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Mot de passe oublié ?Avec son titre, Amiens Tout-monde, le festival dont Laurent Dréano assure la direction artistique à la Maison de la Culture d'Amiens (MCA) affiche une sacrée ambition. En cette soirée du 2 avril, il prend tout son sens avec un grand écart géographique entre deux îles lointaines, La Réunion, dans l’Océan indien, Timor de l’archipel indonésien. La Réunion et Timor ont en commun un passé colonial. La comédienne Zia Soares fait resurgir la mémoire de son Timor, colonie portugaise pendant quatre siècles, à travers des rites et des danses, pleurant les corps disparus. Vincent Fontano, qui s’est exprimé d’abord en créole, a choisi d’évoquer en français les plaies de son île.
En première partie de soirée, l’artiste réunionnais conviait le public sur la scène du Petit théâtre de la MCA pour une lecture de sa troisième pièce. Après Loin des hommes et Après le feu, l’auteur, réalisateur et metteur en scène produit à Amiens une première lecture publique de son texte, intitulé Grand blanc. Entouré de plusieurs jeunes gens à qui il avait demandé d'intervenir au cours de la représentation, Vincent Fontano, une comédienne et un comédien, manuscrit à la main, donnaient ce texte que l’auteur présentait comme non abouti. Son besoin s’échanger à ce stade, la nécessité d’une écoute attentive, d’observations, voire de questionnements l’ont poussé vers la maison de la culture d’Amiens où il se sait accueilli.
Laurent Dréano, qui dirige l’institution, a découvert son travail alors qu’il était à La Réunion, sur les recommandations de la directrice du FRAC de l’île. C’était une représentation de Loin des hommes. Depuis, il est devenu artiste compagnon de la MCA où toutes ses productions sont présentées au public.
Avec Zia Soares, la rencontre s’est faite grâce au partenariat que Laurent Dréano entretient avec douze lieux culturels d’Europe depuis plusieurs années. Grâce à ces échanges entre responsables de lieux culturels, une vingtaine de compagnies se produisent chaque année dans chaque pays. Quand il a vu ce que faisait Zia Soares, Laurent Dréano aurait aimé la programmer au sein de l’autre festival de la MCA, Feminist Future, mais les dates ne convenant pas, et c’est à l’agenda de Tout-Monde que s’inscrit sa performance, Fanun Ruin. Mêlant vidéo, installation, pas de danse, texte (sous-titré en français), Zia Soares parvient à nous faire entrer dans son univers mental par lequel elle communique et rend hommage aux ancêtres de son peuple, de sa famille, réduits à l’esclavage et dont les corps n’ont pas été ramenés à leurs proches. Puisant l’énergie de faire revenir ces corps, par son esprit et sa gestuelle, l’artiste crée et recrée un monde où elle communique avec les morts. La performance tient à la fois d’un exercice spirituel et d’une esthétique spectaculaire qui crée elle aussi un lien entre passé et présent, entre métiers à tisser la laine et infographie performante sur grand écran. Vêtu d’une robe au rouge éclatant, le corps de la comédienne aux long cheveux noirs de jais devient réceptacle pour mieux réactiver une histoire enfouie. Après avoir assemblé les métiers à tisser, qui du même coup, prend une forme de temple ajouré, elle se glisse dessous, ferme les yeux, évoque son peuple, tandis qu’une larme coule.
Reste le sentiment d'avoir fait un grand bond vers des cultures méconnues, vers des artistes qui s'emploient à les interroger et les faire voyager. Loin, très loin.
Festival Amiens Tout-Monde, du 2 au 5 avril 2024, Maison de la culture d'Amiens.