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Mot de passe oublié ?Fine observatrice de ses contemporains, Iciar Bollain fut interpellée quand quelqu’un lui a rappelé l’histoire de Nevenka qui, à la fin des années 90, a fait grand bruit en Espagne. À 26 ans, Nevenka fut la première femme de son pays à oser intenter un procès à une personnalité publique, le maire d’un village, pour harcèlement sexuel, moral et professionnel. « En me replongeant dans cette histoire, je me suis rendu compte qu’elle était d’une grande pertinence aujourd’hui » explique la réalisatrice qui s’est emparée du sujet en confrontant avec soin la fiction à cette terrible réalité. « Pour moi, il est hors de question d’esthétiser la violence faite aux femmes » ajoute-t-elle.
Elle a préparé son scénario pendant un an, collaborant régulièrement avec la vraie Nevenka, cherchant à rencontrer dans le village les témoins d’alors, avec l’objectif d’être au plus proche du réel. « Quand je traite une idée je veux que quelque chose soit ressenti, soit compris. Je porte beaucoup de soin dans l’expressivité. C’est dès l’écriture qu’on y travaille, puis dans le travail avec les acteurs ». Le film procède en effet de longs plans des regards pénétrants et des sourires enjôleurs de l’élu et chef d’entreprise Ismael Alvarez, diabolique Urko Olazabal, des changements d’expression de la jeune conseillère municipale Nevenka, magnifique Mireia Oriol. Cette façon d’insister exprime, mieux que ne le ferait un dialogue, les mécanismes de la prédation et de la sidération, rendant difficilement supportables les huis-clos entre les deux protagonistes.
Iciar Bollain montre bien l’isolement progressif de Nevenka, enfermée dans son honnêteté professionnelle, dans sa subordination à son employeur, un homme public, dans son sentiment de responsabilité envers ses parents, mais que rien ne peut arrêter quand il s’agit de regagner sa dignité. Face à l’écartement social de Nevenka, la réalisatrice filme une société qui fait front, à quelques rares exceptions, en soutien à Ismael. Depuis les membres du conseil municipal à la pléiade d’habitants qui lui sont redevables de marchés, de subventions, d’un logement, d’un emploi, à une presse condescendante, l’élu est fort de ses alliés. Plan après plan, Iciar Bollain nous confronte avec un homme de pouvoir séduisant qui se fait prédateur, avec une jeune femme brillante, intelligente, qui après avoir été louée pour sa compétence, devient victime. La caméra s’arrête longuement, très longuement, sur leurs visages, leurs regards qui disent tout du rapport de force. « Ce que je voulais qu’on perçoive c’est précisément cette paralysie, c’est toute la subtilité du harcèlement qui se joue sur un temps long. C’est une perte complète de repère qu’on observe chez cette jeune femme. Elle ne sait plus à quoi s’en tenir ».
Même la justice a ses a priori. Pour l’avocat général, il est impensable que Novenka puisse gagner ce procès. Dans la salle d’assise, Nevenka expose les faits, les dizaines d’appels téléphoniques journaliers, les rapports sexuels forcés, la complicité des témoins. La question posée par l’homme en robe noire : pourquoi n’êtes-vous pas partie ?, puis ses commentaires méprisants, témoignent d’une grande incompréhension de la condition féminine et de la méconnaissance du pouvoir hypnotique qu’exerce l’agresseur sur sa victime.
L’audace et le courage de Nevenka, peu de personnes l’ont. « Qui est prêt.e à tout perdre pour recouvrer sa dignité ? » interroge Iciar Bollain.
L'affaire Nevenka de Iciar Bollain. Sortie le 27 novembre 2024