espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Avignon off : « Une pièce sous influence », porte-voix théâtral de la violence sourde

Avignon off : « Une pièce sous influence », porte-voix théâtral de la violence sourde

par Véronique Giraud
"Une pièce sous influence", création du collectif La Cohue. © Virginie Meigné
Arts vivants Théâtre Publié le 15/07/2024
La compagnie La Cohue "cherche à rendre les perdants beaux, à leur donner voix au chapitre". Mission accomplie avec "Une pièce sous influence".

Le réalisateur américain John Cassavetes a donné images et paroles aux exclus, aux fragiles, à la femme. Les gros plans sur le visage agité de Gena Rowland ont marqué à jamais ceux qui ont vu Une femme sous influence. La compagnie caennaise La Cohue suit ce chemin pour le théâtre. Pas de gros plan bien sûr, mais la silhouette gracile d’Anna, dans sa robe de mariée ensanglantée, une hache plantée dans les cheveux, évoluant sur la scène couverte d’un tas de confettis multicolores et surmontée d’un grand lustre. La tension est palpable, elle ne quittera pas la scène.

Anna et son mari Mathias, revêtu d’une armure de chevalier en papier alu, rentrent du carnaval dans leur maison d’un petit village en France. Anna s’exprime en propos décousus, ses réponses font de grands pas de côté. Elle n’aime pas Batman, rencontré au carnaval, mais l’a invité à dîner chez eux car sa femme (de Batman) lui a fait penser à un chaton. Mathias est étonné et chagriné qu’elle ait invité le couple qui doit signer le lendemain l’acte d’achat de leur maison devant notaire.

 

Égérie du déséquilibre. S’ensuit un dialogue qui n’en est pas vraiment un, entre phrases inachevées et réflexions hors sol. Le couple invité arrive, le malaise est encore plus grand mais cela ne désarme pas Anna, égérie du déséquilibre. Le manque d’argent obligeant à vendre la maison, le deuil impossible de la mort de leur enfant, le besoin de boire et de faire boire, les propos abscons, tout cela constitue la personnalité d’Anna et la maintient debout, dans une solitude désarmante. Son mari la porte avec son amour, même si lui-même est maintenu dans une autre solitude et que la mort de l’enfant le confine au mutisme sur cette douleur. Le dialogue entre les deux époux est une succession de monologues éperdus, qui va bientôt contaminer le couple invité.

Cette pièce, ode à l’incompréhension, au lapsus, à la fragilité psychologique, à l'échec, dresse avec humour et dérision le portrait touchant d’une femme en péril. Attendrissante Anna qui tente de construire des liens et une logique pour se maintenir en vie depuis un monde très éloigné du réel. Le lustre lui-même en tombe du plafond. Mais aucune surprise n’éclaire les regards, rien ni personne ne peut rivaliser avec la fatalité du malheur. L’écriture et la mise en scène du duo Sophie Lebrun et Martin Legros maîtrisent l’art du déséquilibre, conjuguant les personnages archétypiques du cinéma à travers les costumes de carnaval à la fièvre de dialogues éthérés. Le jeu des quatre comédiens, très éloigné des repères habituels, construit un théâtre où le sensible le dispute au sens, où l’on se surprend à aimer ce qui n’est pas écrit pour se faire comprendre.

 

Une pièce sous influence, texte et mise en scène Sophie Lebrun et Martin Legros. Avec : Inès Camesella, Sophie Lebrun, Baptiste Legros, Martin Legros, et Nicolas Tritschler à la batterie. Compagnie La Cohue.

Jusqu'au 21 juillet à 10h, au 11 - Avignon. Festival d'Avignon Off.

Partager sur
Fermer