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Alice Laloy : « Pour moi, le théâtre est lié à la chose visuelle »

par Véronique Giraud
Alice Laloy, directrice de la Compagnie s'appelle reviens. ©Simon Gosselin
Alice Laloy, directrice de la Compagnie s'appelle reviens. ©Simon Gosselin
Arts vivants Théâtre Publié le 26/11/2024
Pour Alice Laloy, le théâtre est avant tout visuel. Alors que son dernier Opus, Le Ring de Katharsy, est en salles, elle revient sur son processus artistique né dans l'enfance  d'une irrépressible envie de fabriquer, de transformer, de faire jouer les objets.

Quand un spectacle nous a marqué, on se demande souvent ce qui a poussé un artiste sur le chemin de la création. Pour la metteure en scène Alice Laloy, qui vient de créer Le Ring de Katharsy, les premiers pas artistiques ont été guidés dans l’enfance. « Je faisais de la couture, j’étais avide de fabriquer des choses, de construire. Le costume m’a attiré dans sa dimension spectaculaire ». Sa première expérience du spectacle elle l’a vécue avec le festival de rue à Aurillac, un moment fondateur dans son éducation culturelle. Le désir a fait son chemin et, le moment venu, Alice s’est inscrite à l’école du TNS pour étudier la scénographie et la création de costumes. Elle y a découvert le costume dans sa dimension de travail artisanal et dans sa dimension spectaculaire. L’école l’a ouverte à l’expérience du théâtre, de la littérature, de la dramaturgie, mais en elle est restée son intuition première : « Le théâtre a toujours été pour moi lié à la chose visuelle, à l’écriture plastique. C’est resté très présent, c’est ce qui prime ».

 

Au théâtre, la création de costume est généralement soumise à un texte, au parti pris d’une mise en scène. Comment en êtes-vous venue à en faire la priorité de vos créations ?

J’ai toujours été attirée par le rapport aux transformations des costumes, des accessoires, des objets. Ce sont les outils et les matières qu’on va se fabriquer, puis qu’on va écrire au plateau. La machinerie théâtrale m’a aussi beaucoup attirée, elle m’a tout de suite donné envie de créer. Dans mes scénographies à l’école du TNS, autant que dans mes costumes, je cherchais déjà à faire bouger, à transformer les espaces et les objets pendant le spectacle.

 

 

Cela vous a conduit à vous intéresser à la marionnette.

C’est ça. Je ne connaissais pas du tout la marionnette. J’avais l’a priori de la petite poupée, de Guignol, je ne savais pas qu’il y avait toute cette richesse, ça ne m’intéressait pas. Pendant mes études au TNS, alors que je cherchais autour de ces différents éléments, scénographies mouvantes, d’accessoires se transformant, de costumes, j’ai eu l’occasion de mettre en scène un petit spectacle de marionnettes pour un exercice. Tous les acteurs et scénographes étaient pris sur d’autres créations. J’ai donc fabriqué des poupées, des maquettes pour ma scénographie, et mes maquettes étaient animées.

 

 

Quel regard a été porté sur cette première création théâtrale sans comédiens ?

Au moment de cette expérience, qui était un peu frondeur, on m’a proposé de faire une coordination générale. J’ai refusé. Je voulais continuer dans ce sens, je ne voulais pas faire de la déco.

 

 

Pour vous, le costume et la scénographie sont une part autonome du spectacle. Vous les avez émancipés…

Oui. Après l’étonnement j’ai été très encouragée. On a perçu mon enthousiasme, ma détermination. J’étais spontanément curieuse d’essayer de faire du théâtre un peu autrement. Je me suis mise à fabriquer des poupées, et les profs venaient me voir, m’apportaient des éléments. Le prof de clown du TNS, qui enseignait aux élèves comédiens, m’a ramené des éléments sur la marionnette et c’est lui qui m’a fait comprendre que la création marionnettique était riche et variée. Mon enthousiasme a amené des curiosités. J’ai produit une mini-création en travaillant sur Le miroir déformant, une nouvelle de Tchekhov. Tous les autres élèves, et les écoles d’Europe participant au projet, travaillaient sur Platonov. Le prof responsable de la promotion scéno-costume m’a même proposé que des élèves de la promotion suivante deviennent mes manipulateurs. Toutes les personnes qui pouvaient m’aider à ce moment-là m’ont encouragée.

 

Vous créez ensuite votre compagnie S’appelle reviens

Je mène mon travail de compagnie avec une de mes camarades de classe, élève scénographe comme moi, Jane Joyet. Avant d’intégrer l’école du TNS, elle avait étudié l’architecture. Nous travaillons ensemble depuis 25 ans, nous avons élaboré un langage commun. Son rapport à l’espace et aux enveloppes complète mon travail des objets. Nous formons un duo.

 

Votre processus créatif exige beaucoup de temps…

Oui, ce sont de longues élaborations. Mon tout premier spectacle, à la sortie de l’école, je l’ai fait comme on nous l’avait appris, avec la méthode et le format des ateliers du TNS. À l’issue de cette première expérience, j’ai défini ma propre charte de travail. J’ai défini que je n’allais pas travailler en J-6 semaines mais plutôt par étape, en séparant plateau, atelier, écriture, sur des périodes beaucoup plus longues. Cela me permettait d’être scénographe et costumière, et d’avoir un temps nécessaire à la maturation. Entre les projets, je me consacrais à mon travail de compagnie.

