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Mot de passe oublié ?Hezbollah, l’enquête interdite met à jour les circuits financiers illégaux qui permettent au parti de dieu de se financer. Le documentaire lève le voile sur des crimes restés impunis comme l’explosion du port de Beyrouth en 2020 et révèle la vraie nature de cet État dans l’État du Liban qu’est devenu le Hezbollah en 40 années d'existence. La série arrive à Marseille déjà auréolée d’une étoile par la Société civile des auteurs multimédia. Plongée dans les eaux troubles du Hezbollah land avec Jérôme Fritel.
Vous avez tous les deux travaillé longtemps au Proche et Moyen-Orient, comment vous êtes-vous retrouvés sur ce projet ?
Nous avions déjà travaillé ensemble sur des documentaires autour du Hezbollah et de DAECH pour Arte en 2015 et 2016. Ça faisait longtemps qu’on voulait raconter l’histoire du Hezbollah. C’est une organisation dont tout le monde connaît le nom, mais dont peu de gens connaissent réellement l’histoire, la pensée, l’envergure militaire et la manière dont elle a fait main basse sur le Liban et construit un État dans l’État. Sofia, qui travaillait à Beyrouth depuis 20 ans, avait accumulé beaucoup d’infos. On cherchait aussi la bonne manière de raconter cette histoire pour ne pas en faire un dossier réservé aux initiés, l’idée étant de la rendre accessible au grand public. Je cherchais le fil rouge narratif pour rentrer dans le sujet avec une histoire particulière qui permettrait derrière de raconter la grande histoire des 40 ans d’existence du Hezbollah. Mes recherches m’ont conduit à un article publié sur un site américain qui racontait l’opération Cassandre (NDLR nom de code de l’enquête de la DEA sur le narcotrafic du Hezbollah). J’ai tout de suite eu le déclic, c’était l’histoire intérieure, celle qui touche au financement du Hezbollah. Pour ce type d’organisation le financement est un point clef à partir duquel on pouvait raconter toute l’histoire, expliquer comment une organisation purement militaire au début des années 1980, créée par les Iraniens, était devenue une vaste organisation militaro-politique, qui avait pris le contrôle politique du Liban, et projetait sa force armée en Syrie et en dehors du Liban en organisant des attentats en Europe.
Aviez-vous une idée assez précise de votre synopsis ou est-ce au fur et à mesure de vos découvertes et investigations que la trame s’est imposée ?
J’avais une vision assez précise au départ. J’ai beaucoup travaillé sur l’écriture avant de commencer le tournage mais ce que je n’avais pas mesuré c’était l’importance d’une question demeurée sans réponse, la part de responsabilité du Hezbollah dans l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Je n’avais pas mesuré à quel point ce dossier était une bombe pour les gens du Hezbollah, un dossier ultra-sensible. Ce n’était pas le cœur de notre enquête mais forcément l’enquête allait jusqu’à l’explosion du port. Je n’avais pas compris encore à quel point le Hezbollah portait une lourde part de responsabilité dans cette explosion qui a quand même ravagé une grande partie de la ville. Le Hezbollah a tout fait pour étouffer toute enquête internationale, il a assassiné les gens qui commençaient à parler. Ça, ça a été une découverte lors du tournage. Pour le reste je connaissais beaucoup de choses mais je n’avais pas été en mesure de les raconter sur un grand format comme celui qui nous a été accordé. Pouvoir raconter l’histoire du Hezbollah en trois épisodes et donc s’installer dans la durée ça change tout.
Des policiers américains et des dirigeants du Hezbollah ont accepté de vous parler face caméra, comment les avez-vous convaincus ?
J’ai scindé l’enquête en deux. La première partie c’était l’enquête auprès de la DEA. Là nous étions sur un travail assez classique avec une histoire précise qui avait un début, un milieu et une fin. La DEA ne voulait pas en entendre parler : aucun rendez-vous officiel, aucune image d’archive. Ce qui nous a permis d’avancer c’est que certains des agents de la DEA qui avaient mené cette enquête avaient pris leur retraite et donc, avaient récupéré leur liberté de parole. Il a fallu que je les rencontre plusieurs fois pour créer de la confiance et après ils m’ont tout raconté dans le détail. L’interview de l’agent qui a dirigé cette enquête a duré 11 heures sur deux jours. Il m’a raconté des années d’enquête. Les agents qui étaient encore en poste malheureusement je n’ai pas pu leur parler, mais avec les gens que j’ai eu j’avais une large palette de témoignages qui permettaient de raconter et surtout de dégager les personnages principaux.
