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Avignon : « Elizabeth Costello », un brin d’arrogance dans la Cour d’honneur

par Jacques Moulins
"Sept leçons et cinq contes moraux" de Krzysztof Warlikowski pour "Elisabeth Costello". © Magda Hueckel
Arts vivants Théâtre Publié le 19/07/2024
Maître incontestable de l’art théâtral, le Polonais Krzysztof Warlikowski inscrit dans la Cour d’honneur une pièce sur un personnage de l’écrivain J.M. Coetzee qui lui tient à cœur, Elizabeth Costello. Six actrices vont incarner la conférencière qui aborde, avec une certaine arrogance, des sujets qui fâchent.

Prix Nobel de littérature en 2003, le Sud-Africain John Maxwell Coetzee est invité à donner des conférences aux États-Unis pour lesquelles il choisit non de s’exprimer lui-même, mais de faire parler un personnage de littérature qui sera présent par la suite dans trois de ses romans dont un au titre éponyme, Elizabeth Costello (éditions du Seuil, 2003). Une femme fictive présentée comme réelle qui ne va pas aborder le sujet de la littérature comme attendu mais fait une diatribe assez radicale sur la condition animale puisqu’elle compare l’abattage des animaux de boucherie à l’Holocauste. C’est avec la mise en scène de cette conférence que débute la pièce de Krzysztof Warlikowski dans la Cour d’honneur du Palais des papes.

Divisé en quatre espaces, des toilettes, un salon, un tréteau avec son pupitre et une longue cage de verre, le plateau va accueillir une suite de tableaux mettant en scène plusieurs représentations, assumées par six comédiennes différentes, de la vie et des discours d’Elizabeth Costello.

 

Jusqu’au scandale. Chez Coetzee, le personnage poursuit de conférences en romans une vie autonome que Krzysztof Warlikowski développe à son tour. C’est la troisième présence d’Elizabeth Costello dans ses pièces. Après une première apparition dans La Fin, elle donne déjà une conférence sur l’Holocauste dans (A)ppolonia, et revient cette fois occuper tout le spectacle pour défendre sans retenue, ni trop de nuances, les causes qui lui tiennent à cœur comme les violences faites aux animaux, ou mettre en cause l’écriture d’autres écrivains comme Paul West lorsqu’il décrit l’ignoble dans le détail avec l’agonie du comte von Stauffenberg, le général qui tenta d’assassiner Hitler dans son bunker en 1944. Des positionnements qui la font pointer du doigt et mettre à l’écart de la communauté intellectuelle. Elle les présente comme des questionnements gênants pour son public, provoqué jusqu’au scandale. Elle n’y donne pas réponse, si ce n’est, comme le souligne Warlikowski, par ce leitmotiv : « J’ai des opinions mais je n’y crois pas ».

 

Les gradins se sont vidés. Dans ces positions extrêmes, Elizabeth Costello comme ses parrains J.M. Coetzee et Krzysztof Warlikowski, cherche moins une vérité qui n’existe pas qu’inscrire une parole forte dans l’histoire humaine. Ce jeu constant entre provocations et conflits avec ses proches l’enferme plus encore dans une position de démiurge, une prétention à être la seule au monde qui pose les questions philosophiques essentielles, cherche la vérité dans des atrocités dont ses contemporains détourneraient le regard, met le doigt où ça fait mal. Sa position frise l’arrogance et rend le personnage peu sympathique. Assez pour que, malgré le jeu parfait des actrices, l’efficacité de la scénographie, et la maîtrise évidente de son art par le metteur en scène, le public se soit rapidement désintéressé du personnage, lassé des multiples jeux de miroirs posés par les créateurs et des mises en abime du théâtre lui-même. Les gradins ont commencé à se vider dès la première partie et la moitié des spectateurs ne sont pas revenus après l’entracte.

 

Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux de Krzysztof Warlikowski d’après J.M. Coetzee. Festival d’Avignon, Cour d’honneur du 16 au 21 juillet. Avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cieślak, Maja Komorowska, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Ewelina Pankowska, Jacek Poniedziałek, Magdalena Popławska.

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