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Mot de passe oublié ?Avignon : Avec « Qui som ? », Baro d’evel exalte les chaos de nos vies
Se laisser guider par les formes pures, originelles des céramiques encadrant le passage des spectateurs, s’étonner de la présence hiératique de leurs gardiennes et gardiens vêtus de noir, emplir ses oreilles des sons cristallins provenant de légers mécanismes frappant les vases, avant de se laisser envahir par le rire et l’émotion qui vont se produire sur scène.
Une fois les spectateurs installés les quelques notes composées par Maurice Jarre pour Jean Vilar sont jouées par deux musiciens dans l'encadrement d'une fenêtre du lycée. Nous sommes bien à Avignon, au cœur de son festival.
La scène est bordée côté cour et côté jardin par un alignement de vases d’argile. Il en manque un qu’un personnage porte avec précaution avant… de le laisser tomber. Suit sa tentative de dissimulation des morceaux, puis de réparation. Mais l’argile a son caractère, sa personnalité, et, plutôt qu’un vase le morceau de terre se transforme sous les mains malhabiles en un énorme pénis dont le personnage se débarrasse précipitamment. Les rires fusent, le public est conquis.
Ces quelques minutes donnent le ton et le sens de ce qui va advenir. Menés et commentés par celle qu’on peut comparer à la meneuse du spectacle, les neuf personnages croisés en entrant se rassemblent au centre de la scène, devant une immense masse noire, informe, mouvante. Un liquide blanc et visqueux se répand peu à peu sous leurs pieds et chacun tente de garder l’équilibre ou de se répandre au sol le plus gracieusement possible. Cette chorégraphie du déséquilibre oscille entre risible et virtuose. Quelques tentatives de rattraper l’autre, mais la chute est inéluctable et le burlesque l’emporte.
Camille Decourtye tente à tout moment de sauver les apparences, d’excuser les maladresses ou les dysfonctionnements. Son adresse au public et à la troupe est généreux, encourageant, réparateur. Elle-même n’échappe pas à la loi de la pesanteur. L’argile ne quitte pas la scène. Tel un personnage, il vient recouvrir les têtes, les bras percent des orifices en guise d’yeux, façonnent deux oreilles et une bouche. L’argile fait corps, s’accorde à l’humain. Tandis qu'à un autre moment, une marée de plastique envahit la scène…
La symbolique et la poétique sont puissantes, avec une foule de personnages à laquelle Baro d’Evel ne nous a pas habitués. Cette fois il s’agit de « ne rien lâcher », de tenter de trouver une dimension d’ensemble. La tâche est périlleuse, les scènes qui se suivent en témoignent avec humour et dérision. « Nous n’essayons pas de raconter une histoire linéaire, explique Camille co-fondatrice avec Blaï Mateu Trias de la compagnie franco-catalane. Comment s’accrocher à du sens quand nos vies sont des chaos en perpétuel mouvement, qui s’improvisent chaque jour ? » Mais, assène Camille sur scène, « nous ne lâcherons rien ! ». Le message est entendu, chacun le comprend à l’aune de ce qu’il vit entre les deux tours des élections législatives qui ont laissé le RN prendre les devants. Le message est entendu et, le temps du spectacle, il exprime comment l’art transforme l’idée de catastrophe, invente une fin improbable, rassemble. Ici, le public est conquis d’avance. Mais ailleurs, mais tout près ?
Sur scène ils sont comédiens, acrobates, musiciens, danseurs. Des céramistes les ont rejoints, associant l’énergie des corps à celle des mains, comme on le voit lorsque la troupe devenue fanfare invite le public à quitter la salle pour faire la fête à l’extérieur. Un cheminement qui témoigne qu’on n’a pas envie de se quitter après avoir partagé tant de splendeurs des corps, tant d'imperfections maîtrisées. Plutôt poursuivre cette énergie folle déployée par Baro d’evel, s’en nourrir avant de partir.
Qui som ? France-Espagne. Cie Baro d’evel. Les 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 12, 13, 14 juillet à 22h, cour du lycée Saint-Joseph dans le cadre du Festivla d'Avignon. Diffusé sur Arte le 6 juillet en différé, disponible sur Arte.tv
Avec Lucia Bocanegra, Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Miguel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Rita Mateu Trias en alternance avec Amir Ziegler, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Maria Caroline Vieira, Guillermo Weickert, Blaï Mateu Trias. Conception et mise en scène Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias. Collaboration à la mise en scène Maria Muñoz, Pep Ramis (Mal Pelo). Collaboration à la dramaturgie Barbara Métais-Chastanier. Collaboration musicale Pierre-François Dufour. Scénographie et costumes Lluc Castells. Lumière María de la Cámara, Gabriel Pari
Son Fanny Thollot. Recherche des matières et des couleurs Benoît Bonnemaison-Fitte « Bonnefrite ». Céramiste Sébastien De Groot
Tournée 2024 : 19 et 20 juillet, Festival les Nuits de Fourvière (Lyon). Du 25 au 27 juillet, Grec Festival de Barcelona (Espagne). Du 2 au 4 août, Festival La Strada (Graz, Autriche). Du 26 au 28 septembre, Romaeuropa Festival (Rome, Italie). Du 2 au 4 octobre, Théâtre 71 Scène nationale Malakoff avec Théâtre Châtillon Clamart, Les Gémeaux Scène nationale (Sceaux). Du 11 au 13 octobre, Théâtre de Liège (Belgique). Du 31 octobre au 2 novembre, Halles de Schaerbeek (Bruxelles, Belgique). Du 13 au 16 novembre, Tandem Scène nationale d’Arras-Douai. Du 2 au 22 décembre, ThéâtredelaCité CDN Toulouse Occitanie.
En 2025 : Du 10 au 12 janvier, Le Parvis Scène nationale Tarbes-Pyrénées. Du 22 janvier au 1er février, MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny.