En ce qui concerne l’enquête du Hezbollah il a fallu plus de temps pour rencontrer le numéro 2 à l’époque, Naïm Qassem qui depuis a remplacé Hassan Nasrallah (NDLR chef du Hezbollah tué par une frappe aérienne de l’armée israélienne en septembre dernier). Il nous a fallu beaucoup de temps pour obtenir de pouvoir rencontrer des militants, des combattants, aller dans les villages, tourner dans les quartiers tenus par le Hezbollah. C’est un mouvement extrêmement fermé et hiérarchisé. Si vous demandez une autorisation officiellement et que vous essuyez un refus, ce n’est pas la peine après d’essayer de passer par la fenêtre car tout et verrouillé et remonte à la tête. Ils contrôlent tout, notamment les médias et donc il fallait obtenir le feu vert de la direction. Sofia a travaillé très longtemps sans dire qu’on était aussi sur l’enquête de la DEA et inversement. J’ai complètement scindé en deux et personne n’avait la vision globale de notre projet mis à part Sofia, le producteur et moi.
Aux propos que tient Naïm Qassem on comprend quand même que vous n’avez pas hésité à poser des questions sans détour…
C’était la deuxième fois que je le rencontrais, il était en confiance et évidemment nous avions une approche historique. Il fallait parler de la création du Hezbollah, des années 80, du terrorisme, des prises d’otage… je pense que vu le niveau intellectuel du personnage, il aurait presque été déçu que je ne lui pose pas les questions embarrassantes. J’avais prévenu qu’il me fallait 2 heures, j’ai eu 1h30 ce qui est déjà énorme. Il n’a éludé aucune question. Après il a eu des réponses toutes faites mais par exemple sur l’utilisation des kamikazes dans les opérations terroristes, qui est vraiment la marque du Hezbollah, il était très fier d’en parler. Il ne s’est jamais braqué. C’était ce qu’on avait demandé. On n’était pas là juste pour tendre le micro ou écouter un prêche religieux, mais pour une interview.
Votre enquête montre comment Paris s’est avéré être une plaque tournante pour l’organisation des trafics et la collecte des fonds illégaux du Hezbollah et donne le sentiment que les autorités n’avaient rien vu venir. Est-ce le cas ?
La DEA avait infiltré des réseaux de financement du Hezbollah et obtenu des informations que les policiers français n’avaient pas. Quand elle les a contactés ils se sont mis dessus tout de suite et ont fait tomber les réseaux. Mais la DEA a mis des moyens considérables pour infiltrer le Hezbollah, ils avaient une longueur d’avance. Après, pourquoi Paris est une plaque tournante, simplement parce que la communauté libanaise y est importante et que le Hezbollah opère dans des pays où il peut s’appuyer sur une communauté dans laquelle il va se fondre parce que les gens ne se baladent pas avec un badge Hezbollah. Au sein de la communauté libanaise en France, comme en Amérique du Sud ou en Afrique où se trouvent beaucoup de comptoirs tenus par des commerçants libanais souvent chiite, ils tiennent un discours de solidarité communautaire pour financer la communauté au Liban. C’est pour ça que Paris a un rôle important, et puis il y a des attaches historiques, culturelles entre la France et le Liban et elles n’ont pas d’équivalent ailleurs dans le monde.
Cette porosité entre certaines élites financières, les milieux d’affaire et le Hezbollah se fait elle seulement au nom de la solidarité pour par exemple financer des hôpitaux ou des écoles ou les acteurs ont-ils conscience des enjeux ?
