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Mot de passe oublié ?Entre André Breton (1896-1966) et Wifredo Lam (1902-1982), tout commence à Paris en 1938. Lam arrive d’Espagne avec une lettre de recommandation pour Pablo Picasso. Coup de foudre artistique et humain. Picasso lui présente le tout Paris cubiste et André Breton qui vient de rentrer du Mexique. Breton est séduit par cet artiste cubain érudit et Lam est séduit par cet intellectuel qui a créé un mouvement artistique prônant le monde onirique en dehors de tout interdit, libérant l’inconscient. Un langage automatique qui permet de se délivrer des aliénations culturelles. Lam, le métis (père chinois et mère afro-cubaine) trouve une famille auprès de ces Blancs surréalistes profondément anti-racistes et anticoloniaux.
Mai 1940, l’armistice est signé avec le Maréchal Pétain et conduit tous les intellectuels hostiles au nazisme et condamnés parce que juifs, anarchistes, communistes, républicains espagnols, à fuir. Direction Marseille en espérant s’embarquer pour les Amériques. Beaucoup de surréalistes se retrouvent dans le port phocéen et pour tromper l’ennui se mettent à créer ensemble. C’est l’époque des cadavres exquis et de la complicité toujours grandissante entre Lam et Breton qui comprend qu’il est devant un grand peintre en devenir. Il lui demande d’illustrer son dernier recueil de poésie empli de souvenirs mexicain. En mars 1941, six dessins de Lam illustrent Fata Morgana qui sera interdit par la censure de Vichy, et qualifié de « négation de l’esprit de révolution nationale ». Son illustrateur, quant à lui, incarne à la fois l’art dégénéré et l’impureté raciale.
Enfin, le 25 mars 1941, le navire Capitaine Paul Lemerle appareille. À son bord, Lam et Breton et plus de 350 intellectuels dont Claude Lévi-Strauss. Après des mois de traversée, Lam s’arrête en Martinique pour rejoindre Cuba et Breton continue en direction de New York. L’amitié entre Breton et Lam à cette époque est si forte, que Breton écrira à son ami plus de soixante lettres et défendra sa peinture auprès de Pierre Matisse, fils d’Henri et marchand d’art installé à New York. Il prend Lam sous contrat.
Sur son île natale et après dix-sept années d’absence, Lam libère son geste artistique en puisant dans ses racines et commence à jeter les bases de son œuvre phare, La jungle (achetée en 1945 par le MOMA de New-York). Un grand format où s’entrecroisent des créatures totémiques mi-végétales et mi-humaines issues de la tradition yoruba et plongées dans les champs de canne à sucre. Un monde surréaliste ou cubiste ? Sans doute un peu des deux et aussi un monde inspiré par Matisse. Car chez Picasso il y a du volume et de la rondeur alors que chez Matisse, les formes s’aplatissent et la Jungle est un grand à plat, annonçant les caractéristiques plastiques de son œuvre à venir.
En 1946, Breton rejoint Lam en Haïti pour son exposition dont il signera le catalogue et pour assister à des cérémonies vaudou interdites par le pouvoir. Lam est un athée fasciné par l’animisme dans lequel il a grandi via sa marraine initiée au vaudou. Il puise une part de son art dans cet animisme et Breton, depuis toujours, est attiré non seulement par les arts premiers mais aussi par les traditions religieuses non occidentales.
L’amitié Lam / Breton perdurera au fil des voyages de l’un et de l’autre, et le peintre cubain restera fidèle à Breton, même quand le surréalisme ne sera plus « tendance », surtout chez les communistes et que Picasso se brouillera avec Breton. Lam restera ami avec les deux hommes, rappelant qu'ils lui ont permis, chacun à leur façon, de gagner du temps, de signer la fin de ses hésitations, et d’inventer des formes ancrées dans son identité culturelle cubaine, créant, comme le soulignait Aimée Césaire, une peinture néo-africaine.
Surréalisme, exposition du centenaire au Centre Pompidou. Jusqu'au 13 janvier 2025. Le monde pour horizon à la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, galerie Mazarin, jusqu'au 7 septembre 2025.