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Romuald Jandolo au mémorial de Rivesaltes : Le cœur se brise ou se bronze

par Véronique Giraud
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo, Le cœur se brise ou se bronze ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo, Le cœur se brise ou se bronze ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
Romuald Jandolo ©Julie Savelli - MCR
L'artiste Romuald Jandolo © Mathilde Melek An
L'artiste Romuald Jandolo © Mathilde Melek An
Arts visuels Installation Publié le 05/11/2024
L'artiste Romuald Jandolo a été invité à concevoir une installation au mémorial de Rivesaltes où est organisée la première exposition documentant les conditions d'enfermement des familles Tsiganes de 1941 à 1942. Une histoire douloureuse et tue que l'art parvient à magnifier. Portrait.

Le cirque a construit son histoire familiale, façonné son corps, hante son esthétique. En piste dès l’âge de trois ans sous le chapiteau de ses parents, Romuald Jandolo a connu la vie de voyageur. Il l’a quittée à l’âge de 10 ans lorsqu’en 1997 sa mère, une gadji, a enlevé ses enfants pour s’installer avec eux dans la Manche. « Il y a eu une rupture de 17 ans avec la famille du cirque, et avec mon père ». Romuald a alors dû intégrer l’école. « En tant que gitan, j’ai passé un oral au conseil départemental de la Manche, devant une commission de vingt personnes, des élus, des psy, des profs. J’ai dû expliquer à 10 ans pourquoi je devais intégrer l’école de la République ». Ne sachant ni lire ni écrire, il répétait ce qu’on lui avait dit de dire. Il a fait sa rentrée en CP, puis le CE1 et le CE2. À l’école primaire, après deux semaines en CM1, il a intégré le CM2. « Grâce à l’école, j’ai pu percevoir certaines perspectives que j’ignorai. Chez les sédentaires j’ai appris que le travail des enfants est illégal, ce que j’ai fait de mes trois à dix ans, je ne connaissais par le mot vacances. Ça m’a permis de penser contre moi-même, contre mes préjugés, et de grandir ».

 

Les Beaux-Arts. Il s’est battu avec sa famille pour faire une terminale L, a fraudé pour aller en train passer le concours des Beaux-Arts où il est arrivé 26eme sur 150. « Aux Beaux-Arts, chacun arrive avec un bagage d’école d’art. Je me suis aperçu du décalage avec la société, le même que j’ai eu en 1997 en arrivant à l’école avec un langage gitan plus que fleuri, avec des mots anciens, désuets. Pendant cinq ans aux Beaux-Arts, j’ai développé un travail autour du corps, de la scénographie, aujourd’hui cela a pris une dimension sculpturale, autour de l’installation ». Les identités, la figure du pestiféré, du paria, du bouffon, de l’autre, sont un enjeu de son travail de plasticien. Ses productions font l’objet d’expositions, la galerie Alain Gutharc le représente à Paris, et son parcours est rythmé par de nombreuses résidences artistiques, de la Casa Velazquez à Madrid au centre d’art Le lait à Albi.

 

Espoir et poésie au mémorial. Lorsque William Acker, juriste et président d’une association qui milite pour les droits des gens du voyage, l’a contacté, il a convaincu Romuald d’être l’un des deux artistes contemporains à exposer au mémorial de Rivesaltes, où est organisée la première exposition en France documentant l’internement des familles nomades dans ce camp de 1941 à 1942. Une histoire longtemps tue, que la nouvelle directrice du lieu, Céline Sala-Pons, a décidé d’exhumer en collaboration avec un comité scientifique et plusieurs associations de gens du voyage. « William Acker faisait partie du comité scientifique, il connaissait mon travail et l’appréciait, le mémorial lui a donné carte blanche pour inviter un artiste ». Cette exposition, déjà très lourde historiquement et dont les images sont saisissantes, n’a pas déclenché en lui le besoin de se positionner dans une revendication politique. Ce n’est pas là que Romuald se situe. Il préfère exprimer une poésie visuelle. « L’idée était de finir le parcours avec une note de poésie, d’espoir, en utilisant différents symboles, avec des éléments bien marqués. J’étais dans quelque chose de l’ordre de la transformation pour l’emmener vers une mythologie, voire une féérie ».

