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Jean Varela : « On en a rêvé, voilà la Cité européenne du théâtre »

par Véronique Giraud
« Le Domaine d’O, un lieu dévolu au spectacle vivant et à la création, avec des constructions de théâtres, d’un amphithéâtre, d’aires à chapiteau » explique Jean Varela. © Marc Ginot
« Le Domaine d’O, un lieu dévolu au spectacle vivant et à la création, avec des constructions de théâtres, d’un amphithéâtre, d’aires à chapiteau » explique Jean Varela. © Marc Ginot
Arts vivants Théâtre Publié le 11/11/2023
Une Cité européenne du théâtre se construit en réunissant deux fleurons de la métropole montpelliéraine : le Domaine d’O, un site magnifique dévolu au spectacle vivant et à la création, et le Printemps des Comédiens, festival dont on découvrira la 38e édition en juin 2024. Jean Varela, son directeur, nous parle de cet ambitieux projet qui joue la continuité tout en offrant un temps long de production, de diffusion et de rapport au spectateur.

Le projet de Cité européenne du théâtre est un événement. Comment en est-on arrivé à un tel projet ?

C’est une belle illustration de ce que peuvent produire sur le temps long les politiques publiques. Au moment des lois décentralisation Mitterrand-Deferre, le Département de l’Hérault de l’époque choisit sous l’impulsion de Daniel Bedos de créer un festival de théâtre, le Printemps des Comédiens. À partir de ce festival a été imaginé sur plus de trente ans la transformation du Domaine d’O en un lieu dévolu au spectacle vivant et à la création, avec des constructions de théâtres, d’un amphithéâtre, et d’aires à chapiteau.

Il est arrivé un moment où il paraissait important que le Printemps des Comédiens, pour son développement, ne soit pas cantonné à une période calendaire festivalière mais puisse étendre son activité à l’année pour mieux accompagner les artistes et les spectateurs. Est née alors l’idée de la fusion entre l’association Printemps des Comédiens et l’établissement public qui gère le domaine d’O pour créer cette Cité européenne du théâtre.

C’est donc un cheminement au long cours, et une démonstration que lorsque les politiques publiques sont persévérantes, ne baissent pas la garde, accompagnées par le dynamisme des artistes et la curiosité des spectateurs, on peut rêver à des lieux comme celui que sera le domaine d’O.

 

Comment s’associent Cité européenne du théâtre et Printemps des Comédiens ?

La Cité européenne du théâtre sera un EPCC (établissement public de coopération culturelle) qui réunira le Domaine d’O et l’association Printemps des Comédiens qui vont disparaître en tant que tels. Les deux entités seront versées dans ce nouvel établissement public. L’appellation sera Cité européenne du théâtre et le Printemps des Comédiens restera le temps fort de l’année en juin. Resteront également Saperlipopette, temps spécifique en direction du jeune public, et Les Nuits d’O.

 

La candidature de Montpellier Capitale européenne de la culture 2028 a sans doute favorisé cette réorganisation ?

Avant tout, cette candidature trouve une légitimité parce que depuis quarante ans il y a une politique publique en faveur de la danse, de la musique, de la formation, et que tout cela la rend possible. La candidature donne aussi une nouvelle dynamique, une visibilité, une ambition renouvelée. Cela nous requestionne collectivement.

 

Quelles ambitions artistiques, esthétiques et vers le public marqueront l’EPCC ?

Nous avons montré la voie depuis plusieurs années au Printemps des Comédiens en faisant avancer, avec mon équipe, la programmation. Nous avons montré comment nous pensons la structuration du théâtre d’art sur Montpellier. D’abord l’accompagnement des jeunes artistes, notamment ceux issus de l’école nationale supérieure (ENSAD), et tous ceux qui œuvrent sur le territoire. Nous avons créé pour cela le Warmup, et mis en place un travail d’accompagnement des spectacles sortis de l’école. Nous avons également créé Campus, ce lieu de formation continue permettant aux artistes de requestionner leur art et de s’entraîner en permanence. Et nous avons lancé avec le Domaine d’O une cellule de production qui a porté, au printemps dernier, la recréation en français par Ivo Van Hove du spectacle Après la répétition et Persona. La première à Paris, qui a eu lieu le 6 novembre au Théâtre de la Ville, marque l’ouverture d’une très grande tournée nationale et internationale.

