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Montpellier Danse 2024 : Un vent de créations

par Véronique Giraud
L’opéra Comédie accueille les 24, 25 et 26 juin, en création mondiale, Quand la lune se lève de Josef Nadj. La pièce interroge une mémoire lointaine. © Théo Schornstein
L’opéra Comédie accueille les 24, 25 et 26 juin, en création mondiale, Quand la lune se lève de Josef Nadj. La pièce interroge une mémoire lointaine. © Théo Schornstein
Arts vivants Danse Publié le 30/05/2024
Montpellier Danse retrouve l’essence même de ce que devrait être un festival, un condensé de créations. C’est par là que se renouvelle un art, un artiste, un public. Au programme de cette 44ème édition, une vingtaine de spectacles, dont six créations mondiales et une dizaine de créations françaises. Du 22 juin au 6 juillet.

Dès l’ouverture du festival, la salle Berlioz de l’opéra Corum devrait se métamorphoser avec Wayne McGregor qui offre à Montpellier la première mondiale d’un spectacle aux ambitions avant-gardistes. Avec Deepstaria, le chorégraphe britannique continue d’explorer la relation entre l’expérience en direct et l’expérience numérique. S’appuyant sur les dernières avancées en matière d’intelligence artificielle, de recherche acoustique et d’informatique spatiale, McGregor conçoit une œuvre mouvante à plusieurs dimensions, où la danse se confronte au métavers.

Auparavant, à 18h, une tout autre partition se jouera au Théâtre des 13 Vents. La pièce How In Salts Desert is it Possible To Blossom… est une collaboration de Robin Orlin avec Garage Dance Ensemble, une compagnie basée à O’Okiep dans la Province du Cap Nord. Très peu connue, cette région d’Afrique du Sud est pourtant un concentré de l’histoire du pays. Les drames de sa colonisation et sa richesse culturelle, son humour et son humanité, forment le terreau de la compagnie, ses danseurs, performeurs et musiciens sont tous originaires de Cap Nord. Avec cinq de ses danseurs et deux de ses musiciens, la chorégraphe native de Johannesburg crée une performance qui travaille les questions du pouvoir, des hiérarchies sociales, des violences sexuelles avec, à l’horizon, une coexistence égalitaire.

 

Poésie et musique. Autre création mondiale, Voice of Desert est le nouvel opus de Saburo Tashigawara, rare chorégraphe de danse contemporaine dont le pays natal, le Japon, lui préfère le ballet classique. Tashigawara a pourtant construit une œuvre immédiatement reconnaissable, centrée sur le cycle de la vie, qui est très tôt entrée au répertoire du ballet de l’Opéra de Paris et du ballet de Francfort. Costumes, éclairage, dispositif scénographique, il conçoit ses créations dans leur globalité. Au Japon, il enseigne, anime des ateliers, encourage la jeune génération de danseurs. Il a reçu des distinctions et des prix prestigieux, au Japon et à l’étranger. En 2021, il a été nommé directeur artistique d’un théâtre d’art à Nagoya et, en 2022, il a remporté le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise et a été désigné comme « personne de mérite culturel » pour ses contributions culturelles exceptionnelles à l’avancement et au développement de la culture japonaise. Évoquant Voice of Desert, Tashigawara décrit la pièce comme « un corps fait d’air. Un poème fait par le corps. Quand le poème bouge, il devient une danse appelée le vent ». La pièce est donnée en plein air, au Théâtre de l’Agora, les 22, 23 et 24 juin.

Anne Teresa de Keersmaeker lie depuis longtemps son art à une grande variété de partitions musicales. Des plus contemporaines aux plus classiques, et même à la pop music l’an dernier avec Exit Above. Cette fois, la danseuse et chorégraphe explore les quatre concertos pour violon qui composent Les quatre saisons d’Antonio Vivaldi. L’interprétation musicale, choisie au diapason de ses chorégraphies, est celle enregistrée par la violoniste Amandine Meyer, collaboratrice de longue date avec la compagnie Rosas, qui a su magnifier l’ode à la nature qu’est ce « tube » du répertoire classique. C’est ce dont s’empare cette création 2024 que de Keersmaeker partage sur scène avec le danseur et chorégraphe bruxellois Redouan Mriziga.

