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Marina Rosselle, une artiste du voyage au mémorial de Rivesaltes

par Véronique Giraud
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle © DR
Marina Rosselle © DR
Marina Rosselle, dessin ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, dessin ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, installation ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, installation ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, sans titre ©Julie Savelli - MCR
Marina Rosselle, gravure sur zinc © Julie Savelli.jpeg
Marina Rosselle, gravure sur zinc © Julie Savelli.jpeg
Arts visuels Arts plastiques Publié le 08/10/2024
Les œuvres de deux artistes contemporains ont pris place au sein de l’exposition du mémorial du camp de Rivesaltes, "Camp des familles, internement et persécutions des Nomades". Deux présences bien vivantes, issues de familles voyageuses, au milieu des images et documents mémoriels retraçant les traitements infligés aux familles Tsiganes de 1941 à 1942. Entretien avec Marina Rosselle, l'une des artistes invités.

Dans les salles du mémorial de Rivesaltes où est installée l'exposition Le camp des familles. Persécutions et internements des Nomades à Rivesaltes 1941/42, les œuvres de la plasticienne Marina Rosselle côtoient celles de Romuald Jandolo, circassien et artiste, et celles de Louis Burkler, ancien interné de Rivesaltes. « J’aime beaucoup exposer avec d’autres artistes. Ce sont des rencontres fructueuses » commente Marina. Et le lieu de mémoire l'a séduit. En y séjournant pour y créer, elle a pu constater que nombre d’enfants visitent le mémorial du camp, assurant une transmission qu’elle veut voir se développer. Sa création, qui prend sa source dans son histoire familiale, son mode de vie, les lieux interdits aux gens du voyage, les expulsions, l'idée de territoire, entre en résonance très forte avec l'exposition. Conférant une dimension contemporaine à l'histoire des communautés du voyage.

 

Personne dans votre famille ne vous avait parlé de l'internement de Rivesaltes ?

J’ai grandi sur des terrains vagues avec ma famille, on était dans l’instant, dans un quotidien fait de l’arrivée de la police, d’expulsions, ces sujets ne venaient jamais sur la table. Ma famille n’a pas été internée dans ce lieu. Ce qui m’a intéressé c’est ce passé, et les problèmes du présent. Pour moi, la partie de l’exposition qui montre le fichage des familles, les informations recueillies pour faciliter la reconnaissance des membres, toute cette méthodologie policière, ses rouages, est toujours d’actualité. Ce fichage a servi, et peut resservir. C’est un peu effrayant. Ce lien que ces personnes, pas seulement des gens du voyage, ont vécu dans ce lieu, leurs horribles conditions de vie, je le ressens.

 

Comment en êtes-vous venue à exposer dans ce lieu de mémoire ?

Depuis une vingtaine d’années je m’engage beaucoup auprès des jeunes. J’ai fait partie de la commission nationale consultative des gens du voyage dans le groupe Mémoire, j’ai donc beaucoup suivi le camp d’internement de nomades de Montreuil Bellay, la découverte de ce passé a été assez tardive. Ce sont des lieux émouvants, dont je découvre les ruines. On ne nous aime pas beaucoup. C’était donc très fort d’aller à Rivesaltes. J’y suis allée quelques mois avant l’exposition, invitée par Céline Sala-Pons, la directrice du mémorial. Une fois passée l’émotion sur place, cela a déclenché un processus créatif. On pourrait revenir complètement accablé, pourtant il y a une force, quelque chose qui s’est dégagé, pour ne pas oublier. Le travail des artistes actuels c’est de continuer, il y a une lutte, de la tristesse mais aussi une rage. Ça m’a beaucoup marquée. Des pièces ont été créées spécialement pour le mémorial,

 

Vous ne vivez plus en caravane ?

Cette vie était très dure, je ne vis plus en caravane. J'ai déposé ma caravane chez ma mère. Toute ma famille vit en caravane, sur des terrains privés et sur les aires d’accueil, où il y a beaucoup de problèmes. Ces aires sont à l’écart des villes. On est un peu parqués, on voit la ville de loin, le ressenti d’être mis à l’écart est fort. Même si ce n’est pas la même histoire que celle des internés de Rivesaltes, pour moi il y a des choses qui ne fonctionnent pas et qui sont très graves.

 

Votre processus créatif est donc mu par une révolte intérieure ?

Oui, pour mes premières expositions j’ai ramené des gros rochers qui servent à bloquer des endroits, pour qu’on ne puisse pas stationner. J’avais un besoin, étant plus jeune, de dire quelque chose sur ce vécu. Tout est très lié aux territoires et aux espaces. À Rivesaltes, c’était aussi une déambulation dans les lieux, regarder les plantes sauvages qui repoussent dans les lieux d’habitation. À mon retour à Lille, j’ai travaillé la gravure. Pour l’exposition j’ai réalisé de la gravure, du dessin, une sculpture et des vidéos qui intègrent des sculptures.

 

Parlez-nous de vos gravures…

Je viens d’une famille de ferrailleurs, pour moi le métal ce n’est pas seulement une chose qu’on va vendre, c’est aussi un matériau qui a des qualités. J’ai eu toute jeune une connaissance des différents métaux. Donc la gravure sur cuivre, sur zinc, la récupération, ce sont des choses qui sont dans mon travail depuis longtemps. Et là à Rivesaltes je me suis aussi inspirée des images d’archives, de parcours personnels, de trajectoires de personnes qui m’ont émue, de photos des anciens métiers qui ont disparu, comme réparateur de parapluies. J’ai utilisé des parties de photographies de familles pour les inclure dans mes gravures. Il y a aussi des représentations de ma grand-mère qui regarde à travers la vitre de sa caravane, qui voit le passé des caravanes à chevaux alors qu’elle vit aujourd’hui dans une caravane motorisée posée dans une aire d’accueil. En faisant des allers retours entre passé et présent, sont revenues des choses oubliées, disparues, et d’autres qui se passent encore tous les jours, des injustices ou autres.

 

La découverte du lieu a du être une épreuve…

Quand je suis arrivée à Rivesaltes, j'étais dans une période de doute artistique. Une tristesse accentuée par le lieu. Mais je suis repartie avec une énergie nouvelle. Et en voyant tous ces jeunes, ces écoles, ces lycéens, descendre dans ce lieu, ça m'a beaucoup émue. Je me suis dit que le travail était là. L'existence de ce lieu, c'est très important pour moi. Et tout le travail qui y est mené auprès de la jeunesse.

 

Cette histoire n'est pas vraiment reconnue dans le récit national…

Il y a le mémorial de Rivesaltes qui met en lumière cette histoire, il y a aussi l'instituteur Jacques Sigot, devenu historien, qui a révélé récemment le passé du camp de Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire. Cela nous permet de comprendre notre histoire. En découvrant tous ces camps sur le territoire national, on repart chargé. Ce sont des groupes, des familles qu'on exclue. C'est une histoire de luttes, et elle continue.

 

 

L'artiste Marina Rosselle (née en 1980) vit et travaille à Lille. Elle a d'abord étudié l'histoire de l'art avant de se former à l'École Supérieure d’Art et de Design de Valenciennes dont elle est sortie diplômée en 2003. Rosselle a participé à de nombreuses expositions, workshops et résidences en France et en Europe. Elle s'exprime à travers le dessin, l'installation-sculpture, la photographie et la vidéo. Marina Rosselle est représentée à Berlin par la Fondation Kai Dikhas. En 2021, un ensemble de ses sculptures et gravures est entré dans les collections publiques du Mucem (Marseille).

 

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