Dans la saison d’hiver, et toujours avec cette cellule de production, la production de Bérénice mise en scène par Romeo Castellucci se jouera dès cette saison au Théâtre de la ville de Paris avant, là aussi, une tournée européenne. Le Phèdre de Sénèque, que Lavaudant avait créé chez nous l’an dernier, a été joué en octobre au Théâtre Athénée-Louis Jouvet à Paris. C’est aussi une coproduction de la maison. N’oublions pas que derrière ces spectacles que nous produisons ou coproduisons, il y a des emplois, artistiques, techniques, administratifs. Cette cellule de production a permis de lever partout en France et en Europe des parts de coproduction qui alimentent les charges de travail de tous les métiers du théâtre.

 

 

Quelles ambitions pour conquérir le public ?

Cette exigence, que je viens de décrire, il faut la faire partager au plus grand nombre. Là notre travail nous permet de solliciter et d’entretenir en permanence la curiosité, l’étonnement du public. C’est un des grands enjeux de notre maison. Nous bénéficions pour cela de l’environnement exceptionnel du Domaine d’O. C’est un lieu du sensible dans lequel on a envie de venir, non seulement au spectacle mais aussi pour partager un moment, boire un verre, dîner entre amis avant ou après. Ce jardin d’Épicure nous aide dans ce travail de conquête du public.

Puis, il y a une panoplie d’actions. Comme celle que nous menons avec l’institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL), un labo qui réunit l’Université Paul Valéry - Montpellier et le CNRS. Nos actions vers les collégiens, avec ce que nous appelons le Printemps des collégiens, qui apporte une action de création dans l’école avec des ateliers organisés tout au long de l’année, animés par des artistes professionnels, et des interventions de chercheurs de l’IRCL. Ces ateliers ont eu pour thème « le théâtre élisabéthain », ou encore « Shakespeare et la citoyenneté ». Et, pendant une journée, nous accueillons ces collégiens au Domaine d’O où ils découvrent les métiers du théâtre. Ils sont aussi accueillis sur le campus de Paul Valéry.

 

Un temps long de représentation d’un spectacle ne favorise-t-il pas aussi la conquête du public ?

La série de représentations est un outil extraordinaire de conquête de nouveaux publics parce que l’objet artistique s’installe et, du coup, le rapport même de l’équipe du théâtre à ce nouvel objet fait sortir d’une course effrénée pour passer d’un spectacle à l’autre. Ça change totalement à la fois l’énergie, l’atmosphère et le rapport au public. Au fur et à mesure des représentations, le bouche à oreille, la rumeur font que la salle est de plus en plus complète. Une émotion se crée sur le domaine. Plus un spectacle se joue, plus il a la chance de s’épanouir. C’est quelque chose qu’il faut requestionner, notamment à l’aune de nos interrogations sur l’écologie, sur les déplacements, etc.

 

Quels soutiens sont apportés à la Cité européenne du théâtre ?

Le budget cumulé des deux maisons s’établira entre 7 et 8 millions d’euros, avec toujours l’engagement de Montpellier - Métropole et une arrivée très forte du ministère de la Culture. Ce dernier, déjà partenaire majeur depuis quelques années du Printemps des Comédiens, et qui a accompagné son développement de façon spectaculaire, va siéger à la table de l’EPCC. C’est un signe très fort pour la suite. Tant au niveau du fonctionnement de la maison que des investissements futurs car il faut considérer que le Domaine d’O n’est pas terminé. On rêve encore à de nouveaux équipements. Il y a encore des efforts à faire pour porter pleinement ce projet de Cité européenne du théâtre. La présence permanente des artistes est nécessaire, pour leurs recherches et leurs répétitions. Des résidences ont débuté au nord du domaine, avec Ivo Van Hove et aussi Julien Gosselin qui a travaillé ici un mois pour créer Extinction. C’est ce travail que nous allons devoir développer, avec les outils nécessaires.

 

L’opéra Comédie est redevenu, comme à son origine, un lieu de représentation théâtrale. Cela ramène le théâtre au centre de Montpellier…

Le maire président Michael Delafosse, qui a été longtemps trésorier de l’association Printemps des Comédiens, a toujours émis le souhait de voir le théâtre revenir en centre-ville. Force est de constater que, à part le Hangar Théâtre, il n’y a pas de salle en centre-ville à Montpellier. Il nous a demandé, à Thierry Négrou et à moi-même, d’entrer en discussion avec Valérie Chevalier, la directrice de l’opéra, pour pouvoir y donner quelques spectacles de la saison du Domaine d’O. Cela nous permet aussi de requestionner la place du spectateur, c’est passionnant. On ne regarde pas un spectacle de la même façon dans un théâtre à l’italienne, dans l’amphithéâtre d’O ou dans le théâtre Jean-Claude Carrière. Cela nous permet aussi de faire entrer dans ce merveilleux opéra des jeunes gens, des nouveaux spectateurs. Après l’Othello de Sivadier, il accueillera en 2024 La puce à l’oreille par la Comédie-Française, puis L’avare de Jérôme Deschamps. J’espère que nous pourrons continuer.