 

Interroger la danse. L’opéra Comédie accueille les 24, 25 et 26 juin, en création mondiale, Quand la lune se lève de Josef Nadj. Cette pièce est née du désir des interprètes avec lesquels Nadj avait chorégraphié Omma (2022) de poursuivre une collaboration avec lui. Omma est née de l’envie de « nettoyer le plateau, de faire tabula-rasa et de faire face à cette idée terrible : comment revivre le commencement ? » explique le photographe, plasticien et chorégraphe qui a eu envie de sculpter sa création en dialoguant avec les corps en mouvement pour mieux exprimer le présent. Et, pour cela, de rencontrer des danseurs venus d’ailleurs que d’Europe. C’est avec huit danseurs africains, « avec un autre passé, une autre mémoire que moi », que Nadj a cherché à « trouver une étincelle nouvelle » pour se lancer sur une piste « qui va nous donner la force et la fraîcheur de reposer des questions sur la danse ». Cette recherche de la mémoire lointaine, collective, et du mouvement essentiel sur le plateau, a entamé un processus dont Omma fut le premier acte, Quand la lune se lève. poursuit le questionnement.

Expérimenter la danse à travers leurs propres corps c’est ce qui anime Mette Ingvartsen avec Manon Santkin. Elles se sont connues à Bruxelles, élèves à PRATS (école fondée en 1995 par Anne Teresa de Keersmaeker), et ont depuis coréalisé dix pièces performées par Manon Santkin. Leur nouvelle création, Rush, a été suscitée par la nécessité d’étendre la danse pour « inventer une nouvelle pratique multidisciplinaire ». Entremêlant le travail de la performeuse à des extraits d’œuvres existantes, le sujet du renouvellement est posé, tout en maintenant en éveil les vingt années de leur collaboration.

 

Le roller et la ville comme sujets politiques. Marta Izquierdo Munoz a grandi dans un quartier populaire en périphérie de Madrid en Espagne. « J’étais entourée de junkies, de prostituées et de joueurs de flamenco ». C’est à cette époque qu’elle commence à pratiquer le sport, le roller et la danse, « comme une manière de survivre à ce quartier où la mort rôdait à tous les coins de rue », chaussant ses rollers pour tenter d’éloigner le passé franquiste. Après Imago-Go (2018) sur la figure de la majorette et Guérillères (2021) sur celle des guerrières de guérillas, Marta Izquierdo Munoz donne un troisième volet à son travail sur les communautés féminines et leurs pratiques. Avec Rush, la pratique du patin à roulettes est évaluée par le prisme du roller derby, sport de contact et actuel foyer de luttes politiques.

Interpellé par la mutation du centre-ville de Los Angeles et les effets de sa piétonnisation, Dimitri Chamblas a voulu faire resurgir les fantômes des déshérités qui hantaient les rues et qu’on a fait disparaître du paysage. À travers les évolutions de danseurs habillés de sombre, takemehome (ramène-moi à la maison) compose « une ode aux oubliés des grandes villes ». Le chorégraphe a fait confiance à la maîtrise artistique et à l’expression propre à chacun des auteurs-interprètes dont les silhouettes et les ombres animent un espace ténébreux traversé par la musicalité de quatre guitares électriques composée par Kim Gordon. Le spectacle takemehome (ramène-moi à la maison) compose « une ode aux oubliés des grandes villes » commente le chorégraphe.

 

Et l’IA entre dans la danse. Après Necroplis, qui lui avait été inspiré par la mort des réfugiés tentant de rejoindre l’Europe, Arkadi Zaides revient à Montpellier Danse avec un autre phénomène de société. Intitulée The Cloud, sa création questionne l’intelligence artificielle. Se conformant au concept d’« hyperobjet » développé par Thimothy Morton, l’IA est ici sollicitée pour créer un nuage réel. The Cloud s’inscrit dans la démarche du chorégraphe pour lequel « il y a toujours ce questionnement de savoir comment porter une information réelle, documentée, et liée au monde avant de l’inclure dans la performance ». La pièce, dont l’IA devient co-créateur, s’appuie sur la présence sur scène de deux écrans, un dispositif qui permet « de s’engager avec les IA » tandis que, dans le même espace, « l’humain s’engage avec cette intelligence ».

La compagnie taiwanaise Cloud Gate donne sa première en France avec un spectacle de grande ampleur qui confronte l’IA à l’écologie. Le danseur et chorégraphe Cheng Tsung-Lung crée Lunar Halo avec l’idée qu’il faut vivre avec son temps, et tenter de trouver un nouvel équilibre. L’opéra Berlioz accueille la création.

Cette édition de Montpellier Danse met en perspective l’évolution la danse contemporaine depuis son apparition en France dans les années 70-80. Depuis les avant-gardes, qui ont contribué à une rupture et à imposer leur statut d’auteurs aux chorégraphes, jusqu’aux expérimentations actuelles qui œuvrent à écrire une nouvelle page de la danse, ou à l’étendre à d’autres disciplines et technologies. La réflexion sur ce que la chorégraphie des corps peut dire des préoccupations sociales, sociétales, politiques, environnementales, technologiques, historiques s’invite, et la danse joue la carte du monde, avec la conscience des déséquilibres, des manques, des mensonges, et la recherche des origines.

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