Tout dépend des gens. Certains ont le sentiment de financer des œuvres caritatives, d’autres savent pertinemment que ça va beaucoup plus loin. Tout dépend du degré d’implication. Certains sont juste des sympathisants. Le Hezbollah représente la communauté chiite, est un parti politique avec des députés, des ministres ce qui donne l’impression de financer un parti comme les autres. Mais après il y a des hommes d’affaire qui savent parfaitement ce qu’ils sont en train de faire et comme le Hezbollah détient beaucoup de leviers financiers et brasse beaucoup d’argent, l’appât du gain n’est sans doute pas étranger au fait que de nombreux businessmen acceptent de travailler avec eux.
Le documentaire souligne le rôle de la DEA et de la police française dans la mise à jour des rouages occultes du financement du Hezbollah sur fond de trafic de drogue, d’armes, de réseaux d’entreprises fantômes, comment analysez-vous cette similitude avec les organisations de narcotrafiquants ?
Le Hezbollah s’est tourné vers le narcotrafic parce que à un moment, son parrain, l’Iran, n’avait plus assez d’argent pour le financer. L’Iran était soumis à l’embargo pétrolier, supportait des sanctions économiques qui avaient amoindri ses réserves financières. Quand les Iraniens ont dit au Hezbollah qu’il devrait s’autofinancer, ses dirigeants se sont tournés vers le narcotrafic. Ils ont démarré comme blanchisseurs d’argent, certains de leurs membres hauts placés proposaient des circuits financiers pour blanchir les produits du narcotrafic. Et puis après ils se sont rendu compte que ça brassait tellement d’argent qu’ils ont mis les mains dedans directement. Il fallait financer la reconstruction de Beyrouth après la guerre de 2006 contre Israël, l’aide de l’Iran et des pétromonarchies n’étant pas suffisante. Ensuite il y a eu la guerre en Syrie à partir de 2012 qui a coûté beaucoup d’argent pour financer l’armement, payer les pensions aux familles des combattants morts pour la cause. Tout ça coûte très cher et quand vous êtes une organisation classée comme terroriste dans un certain nombre de pays du monde, vous n’avez pas accès à des financements classiques. Il faut aller chercher l’argent là où il est, l’argent du crime organisé. Et le plus rémunérateur reste le trafic international de cocaïne en s’appuyant sur la communauté libanaise très bien implantée en Amérique du Sud.
Finalement la DEA était sur le point de faire s’écrouler tout cet édifice mais l’enquête a été sacrifiée à la réal-politique pour permettre la signature des accords de Vienne en 2015 sur le nucléaire iranien. Ce travail n’a-t-il vraiment servi à rien ?
C’est un petit peu ce que pensent les enquêteurs de la DEA. Ils avaient beaucoup d’amertume parce que c’est une enquête qui a duré près de 10 ans, qu’ils ont pris des risques dingues, qu’ils ont infiltré le Hezbollah, ses circuits financiers et qu’ils sont allés très loin. Et puis à la fin on leur a dit vous avez fait du bon boulot mais il va rester dans les tiroirs. Ils avaient comme on dit vulgairement vraiment les boules, ce qui explique pourquoi ils ont accepté de raconter leur histoire. Ce qu’ils ont fait personne ne l’avait fait jusque-là. Pour dire à quel point ils avaient fragilisé les circuits de financement du Hezbollah : ce dernier avait mis un contrat sur leur tête. Au départ ils étaient tombés sur le Hezbollah un peu par hasard. Ils enquêtaient sur les cartels colombiens quand ils ont entendu parler arabe sur des écoutes téléphoniques et coup de chance, un agent de la DEA d’origine libanaise leur a dit que c’était du libanais. C’est comme ça qu’ils se sont rendus compte que le Hezbollah partageait les réseaux du narcotrafic international. Au même moment un conseiller américain de la défense qui travaillait sur l'Irak se demandait qui organisait des attentats et ils se sont rendus compte qu’avant chaque attentat en Irak il y avait des échanges de coup de fil avec l’Amérique du Sud, c’est comme ça qu’ils ont fait le lien.
Il y a des absences dans ce documentaire, celle des services de renseignement et des militaires, comment l’expliquez-vous ?
