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Mot de passe oublié ?Interpellant le public dans sa longue robe noire, les cheveux soigneusement agencés, les lèvres soulignées de carmin, Carole Thibaut se fait présentatrice du spectacle qui va suivre, rappelant aux spectatrices et spectateurs les règles à observer pour vivre un moment de théâtre. Son humour et son sens politique mettent en exergue le paradoxe d’être à la fois une directrice de CDN, celui de Montluçon, et une autrice bien décidée à partager sur la scène sa nécessité de décrire l’implacable machine qui maintient la femme sous domination masculine. Pour en sortir.
Tout commence avec le père. Un décor de conte dominé par le velours cramoisi de deux grands rideaux et du même velours habillant une baignoire aux pieds de lion dorés, et un cerf dont on ne distingue que la tête. Allongée dans la baignoire, Carole Thibaut conte l'histoire d'une chevalière, une fable grave dont une petite fille est l’héroïne. La symbolique du conte fait ensuite place à celle, intime, de sa vie de petite fille, d’adolescente, de femme, autant de cycles ponctués par les images d'archives familiales que diffuse un petit téléviseur posé sur la scène. Tout commence avec le père, figure dominante qui conditionne un devenir empêché, régulé, soumis aux injonctions de genre. L’autrice, comédienne et metteure en scène incarne l’évolution désespérante de la femme, les revers du glamour et de la bonne conduite. Utilisant tous les artifices du théâtre, tous les excès de la comédie, Carole Thibaut dresse un portrait réaliste de la vie d'une femme d'aujourd'hui. Elle effraie en énonçant des mots justes, documentés. L’invention est ailleurs, elle est dans l’engagement d’une femme qui ne se lasse pas de créer pour faire entendre ce qui est resté inaudible ou banal dans notre société.
Relents d’une histoire millénaire. Dans le théâtre antique, Deus ex machina évoque une divinité dont l’apparition sur scène (par un artifice de machinerie) permet le dénouement d’un drame. En intitulant sa performance Ex Machina, Carole Thibaut se libère de la figure du dieu pour ne retenir que l’idée de sortir de la machine dont est issue la condition féminine. Une machine dont les conséquences sont énumérées en moments de vie, souvenirs d’enfance, expériences traumatiques, en relents d’une histoire millénaire qui englue la femme malgré elle.
Le public des Plateaux Sauvages est, ce soir du 1er décembre, majoritairement féminin, pourtant chacune et peut-être chacun, est frappé par la justesse et le drame d’un tel récit. L’humour souligne avec élégance des faits connus, on ne découvre rien, on se sent simplement uni à cette femme, autrice, comédienne, directrice de CDN.
Tout cela interroge bien sûr la place du théâtre. Celui de Carole Thibaut se nourrit de chair, de révolte, du désir de représenter, d’écrire en tentant de faire surgir tout ce qui a été subi, enfoui. Elle avoue à un moment avoir hésité entre conférence et spectacle. Ce qu’elle produit est à la fois bavard et formel, débridé et frontal, appuie fort sur la conscience, la seule à pouvoir faire bouger les choses.
Ex Machina de et avec Carole Thibaut, du 27 nov. au 2 déc. 2023 aux Plateaux Sauvages, Paris. Du 30 janvier au 3 février 2024 au TNP Lyon. Le spectacle a été créé le 14 nov. 2023 au théâtre des Îlets CDN de Montluçon.
Ex Machina est publié avec Longwy-Texas par Lansman Éditions, Manage, Belgique, 2023.