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Mot de passe oublié ?Comme nombre de danses, le flamenco a autant d’origines que d’historiens qui se sont penchés sur le sujet. La forme que nous lui connaissons, avec son chant si particulier, le cante jondo, indissociable de la chorégraphie, est connue dans le monde entier avec les claquements de main, les palmas, qui accompagnent la danse dont les battements de pieds, le zapateado, assurent les percussions. Les mains ont un langage spécifique, les floreos, fait autant de citations que d’arabesques. Cette danse, déjà fixée au XVIIIe siècle, a connu sa période populaire, puis populiste avant d’être revendiquée par des académistes qui, au siècle dernier, l’ont quelque peu figée dans les cabarets.
La danse contemporaine a heureusement mis fin à cet immobilisme, notamment avec Antonio Gades, et lui donne aujourd’hui encore une créativité inattendue qu’Israel Galvan a portée jusque dans la Cour d’honneur pour le Festival d’Avignon en 2017. Non seulement le flamenco continue de vivre sa vie de plante sauvage, mais il se mêle sans pudibonderie aux danses d’autres cultures comme ce même Israel Galvan l’a montré dans un inoubliable duo avec le chorégraphe indien Akram Kahn au festival Montpellier Danse en 2015.
En traversant le pont San Telmo. Le flamenco a bien entendu ses écoles qui accueillent danseurs et danseuses du monde entier. C’est en traversant le Guadalquivir sur le pont San Telmo de Séville pour se rendre à ses cours que Yinka Esi Graves, Londonienne passionnée par cette danse, a pressenti des racines inconnues, invisibles, du flamenco. Elle raconte que sous ce pont amarraient les navires d’esclavagistes et que lui est venue l’envie de donner corps à ce passé africain enfoui de la danse andalouse. En recherchant les traces jusqu’au Ghana d’où sa famille est originaire, elle a produit plusieurs films sur le sujet et vit depuis quinze ans en Espagne.
The Disappearing Act est la chorégraphie issue de cette quête. Une quête vécue et réalisée par le corps de la chorégraphe, seule à danser dans la cour du lycée Saint-Joseph un flamenco qu’il faut bien dire fabuleux. Remi Graves tient la batterie du côté gauche de la scène, porte le rythme, puissant, sonore, alors qu’à droite Raul Cantizano, qui commence par heurter les cordes de sa guitare avec des baguettes à bout de feutre, joue ensuite un jeu plus classique avec grande maestria. Rosa de Algeciras assure le cante jondo de sa voix profonde et déchirante.
Une branche nouvelle du flamenco. Avec Yinka Esi Graves, le zapateado acquiert tout à coup une signification différente. Rage et rythme confondus explosent dans ces claquements forts des pieds qui font entendre une existence humaine que l’on a voulu nier. Lorsque, comme le torero brave cite le toro dans l’arène, la danseuse conclut son claquement par la tête haute et les mains ouvertes vers le sol, c’est toute un dignité occultée qui refait surface alors que la batterie gonfle l’air de vibrations puissantes. Le sol lui-même, marqué à la craie par la danseuse, porte la trace de ces destins clos dans le cercle, hachurés sur leurs lignes. Est également invoquée la mémoire de Mademoiselle Lala, Anna Olga Brown, une artiste de cirque peinte par Degas le visage aux deux tiers caché.
La création de la pièce, lors du Festival Flamenco de Nîmes en janvier dernier, a enthousiasmé le public, ravi qu’une nouvelle branche pousse sur l’arbre flamenco. Et qui dit arbre, dit racines.
The Disappearing Act de Yinka Esi Graves. Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph du 18 au 21 juillet. En tournée en août à Berlin puis Castellon.