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Céline Sala-Pons, faire du mémorial de Rivesaltes un lieu de réparation

par Véronique Giraud
Céline Sala Pons, directrice du Mémorial de Rivesaltes @Hugues Argence
Céline Sala Pons, directrice du Mémorial de Rivesaltes @Hugues Argence
Hors-Champs Société Publié le 10/11/2024
Historienne de formation, enseignant chercheur, Céline Sala-Pons est devenue directrice du mémorial de Rivesaltes en mai 2022. Elle s’est donnée pour mission de réfléchir un mémorial à la fois comme espace de réparation, laboratoire de recherche et lieu de transmission. L’exposition Le camp des familles, Persécutions et internement des nomades à Rivesaltes, 1941-1942 procède de cette réflexion.

« Le traitement des Nomades a servi de matrice de fichage de toutes celles qui seront appliquées aux autres populations persécutées durant le XXe siècle, la population juive en priorité. On mesurait la taille de leur nez, de leurs oreilles…  Cela n’avait jamais été montré dans une institution publique ». Historienne de formation, enseignant chercheur, Céline Sala-Pons est devenue directrice du mémorial de Rivesaltes en mai 2022. Elle s’est donnée pour mission de réfléchir un mémorial à la fois comme espace de réparation, laboratoire de recherche et lieu de transmission. L’exposition Le camp des familles, Persécutions et internement des nomades à Rivesaltes, 1941-1942 procède de cette réflexion. « Il était important pour moi que dans ce laboratoire de recherche on ne fasse pas une exposition par des non voyageurs pour des non voyageurs. Je voulais absolument que le travail se fasse avec les communautés pour que ce soit un véritable espace de réparation ».

Pour la directrice, il revient au mémorial d’éclairer cette période sombre et méconnue de l’histoire, mais aussi de préciser des concepts jusqu’alors mal maîtrisés et des réalités diverses, Manouches, Sinti, Bohémiens, souvent mal nommées. Ce focus sur cette mémoire plurielle, avec différentes cultures, langues, modes de vie, s’affirme comme un moyen de lutter contre les discriminations. C’est la raison pour laquelle le mot Tsigane a été banni, au profit du mot Nomade qu’utilise l’administration française et qui évoque mieux pour l’historienne une mosaïque de populations.

 

Faire avancer l'histoire du lieu. « Nous avons pensé une exposition d’une histoire complexe, de blessures qui perdurent, et surtout d’une amnésie collective. Le mémorial n’avait pas totalement échappé à cette amnésie, peu de place était accordée à la mémoire des Nomades ». Pour la directrice, le moment était venu d’ouvrir la nouvelle exposition permanente du mémorial avec l’idée que la recherche scientifique, mandatée pour produire cette exposition temporaire, viendra compléter la connaissance que chaque visiteur a de l’histoire du lieu. Théophile Leroy, membre du conseil scientifique du mémorial et commissaire de l’exposition, a œuvré en collaboration avec Gigi Bonin, président du mémorial des Nomades de France, et plusieurs associations partenaires. L’association nationale des voyageurs de France et le juriste William Acker en sont les co-commissaires. « Nous nous sommes aussi appuyés sur les témoins, leurs descendants. Grâce à leurs connaissances, on sait que plus de 1 400 personnes ont été internées à Rivesaltes ». Faire cette exposition a donc fait avancer l’histoire du lieu, et la perception des Nomades entre 1941 et novembre 1942 au camp Joffre à Rivesaltes. Elle est une première en France et restera une année entière.

 

Mémoire et culture. 400 m2 du musée sont désormais consacrés à cette mémoire. Beaucoup de descendants et leur famille, qui n’auraient pas franchi la porte de ce mémorial, ont fait leur ce lieu. Près de Perpignan vit une des plus grandes communautés d’Europe de gitans. Le soir du vernissage, tous les patriarches gitans étaient au premier rang. « Ils me demandaient de lire ce qui est écrit dans l’exposition. Je me suis dit là on est vraiment espace de réparation, de transmission, de recherche. Beaucoup de descendants et leur famille nous ont fait l’honneur d’être là. Il y avait par exemple la famille de Louis Buckler, né au camp de Rivesaltes et dont les peintures sont exposées. Sa sœur, Émilienne, née au camp d’Argelès sur Mer, était là. Nous avons réussi cette exposition grâce aux associations qui se sont mobilisées autour de nous ». Ce sont elles aussi qui alertent aujourd’hui sur la situation des gens du voyage. Cette communauté a beaucoup de choses à dire, autant sur les plans historique, politique, artistique. « Cela nous a donné la conviction qu’il était essentiel de leur donner la parole, de leur faire confiance, même dans la gouvernance du projet. C’est là que réside l’originalité du projet. On a pu montrer la diversité et la richesse de cette culture, bien loin des stéréotypes ». Un dialogue intergénérationnel a opéré entre les œuvres de Louis Burkler, qui fut interné à Rivesaltes, et celles de Marina Rosselle et Romuald Jandolo. La mission d’un mémorial est d’éclairer le passé pour mieux comprendre le présent. « C’était l’idée aussi que des descendants puissent avoir la parole dans un lieu où leurs ancêtres avaient été privés ».

Un colloque de tous les mémoriaux en Europe, qui s’est tenu récemment à Rivesaltes, portait sur l’éducation en contexte de fragilité démocratique. La Hongrie et l’Italie étaient autour de la table. « C’était passionnant. Nous nous sommes dit : nous sommes des phares dans le brouillard. Montrer la différence entre un bohémien et un manouche c’est participer à une lutte contre la discrimination que subissent ces populations aujourd’hui. Donner des outils au public ».

 

A l’heure de la refonte du parcours permanent, les nouveaux éléments scientifiques y seront intégrés. L’objectif de l’internement était de déshumaniser. Aujourd’hui, l’idée est, de manière documentée et sourcée, de replacer des parcours de vie au cœur de l’histoire. Voir des visages qui ont été fichés, que les descendants peuvent reconnaître. Travailler la dimension incarnée, puis la dimension sensible et artistique. « Dans la salle 3, Entre le travail minutieux, évocateur et poétique de Marina Rosselle, la puissance symbolique et politique de l’installation de Romuald Jandoro. Ces deux artistes contemporains viennent en contre-point du témoignage plastique inestimable de Louis Burkler, né à Rivesaltes puis interné. On sait que quand on vit dans un camp, l’art aide à ne pas devenir fou. Il était important de montrer quelqu’un qui est passé par le camp tout en ayant gardé l’art comme moyen d’expression ».

Cette dynamique collective a emporté l'ensemble de l'équipe du mémorial, suscitant de multiples partenariats. Les collectivités fondatrices que sont la région Occitanie et le département soutiennent fortement les actions du mémorial. C’est une chance.

C’est une mémoire oubliée, il est important de l’exhumer. Les élèves de plusieurs collèges ont contribué, sous l’égide du service éducatif du mémorial, à activer un mur virtuel qui fait défiler les noms, la mémoire et le destin de ces 1477 personnes qui sont passées par le camp. Ce mur nous montre ce mouvement perpétuel. Ces enfants, dont certains issus du voyage, travaillent ensemble au service de l’humanité, en l’occurrence celle des nomades. « À côté de l'exposition, j’ai voulu que, tout au long de l’année, une fois par mois, nous ayons un événement, dans la programmation artistique culturelle et scientifique du mémorial, autour de la mémoire des nomades. Musique, café philo, théâtre… pour donner au visiteur d’autres clés par le biais sensible autour de cette mémoire. La mémoire ne peut pas être que savante, elle est aussi sensible ».

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