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Le jeune cinéma marocain : rencontre à Cinemed

par Véronique Giraud
La rencontre Jeune cinéma marocain au Corum le 23 octobre 2024. De gauche à droite : Ismael El Iraki, Alaa Eddine Aljem, Sofia El Khyari, le journaliste Tewfik Hakem animateur de la rencontre, Faouzi Bensaidi, Yasmine Benkiran, Saïd Hamich Benlarbi, Asmae El Moudir. ©Rivaud-NAJA
La rencontre Jeune cinéma marocain au Corum le 23 octobre 2024. De gauche à droite : Ismael El Iraki, Alaa Eddine Aljem, Sofia El Khyari, le journaliste Tewfik Hakem animateur de la rencontre, Faouzi Bensaidi, Yasmine Benkiran, Saïd Hamich Benlarbi, Asmae El Moudir. ©Rivaud-NAJA
Cinéma Publié le 28/10/2024
L'histoire du Maroc s'écrit au cinéma. En témoignent, sur les écrans de Cinemed, les films de dix jeunes réalisateurs marocains. Six d'entre eux étaient à Montpellier pour rencontrer le public et évoquer la variété de leurs processus créatifs. Un échange passionnant.

« Le Maroc n’a pas encore raconté son histoire. Tout est à faire ». Cette remarque de Asmae El Moudir, autrice du documentaire de création La mère de tous les mensonges, résume bien la créativité que dégagent les nouvelles productions marocaines. Les réalisations de dix cinéastes sont au programme de Cinemed qui, pour sa 46e édition, a voulu mettre en focus « Le jeune cinéma marocain ». L’occasion de réunir lors d’une rencontre avec le public six d’entre eux, Yasmine Benkiran, Saïd Hamich Benlarbi, Sofia El Khyari, Ismael El Iraki, Asmae El Moudir, Alaa Eddine Aljem, avec Faouzi Bensaidi, l’aîné de cette nouvelle génération.

La plupart ont fait une école de cinéma en Europe, Yasmine Benkiran, Saïd Hamich Benlarbi et Asmae El Moudir ont intégré la Femis en France, Alaa Eddine Aljem l’ESAV Marrakech, puis l’INSAS à Bruxelles, Sofia El Khyar a été formée à l’animation au Royal College of Art de Londres. Cette nouvelle vague, composée autant de femmes que d’hommes, grandit ensemble, est solidaire, et se retrouve souvent à travers leurs projets. Leur lien à Faouzi Bensaidi est très fort. Ils ont vu tous ses films, ce sont eux qui leur ont donné l’envie et l'audace de faire du cinéma. Faouzi Bensaidi les a écoutés, leur a parlé de son cinéma. Aujourd’hui qu’ils sont devenus professionnels il leur est toujours très proche, qu’il s’agisse de produire ses films ou de lui demander un avis, un conseil. Le cinéma de Ahmed El Maânouni a aussi beaucoup compté pour cette nouvelle génération. « L’histoire est écrite par les vainqueurs. Aujourd’hui nous sommes les vainqueurs pour réécrire l’histoire du Maroc au cinéma, poursuit Asmae El Moudir. Il n’y a pas de compétition entre les cinéastes de notre génération, on se soutient ».

 

 

Du côté des réalisatrices. Les motivations des réalisatrices pour faire du cinéma sont singulières. « J’ai fait le film qui m’a manqué quand j’avais dix-sept ans » explique Yasmine Benkiran. Adolescente au Maroc, Yasmine aimait le cinéma d’aventure, le cinéma de genre, et se retrouvait très peu dans les figures marocaines et arabes proposées au cinéma. Son film, Reines, est une cavale en camion de trois personnages féminins dans le paysage marocain, entremêlant aventure et fantastique. Le long métrage a été projeté le 23 octobre.

« Mon premier mode d’expression, c’est le dessin » déclare l’artiste plasticienne, Sofia El Khyari , qui s’est tournée vers le cinéma d’animation, encore peu répandu au Maroc. « Ce qui me plaît avant tout dans ce medium, dans cette technique, qu’est l’animation c’est la possibilité de casser les barrières et de laisser exprimer une créativité pure ». Plutôt qu’avec des acteurs, Sofia s’exprime avec du dessin, de l’aquarelle, de l’écriture, de la musique, des grains de sable… Magie et illusion sont les moteurs de ses courts-métrages d’une grande sensualité. Outre la projection de Reines, une exposition est consacrée à son processus artistique au centre Rabelais.

Avec La mère de tous les mensonges, Asmae El Moudir réalise un premier film où l’intime familial et le politique s’entrecroisent. Si la thématique est ambitieuse, le parti pris formel du décor et de la mise en scène l’est aussi. « Mon travail est hybride, j’aime faire des essais. L’important c’est de raconter les faits réels, ne pas les changer mais changer la manière dont on va les raconter. Pour moi c’est un travail de mémoire ». Sa découverte des images d’archives filmées par les frères Lumière à la cinémathèque de Tanger. Constatant le peu d’images d’archives permettant de regarder le passé du Maroc, la jeune réalisatrice a eu envie de confronter son cinéma à ce manque d’images, et de photographies dans sa propre famille. Donnant le premier rôle à sa terrible grand-mère, filmant son père qui silencieusement réalise la maquette de leur quartier, reproduisant en terre l’intérieur et les façades des maisons les plus proches. « J’aimerais que vous voyiez mon pays, le Maroc, dans les yeux de ma grand-mère qui est le personnage principal du film ». Le film a été vu dans tous les grands festivals, primé, et les festivaliers ont pu le voir ou le revoir au Corum.

 

Du côté des réalisateurs. La musique guide deux des films au programme de Cinemed. Dans Burning Casablanca, Ismael El Iraki a voulu montrer « un Maroc très marqué par la révolution musicale du début des années 2000, avec le Festival L’Boulevard à Casablanca » avec l’ambition de traduire cette émotion musicale au cinéma. Pour le producteur franco marocain Saïd Hamich Benlarbi, dont c’est le premier long métrage, c’est le rai des années 90 qui accompagne La mer au loin. L’expérience de l’exil y est exprimée non par les embûches administratives ou sociétales mais de l’intérieur, de celui qui la vit. Ce parcours intense et singulier dans l’intime de l’exilé est traversé par la musique, l’amitié, les rencontres qui bouleversent, l’histoire familiale, l’impossible retour. Alaa Eddine Aljem, quant à lui, a planté sa caméra dans le désert, que ce soit en court métrage, avec Les poissons du désert (2015), fable surréaliste sur l’impossible communication entre un fils et son père, ou avec Le miracle du saint inconnu (2020), son premier long métrage, une coproduction franco-marocaine. À la fois réalisateur et scénariste, Alaa Eddine Aljem couvre ses images de l’ocre du désert marocain et du bleu du ciel, de longs silences et de l'éloquence de regards inoubliables. Un parti pris esthétique qui donne une identité singulière et remarquable à ses récits.

 

Chacun de ces films pèse dans la nouvelle histoire du cinéma, chacun témoigne aussi de l'audace d'un imaginaire. Balayant d'un coup de caméra toute tentative de caricature ou de faux-semblants, ces œuvres nous transportent avec force dans un ailleurs pour dire aujourd'hui, exprimer les non dits ou réparer le passé. Chacune contribue à surprendre et à enrichir le 7ème art de nouveaux langages formels. Cette grande vitalité venue de l'autre côté de la Méditerranée trace un trait d'union avec tous ceux qui ont la curiosité de l'autre.

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