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Yordan Goldwaser : « travailler sur la proximité entre les interprètes et les spectateurs »

par Véronique Giraud
Yordan Goldwaser © Frédéric Pickering
Yordan Goldwaser © Frédéric Pickering
Arts vivants Théâtre Publié le 25/07/2024
Yordan Goldwaser a mis en scène dans le Off d’Avignon une adaptation très réussie de la pièce, "Les Guêpes de l’été piquent encore en novembre", d’Ivan Viripaev. L’écriture singulière du dramaturge russe, qui produit des rapports à la fois drôles et complexes entre les personnages, est servie par un jeu en trifrontal, Ce dispositif abolit la distance entre scène et gradin, et stimule l’écoute du public. De quoi rendre curieux d'une jeune compagnie qui a chois de s'appeler La Nuit américaine.

Comment est née votre compagnie ?

J’ai rencontré les trois comédiens qui jouent ce spectacle au Conservatoire de Paris. Deux suivaient le même cours d’interprétation que moi, le troisième était dans une autre promotion. A la sortie de l’école, j’ai assez vite bifurqué vers la mise en scène. Je leur ai alors proposé de travailler ensemble. Nous avons créé la compagnie La nuit américaine en 2014, elle est implantée en Alsace, d’où je viens. Depuis, nous avons créé 5 spectacles. Les deux derniers sont adaptés de deux pièces d’Ivan Viripaev, Les Guêpes de l’été piquent encore en novembre et Illusions.

 

Viripaev est également scénariste et réalisateur, votre compagnie s’appelle La nuit américaine, un lien avec le cinéma ?

Il m’est arrivé de consulter ses films mais, n’étant pas sous-titrés, j’ai une vague idée de sa production cinématographique. Le nom de la compagnie est bien sûr une référence à Truffaut, plus pour le dispositif du film que pour son scénario, avec l’idée de donner accès à l’envers du décor, à la fabrication. Que se mêlent en permanence deux dimensions de lecture, celle de la fiction et celle de la fabrication.

 

Dans votre adaptation, il n’y aucun artifice, la voix des comédiens et le verbe de Viripaev sont à nu…

Notre compagnie a été créée avec l’idée de montrer les artifices, la fabrication, la présence au plateau, et surtout notre rapport au public. C’est notre axe de travail. Je cherche des pièces qui permettent de questionner ce qui s’échange entre les interprètes et le public. Avant Viripaev, j’ai monté La Ville, de Martin Crimp, elle a été jouée en bifrontal. Le trifrontal et le bifrontal me permettent de travailler sur la proximité entre les interprètes et les spectateurs. Les programmateurs préfèrent le frontal, plus facile à diffuser, or je ne savais plus quelle était la nécessité de la frontalité, du coup j’ai cherché une pièce qui fasse de l’adresse au public son action.

 

C’est une très belle écriture…

 Oui, c’est un auteur important, il n’est pas consensuel, il ne crée par une adhésion évidente. Et j’aime ce que ça produit. C’est quelqu’un qui pose question, sur son art, son écriture, son positionnement. C’est une chose rare et très stimulante.

En même temps, c’est un auteur très structuré. Il crée des structures très fermes pour justement faire de la place, pour rendre le noyau complètement mystérieux. Mais pour que ces énigmes soient bien formulées il faut que la formule soit claire.

Je me passionne pour les écritures, pour les auteurs, et cela faisait très longtemps que je souhaitais progresser dans une écriture sur deux spectacles successifs. Pour progresser dans mon travail avec l’équipe. Avec Viripaev ce qui est intéressant c’est qu’il a des obsessions, des motifs qui reviennent de pièce en pièce. En particulier avec Illusions et Les guêpes, écrites à un an d’écart.

Il se renouvelle sans cesse, opérant de véritables révolutions de pièce en pièce. La structure dramatique d’Illusions n’a strictement rien à voir avec Les guêpes. C’est très intéressant pour le jeu des comédiens, ça oblige à aller vers d’autres théâtralités, à chercher dans le récit où se produisent les glissements qui conduisent vers l’incarnation, et quels sont les ressorts scénaristiques. Les deux spectacles, l’un monté en trifrontal, l’autre en frontal, se complètent très bien.

J’aime ce jeu de chaises musicales du trifrontal. Selon que ce soit tel ou tel personnage qui vient s’asseoir d’un côté ou d’un autre des gradins, on va emprunter tel point de vue ou tel autre. J’aime que ça tourne comme ça. À Avignon, la jauge est de 60. On est sur 130 avec nos propres gradins en bois. Les gradins produisent quelque chose sur le rôle que le public a à remplir dans l’écoute, leur inconfort fait sens.

 

Comment avez-vous guidé les comédiens ?

Le début des guêpes est tellement séduisant, je crois que la pièce opère sur les comédiens comme elle opère sur le public. C’est voulu de la part de Viripaev de démarrer la pièce avec des ressorts de la comédie, du vaudeville. Lors de sa venue à Avignon, il a parlé de la fonction du rire dans son travail pour capter l’attention du public et ensuite aller vers des thématiques beaucoup moins consensuelles, nécessitant une écoute vive.

Les trois comédiens se connaissent très bien, s’apprécient énormément. Très vite on a décidé de travailler dans un dispositif trifrontal qui est à la fois déstabilisant et très stimulant, ils sont au milieu des gens. Nous avons beaucoup travaillé de façon rythmique et musicale. C’est le rythme qui crée la comédie, et la comédie crée l’écoute. Ensuite chacun des trois comédiens a établi un rapport au public singulier. Celui qui provoque le plus le rire, on l’a construit en séduction avec le public, cherchant l’adhésion du public par le rire. Pour Pauline, qui joue Sarra, on s’est dit qu’il y a quelque chose chez elle d’extrêmement rigoureux et que l’adhésion avec le public ne se trouvait certainement pas dans le rire mais au contraire par ses tentatives de convaincre par la précision et la rigueur. Cela occasionne des rapports au public différents.

La dernière partie de la pièce est beaucoup plus compliquée. Le spectacle a été créé il y a deux ans, nous l’avons joué un peu chaque année, et c’est la première fois que nous le jouons sur une série aussi longue. Il y a des choses qu’on ne parvenait pas à comprendre dans la globalité, qui commencent maintenant à se comprendre comme des grands mouvements d’ensemble. Nous sommes en train de gagner en concret dans ces parties.

 

Et le piano a toujours été là ?

Oui, c’est presque lui qui m’a décidé à monter la pièce. Quand je me suis demandé comment traiter le son, je suis dit pourquoi pas un piano. Le son est un élément qui est devenu de plus en plus important dans le travail de la compagnie, mais jusqu’à maintenant c’était géré depuis des consoles et c’était des sons quasi imperceptibles du public. Cela a pris de plus en plus d’importance dans mon travail et j’ai été très heureux de le manifester par la présence d’un musicien au plateau. Il était évident que ce serait épuré, mais j’aimais bien que le seul signe qu’on ait soit très pompier, très imposant. Un piano à queue est un objet autour duquel on peut construire beaucoup de fantasmes.

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