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Du roi de Naples au roi de Thèbes, deux œuvres très politiques

par Véronique Giraud
Une scène de Re Chichinella, d'Emma Dante. © Masiar Pasquali
Une scène de Re Chichinella, d'Emma Dante. © Masiar Pasquali
Jean Bellorini adapte et met en scène Antigone de Sophocle avec l'Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi, Tahera Jafari, Marzia Jafari. © Julie Parisot
Jean Bellorini adapte et met en scène Antigone de Sophocle avec l'Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi, Tahera Jafari, Marzia Jafari. © Julie Parisot
Arts vivants Théâtre Publié le 22/06/2024
L'édition 2024 du Printemps des Comédiens a fait se succéder dans la même soirée "Re Chichinella" d'Emma Dante au théâtre Jean-Claude Carrière et "Les messagères" de Jean Bellorini dans l'amphithéâtre d'O. Deux pièces, deux registres esthétiques, qui ont en commun la cruauté du pouvoir.

La chance que promet un festival est, en un même lieu, de pouvoir se déplacer d’un univers artistique à un autre. C’est ce qu’a produit le Printemps des Comédiens, les 18 et 19 juin, alors qu'étaient programmés ces mêmes soirs, à 20 heures et à 22 heures, Re Chichinella de la Palermitaine Emma Dante, puis Les messagères, adaptation d'Antigone signée Jean Bellorini. À des époques et des pays très distants, ces textes mettent en lumière deux rois, deux puissants. Le premier, Charles III d’Anjou, roi de Naples, est à la fois protagoniste et victime quand la poule avec laquelle il s’est essuyé s’accroche à son corps et le dévore peu à peu tandis que la cour avide recueille du gallinacée des œufs en or. Cette farce cruelle et drôle, merveilleusement incarnée par des comédiens danseurs formés à la Commedia del’Arte, est librement inspirée du Conte des contes de l’écrivain napolitain du XVIe siècle Giambattista Basile. Moquant de manière grotesque les ténébreux aléas du pouvoir, les ressorts de ce conte, et aujourd’hui de cette pièce, n’ont rien d’affaibli. Le public rit de la situation, s’étonne de l’audace du propos, s’émerveille des compositions qu’il inspire à la metteure en scène. Le rire rivalise avec la pensée politique. Une performance aussi inattendue que bienvenue en ces temps où dominent la peur et la plainte.

 

Dans l’amphithéâtre d’O, le roi se nomme Créon. Sophocle le décrit en 441 avant J.-C. dans sa tragédie Antigone, ancienne mais fameuse tant son texte inspire d’adaptations qui louent sa contemporanéité. Celle que propose Jean Bellorini s’inscrit plus que jamais dans notre époque, et dans les drames qui la traversent. Sur le plateau, recouvert presque entièrement d’eau, neuf jeunes femmes arrivent, se lancent un ballon, rient, s’éclaboussent, avant que le ton et les mots prennent les accents de la tragédie grecques. Ce prologue est une allusion joyeuse au récent passé des neuf comédiennes afghanes qui ont dû quitter leur pays, alors que les Talibans faisaient planer un avenir pour l’art, les artistes et penseurs, femmes en particulier. Jean Bellorini explique les conditions de leur accueil en France dans l’entretien accordé à NAJA21. La grâce des comédiennes, leur voix douce mais ferme, rendent plus intense que jamais le feu de la révolte, de la résistance au pouvoir établi, que recèle la pièce. Antigone brave Créon, magistralement incarné par une frêle jeune fille dont on ressent le fort caractère. Ces mots, écrits pour un homme cruel qui n’obéit qu’aux règles du pouvoir, s’inscrivent efficacement dans la bouche de cette femme enfant dont les gestes gracieux appuient davantage encore une nique au patriarcat. L’intelligence du jeu nous fait tout à coup ressentir la force féminine, sa détermination, quand elle endosse la personnalité d’un roi. D’autant plus quand on sait qu’il y a deux ans, cette même jeune fille a tout quitté, famille et pays aimés, pour apprendre d’ailleurs et revenir plus forte encore. Quand Antigone ose affronter Créon pour faire valoir qu’offrir une digne sépulture à son frère assassiné est un devoir dicté par les dieux, les arguments de résistance et de courage résonnent tout particulièrement. Quel poids la loi des hommes a-t-elle contre la puissance des dieux ? Quel poids contre la loi du cœur ?

 

Re Chichinella, librement inspiré de Giambattista Basile. Écriture et mise en scène : Emma Dante. Avec : Angelica Bifano, Viola Carinci, Davide Celona, Roberto Galbo, Enrico Lodovisi, Odette Lodovisi, Yannick Lomboto, Carmine Maringola, Davide Mazzella, Simone Mazzella, Annamaria Palomba, Samuel Salamone, Stéphanie Taillandier, Marta Zollet. Les 18 et 19 juin, Théâtre Jean-Claude Carrière dans le cadre du Printemps des Comédiens.

 

Les messagères, d'après Antigone de Sophocle. Mise en scène : Jean Bellorini. Avec l’Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi, Marzia Jafari, Tahera Jafari et Sohila Sakhizada. Les 18 et 19 juin, amphithéâtre d'O dans le cadre du Printemps des Comédiens. Puis du 7 au 13 septembre, Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Lyon. Le 5 décembre : Le Liberté, scène nationale, Toulon. Le 1er février 2025 : Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France.

 

 

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