Beaucoup de pays ont classé le Hezbollah comme organisation terroriste et ne font aucune distinction entre l’aile militaire et l’aile politique. A cette époque la France a décidé de faire un distinguo considérant l’aile politique comme un interlocuteur : ils ont des députés, des ministres avec pignon sur rue. La priorité avait été donnée à la partie officielle du Hezbollah. Comme c’est un acteur incontournable au Liban il fallait pouvoir parler avec lui. Bien qu’après l’attentat du Drakkar en 1983 (NDLR : attentat au camions suicides contre la force multinationale de sécurité basée à Beyrouth ayant tué 305 militaires américains et français) on savait très bien à quoi s’en tenir, la France n’était pas du tout dans la logique de chasser les responsables du Hezbollah. Quand j’ai posé la question au numéro 2 du Hezbollah il m’a confié que pour eux il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre le direction politique et la direction militaire. La distinction faite par les autorités françaises était assez artificielle.
A la lumière de vos révélations on a le sentiment qu’Israël est en train de « finir le travail » de manière particulièrement sanglante, en ciblant notamment les réseaux que vous avez mis à jour. Partagez-vous ce sentiment ?
Israël n’a pas seulement décapité le Hezbollah, il l’a détruit. Le Hezbollah continuera à exister d’une manière ou d’une autre mais je pense que pour son influence c’est fini. Toute leur organisation qu’elle soit militaire, de renseignement, civile… tout ça est détruit et effectivement Israël est en train, je ne dirais pas d’éliminer définitivement un acteur clé du Proche-Orient, mais de le faire revenir 20 ans en arrière. Les Israéliens préparaient ça depuis l’échec de leur guerre de 2006 après laquelle ils avaient décidé de revoir complètement leur stratégie et notamment de favoriser le renseignement humain par infiltration. Quand ils ont décidé d’appuyer sur le bouton, ils l’ont désintégré. L’opération d’infiltration a démarré après la guerre de 2006, l’opération d’élimination en 2024, il y a quand même 18 ans d’infiltration à un niveau assez incroyable. Personne n’imaginait que le Hezbollah était un géant au pied d’argile, tout le monde le voyait plus fort.
Vous avez pénétré au cœur de la machine du Hezbollah, y a-t-il eu des moments où vous-vous êtes senti en danger, où vous avez reçu des menaces et qu’en est-il aujourd’hui de votre sécurité ?
Nous n’avons pas reçu de menaces. Je ne vous cache pas que sur certains tournages il fallait quand même être sur ses gardes. Quand vous tournez sur une zone du Hezbollah vous êtes toujours accompagné, on vous dit ce que vous pouvez ou ne pouvez pas tourner, vous êtes sévèrement encadrés. On a pu avoir quelques marges de manœuvre quand même. Par la suite le Hezbollah a tenté d’empêcher la diffusion de la série au Liban en coupant le faisceau, et après la diffusion certains amis Libanais m’ont dit que je ne pouvais plus remettre les pieds au Liban. J’habite Paris, je ne me sens pas en insécurité, mais il n’est pas question de retourner là-bas. Sofia a attendu la fin du montage et la diffusion pour partir après 20 ans de présence au Liban. Elle est partie parce que, dit-elle, ils étaient furieux. Ils étaient furieux parce qu’on leur a fait mal, on a tapé leur côté moral, ce sont des religieux, le parti de dieu et on a déchiré le voile.
*PriMed, Hezbollah, l’enquête interdite (Cassandre ou la prophétie du chaos, La longue traque, Au nom de la raison d’État), vendredi 30 juin au Videodrome 2 (49 cours Julien, Marseille), 19h30, entrée gratuite.
*A retrouver aussi sur la plateforme France TV et sur les plateformes payantes myCanal et Prime Video
Jérôme FRITEL a été grand reporter pendant vingt-cinq ans, d’abord pour la presse écrite, puis pour la télévision. Il est l’auteur de plusieurs documentaires d’investigation primés dont HSBC : les gansters de la finance ou encore DAECH : naissance d'un État terroriste.
Sofia AMARA, journaliste et réalisatrice franco-marocaine spécialisée dans le Moyen-Orient, a couvert des événements majeurs comme l'Intifada palestinienne. Basée à Beyrouth, elle collabore avec plusieurs médias et a publié Infiltrée dans l'enfer syrien (Stock).