 

Le cœur se brise ou se bronze. Malgré des mains coupées, en bronze ou en paraffine dorée, malgré une céramique avec des ailes au niveau des chevilles posée au sol, émane de l'ensemble de son installation une « inquiétante étrangeté » avec, en surplomb, deux grands yeux qui nous regardent, « et nous emmènent vers le ciel » explique l’artiste. D’un côté, les yeux ouverts fixent le spectateur qui arrive après avoir déambulé dans l’exposition du mémorial. Au verso, à demi fermés, les yeux sont presque en larmes. « Ces deux grands yeux me viennent des affiches de cirque, c’est très important dans mon travail. C’est aussi le regard qu’on porte sur l’histoire. J’ai appelé mon installation Le cœur se brise ou se bronze ». Une allusion à Robert Badinter qui a repris plusieurs fois cette expression de Chamfort, la dernière fois à l’adresse de l’avocat Dupond-Moretti. « Soit on est faible soit on est fort. C’est intéressant par rapport aux rescapés. Tout le monde n’est pas résilient, il y a des gens qui ne s’en sortent pas. Il y a toujours un jeu de dupes, de masques, de façades, tout le monde n’est pas si fort. Mon installation questionne les deux faces ».

 

Le fichage des nomades. Romuald Jandolo ne connaissait pas l’histoire de l’internement et du fichage des familles nomades en 1941 et 1942 au camp de Rivesaltes. Le sujet est tabou dans les familles, et le mutisme du récit national n’a pas aidé à connaître ce moment de l’histoire. C’est aussi la première fois, en 2024, que le mémorial la met en lumière… Avec, en contre-point de ce silence, de ce terrible passé, l'éclat contemporain des créations de deux jeunes artistes du voyage.

Romuald a eu connaissance de ce passé il y a cinq ans seulement, uniquement parce qu’il s’intéresse à l'histoire de sa famille. « J’ai moi-même vécu le fichage lorsque j’étais gamin, on avait des carnets de circulation, on devait aller de préfectures en gendarmeries, mon père s’est souvent fait courser par des flics avec des flingues, j’ai été élevé dans cette ambiance. J’ai dû pendant des années mettre ça sous le tapis. Ce qui est intéressant c’est que quand on remonte l’histoire, ça ne vient pas de n’importe où, de n’importe comment, c’est un prolongement ». Vérifier à quel moment telle loi a été promulguée, comment les choses se sont dessinées au fur et à mesure, constater qu’il y avait une hiérarchie entre les êtres humains -  les nomades ont été libérés bien après la fin de la seconde guerre mondiale -, que la réparation pour les gitans, n’ayant pas une élite intellectuelle, fut compliquée. « Et puis il y a le rapport à l’autorité, qu’on retrouve encore aujourd’hui chez les gens du voyage. On n’ose pas demander réparation parce qu’on a peur de l’autorité, du fichage, d’être emmerdé tout simplement ».

 

Une esthétique de la séduction. Romuald Jandolo a l'habitude d'être exposé en Europe, mais au mémorial de Rivesaltes ses œuvres entrent en résonance avec un lieu, et les réactions du public sont édifiantes. « Celles qui m’ont le plus touché sont venues d’une personne qui a été internée ici, et d’anciens rescapés qui étaient là le soir du vernissage. Je regardais leur façon de s’habiller, du motif sur les vêtements, des bijoux clinquants, c’était comme dans mon installation ». L’artiste utilise ce qu’il nomme une esthétique de la séduction. « Je viens du monde forain, du cirque, où on sait appâter le chaland, explique-t-il. En bon bateleur que je suis, il y a quelque chose de la fête foraine dans mon installation. C’est un contre-pied total au mémorial. On pourrait se dire que c’est irrespectueux, or ça fait écho aux gens du voyage, au cirque, aux fêtes foraines. Aujourd’hui en France, et à l’heure de la mondialisation et des échanges, il est intéressant de voir que les lois sont de plus en plus rigides avec ces structures nomades et ces différentes familles. Tout ça est à l’intérieur de mon installation. Je viens d’un monde qui est en train de s’éteindre, alors que le cirque a toujours été dans les avant-gardes, qu’il a lancé le cinéma, beaucoup d’acteurs venaient du monde du cirque. Le cirque contemporain a mué en écartant violemment le cirque traditionnel ».

 

Actu. Romuald Jandolo exposera en avril dans la galerie Alain Gutharc, ainsi qu'à Art Paris, et il prépare une œuvre pour le millénaire de la ville de Caen en juin 2025. À Ouistreham, où est implanté un camp de migrants, il travaille autour du visage des pestiférés. "J’utilise le bestiaire des animaux malvenus (mouton noir, corneille blanche…) pour réaliser une grande sculpture, sorte de cosmogonie des animaux, des parias. Elle restera dans l’espace public pendant un an à partir de juin" explique-t-il.

 

Le camp des familles, persécutions et internement des Nomades à Rivesaltes. Exposition au mémorial du camp de Rivesaltes en dialogue avec les créations de deux artistes contemporains, Marina Rosselle et Romuald Jandolo, et le travail artistique de Louis Burkler, ancien interné de Rivesaltes. Jusqu'au 14 février 2025.

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