Le Ring de Katharsy prend sa source dans Pinocchio(Live), qui lui-même prend sa source dans la recherche photographique de Pinocchio(s). L’élaboration de l’ensemble des spectacles crée un chemin, mes projets se nourrissent les uns des autres. Mon temps d’expérimentation est un peu moins long, je peux aller vers des expériences plus difficiles.

 

C’est le cas de votre dernier projet, Le Ring de Katharsy

Oui. C’est le plus gros de mes spectacles. J’ai commencé à travailler sur le Ring en juin 2022. Pinocchio(live) est aussi un gros spectacle, avec beaucoup de monde sur le plateau. Ça Dada (2017) était un théâtre jeune public, avec moins de monde mais avec une proposition scénographique ambitieuse. La plastique de Ça Dada c’était des grands décors à l’échelle de la cage de scène qui s’écroulaient les uns après les autres. J’ai parfois l’impression de faire de la marionnette à l’échelle de la cage de scène, pas du castelet. Ça m’est apparu pendant le Ring. Je me revendique beaucoup de la marionnette, c’est une très grande source d’inspiration, mais je ne suis pas marionnettiste. J’ai l’impression de comprendre très fort cet univers, même si je ne travaille pas à la même échelle, j’ai appris celle du plateau. Les marionnettistes passent tout le temps du plateau à la scène, de la scène à l’atelier, j’ai le même process.

 

Certaines images du Ring font penser à William Kentridge. Il ajoute le dessin, vous c’est le costume…

Je ne suis pas très douée en dessin. J’associe des matières, c’est un travail qui se fait d’abord mentalement. Aujourd’hui je travaille avec des équipes. Elles étaient particulièrement nombreuses sur Le Ring de Katharsy. Plus j’avance dans mon travail sur ces formes, moins je bricole. Au départ je fabriquais moi-même tous les objets, ensuite je faisais les prototypes, maintenant je ne les fais plus, je travaille avec des personnes à partir de ma grammaire et dans le dialogue. Kentridge fait vraiment partie des personnes qui pour moi sont marionnettistes. C’est la même famille.

 

Vous avez formé une équipe de fidèles…

Jane Joyet travaille avec moi depuis le début. Pour la composition musicale j’ai travaillé très longtemps avec Éric Recordier, jusqu’aux Ça Dada et Pinocchio(live). Sur Le Ring de Katharsy et sur À poils, j’ai travaillé avec le compositeur Csaba Palotai. J’ai une équipe de costumières, je travaille avec deux accessoiristes à qui, en fonction des projets, je délègue la partie technique des accessoires. Sur le décor du Ring, j’ai demandé à Jane de travailler une machine qui lâche des objets au-dessus du ring, et sur la scénographie. Ensuite nous avons travaillé avec les ateliers du TNS, avec notre directeur technique. Beaucoup de monde entre dans la discussion, dans l’élaboration. La mise en œuvre est très collective. Je chemine d'abord seule, j’avance sur mon projet, et quand il m’apparaît assez clairement, je rentre en collaboration avec mes complices.

 

C’est un beau processus, pourtant vos spectacles ne sont pas spécialement joyeux…

C’est vrai. Ils sont plutôt à l’image du monde, et de ma perception du monde. Cela ne m’empêche pas de travailler très joyeusement. Mon travail compte énormément, donne beaucoup de sens à ma vie, fabrique des relations humaines passionnantes. Autour de moi il y a un petit groupe de personnes elles aussi passionnées, curieuses. On n’a jamais eu un rapport très rationnel au temps passé à travailler. C’est ça qui est très joyeux, ce rapport à la méthode qui est collectif. Ensuite il y a ce qui va se raconter au plateau, qui est plus intime, plus personnel aussi, qui va retranscrire un regard posé sur le monde. C’est un regard très amusé toujours.

 

Quel regard portez-vous sur votre public ? Une intention, une adresse ?

À partir de 2008, j’ai commencé à écrire en direction des enfants. Là j’ai pris conscience de manière très concrète de la réception du public. La relation avec les enfants est évidente, elle surgit, elle est palpable, elle prend de la place. J’ai eu beaucoup de plaisir à converser avec eux, à m’adresser à eux avec beaucoup de liberté. Cette expérience m’a aussi inspiré pour transposer à mon écriture tout public cette liberté. J’aime bien le spectateur reconstruit, j’aime bien ne pas tout lui donner, ou tout lui donner mais pas forcément dans le bon ordre. C’est tout un tas d’indices que je reconstitue et que j’assemble, mais j’espère du spectateur qu’il va lui aussi inventer. J’ai envie de lui laisser de la place.

Le spectacle du RIng a la chance d’être joué en trois belles séries, d’abord à Lyon, puis une dizaine de fois au TNS, ensuite au théâtre de Gennevilliers. Cela permet de faire évoluer le spectacle. J’aime bien retravailler mes spectacles un certain temps.

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