 

Tout cela révèle un esprit de coopération entre les diverses institutions…

Oui, un des points positifs de la candidature Montpellier Capitale européenne de la culture c’est de nous avoir fait parler davantage les uns avec les autres.

 

La Comédie-Française est devenue un rendez-vous incontournable du festival, et maintenant de la saison…

Nous avions créé, du temps de Muriel Mayette, la pièce Hernani dans le bassin du Domaine d’O et depuis nous avons tissé des liens avec cette grande maison. Les relations avec Éric Ruff et son équipe sont fraternelles, nous avons de grands projets ensemble que nous partagerons, je l’espère, avec les Montpelliérains. L’an dernier, il est venu ici, il a pu découvrir la qualité de nos équipements, de nos équipes. Lui qui a créé une académie à la Comédie-Française a vu le travail fait ici sur la filière.

 

Vous dirigez depuis 2011 le Printemps des Comédiens, comment percevez-vous l’évolution de l’art vivant ?

Je pense que c’est très difficile pour les compagnies. Ça l’a toujours été, mais aujourd’hui la difficulté va croissant. Il faudrait prendre le temps de l’analyse. Je trouve qu’il y a une immense créativité. Les jeunes artistes sortent avec une grande maturité, c’est un gage formidable sur l’avenir.

L’histoire du festival est aussi dictée par les lieux qu’on doit occuper. Programmer du jazz dans l’amphithéâtre d’O avec ses 1 800 places, 1 200 pour le théâtre, c’est une très vaste jauge aujourd’hui. On ne programme pas la même chose au théâtre d’O ou au théâtre Jean-Claude Carrière. Cela nous oblige, et nous permet. Comme le disait Roger Gonzalez, « le théâtre ce n’est pas ça ou ça, c’est ça et ça ».

 

Le festival rassemble des esthétiques différentes…

Quand Julien Gosselin monte Thomas Bernhard, entré dans le répertoire, il utilise des médias qui font appel au cinéma, à la musique pour offrir au public un voyage, depuis l’immersion dans la rave party, au frontal et enfin au centrage du texte et de la comédienne lisant Extinction entourée de spectateurs. Georges Lavaudant, pour son Phèdre, est lui dans une esthétique de travail d’acteur qui ne fait pas appel à la vidéo ou tout autre média extérieur au texte. C’est moins le répertoire que les diverses approches esthétiques et le rapport scène salle qui sont questionnés. Ce questionnement du rapport scène salle, on a pu aussi le trouver dans l’adaptation du podcast radiophonique de Philippe Collin (Léon Blum une vie héroïque) avec la participation d'acteurs professionnels et amateurs. Il y a une ébullition fantastique.

Le théâtre documentaire a pris une place non négligeable dans la programmation. Nous l’avons eu cette année avec Esthétique de la résistance pour lequel Sylvain Creuzevault s’est inspiré du roman de Peter Weiss. Dans le Warm up aussi. Le documentaire passionne beaucoup les artistes.

 

Une nouvelle page s’ouvre donc pour le festival ?

C’est une continuité. Je dis souvent qu’Avignon c’est le symbole de la reconstruction après guerre, le Printemps des Comédiens est le symbole des lois de décentralisation de 1987. Aujourd’hui, devant la multiplication effrénée des festivals, nous devons nous, festivals qu’on peut qualifier d’historiques, requestionner notre place dans la cité. Que pouvons-nous apporter au développement humain dans la cité qui nous a porté pendant presque quarante ans et plus de soixante-dix ans pour Avignon ? Comment pouvons-nous nous inscrire dans le temps calendaire long pour sortir de l’événementiel, de la vitrine ? Nos festivals doivent essayer d’accompagner les habitants vers le sensible, notamment les jeunes. Et cette intuition qu’a portée Mikael Delafosse de réunir le Domaine d’O et le Printemps des Comédiens va dans ce sens. Ce n’est pas un nouvel horizon, c’est simplement une maturité, une continuité des politiques publiques.

 

Quels sont les principaux freins à l’élaboration de cette construction ?

Je pense que les grandes difficultés sont en nous-mêmes. Il faut garder l’esprit pionnier, une agilité, toujours garder en conscience aigüe que nous sommes là au service des artistes. C’est le plateau, la création et le rapport au public qui sont notre raison d’être. Il s’agit de ne pas verser dans une bureaucratie tatillonne, mais d’avoir cette capacité à l’adaptation permanente.

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