpelliéraine a l’audace de se lancer. Avec, en perspective, la candidature de la ville au label de Capitale européenne de la Culture. L’appellation est convoitée, une dizaine de villes françaises ont affiché la même ambition, quatre ont été pré-sélectionnées par le jury européen. L’heureuse élue sera désignée courant 2024.
Un Domaine d’O fabuleux. Maîtrisant l’organisation d’un festival salué chaque année pour sa programmation et sa créativité, Jean Varela, directeur du Printemps des Comédiens et désormais directeur de la Cité européenne, arbore déjà à son revers le savoir-faire nécessaire à une telle ambition. Sa vision est celle d’un espace ouvert à tous les théâtres et à tous ses acteurs, des plus reconnus aux jeunes étudiants et étudiantes formés sur place, accueillant pour tous les publics en ce lieu fabuleux qu’est le Domaine d’O.
La ville peut certes s’enorgueillir de son Centre dramatique national (CDN), le Théâtre des Treize vents situé sur un autre domaine, celui de Grammont à l’est, alors que le Domaine d’O est à l’ouest. Mais ce dernier a un avantage conséquent sur les anciens chais de Grammont. Étendu sur vingt hectares, le Domaine d’O est le résultat d’une de ces « Folies » languedociennes, des résidences secondaires luxueuses bâties sous l’ancien régime pour affirmer sa place, son rang et, accessoirement, son bon goût.
Plusieurs théâtres et espaces. C’est un riche roturier, Charles Gabriel Leblanc, qui, en 1710, va acheter le domaine, l’étendre en acquérant des terrains voisins, et affirmer son ambition. Fermier des gabelles, c’est-à-dire percepteur au nom du roi des taxes liées au sel, il ne manque pas de moyens financiers et agrandit le bâtiment existant auquel il adjoint un savant jeu de bassins et de fontaines. Le baron de la Contamine, évêque de Montpellier, en fera ensuite l’acquisition et il faudra attendre la séparation de l’Église et de l’État en 1905 pour que le domaine déjà connu sous le nom de Château d’O revienne au Département.
Ce n’est pourtant que ces vingt dernières années que le lieu prendra sa dimension culturelle avec la construction de plusieurs équipements. Le Domaine possède en effet un grand théâtre couvert, qui prend le nom de Jean-Claude Carrière, longtemps président de l’association du Printemps des Comédiens, équipé de 600 places assises et pouvant accueillir 1200 personnes debout, un amphithéâtre d’une jauge de 1800 places, un second, le Théâtre d’O, ancien chai aménagé en deux salles, une de spectacle de 200 places, l’autre de répétition, un amphithéâtre à ciel ouvert de 1 600 places, et plusieurs espaces où se montent gradins ou chapiteaux pour accueillir les spectacles des nombreuses compagnies invitées.
Plusieurs festivals. À la différence du domaine de Grammont qui doit mettre des navettes à disposition des spectateurs, le Domaine d’O est desservi par le tramway. Un atout pour la Métropole qui a pris en charge le domaine, en 2018, avec l’ambition d’en faire ce qu’il devient aujourd’hui, la Cité européenne du théâtre. Les Montpelliérains se sont rapidement appropriés l’espace, avec son restaurant, sa pinède, ses bassins et ses festivals organisés avec un grand professionnalisme. Dès le mois de mai, Saperlipopette est destiné au jeune public, suivi en juin du Printemps des Comédiens, en juillet du festival Radio France, puis des Folies d’O, des Nuits d’O et de La Métro fait son cinéma. À l’automne, le festival Arabesques consacré aux cultures arabes et Ekilibr voué au cirque contemporain complètent cette occupation culturelle. C’est dire si les arts vivants ont leur place au Domaine d’O qui a déjà accueilli les plus grands noms de la création européenne contemporaine, d’Ariane Mnouchkine à Julien Gosselin et Sylvain Creuzevault, les Allemands Thomas Ostermeier et Frank Castorf, les Italiens, de la Sicilienne Emma Dante à Romeo Castellucci et Pipo Delbono, sans oublier Simon Mc Burney et Ivo van Hove. Un beau parrainage pour une Cité qui s’est déjà lancée dans la production et la coproduction de spectacles européens, en tournée actuellement sur le continent comme La répétition / Persona de Ingmar Bergman adapté et mis en scène par le Néerlandais Ivo van Hove avec Emmanuelle Bercot et Charles Berling. Cette saison, la Cité européenne du théâtre donnera naissance à Bérénice, créée en résidence au Domaine d’O dans une mise en scène de Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre.