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Mot de passe oublié ?Nul roman, mais une aventure humaine, très humaine. Un geste unique et singulier, dont monumentalité interroge. Le premier que le plancher a interrogé fut, hasard de la vie, un psychiatre. Guy Roux, praticien à Pau, découvrit en 1994 le plancher dans une maison du Béarn en vente, offerte à la visite d’acquéreurs potentiels. Le psychiatre proposa aussitôt d’acheter le seul plancher et de le remplacer par un neuf. Le vendeur, en réalité beau-frère de Jean, l'auteur du texte gravé dans le parquet en chêne de sa chambre, saisit l’aubaine qui devait lui faciliter la transaction. Le plancher fut déposé et Guy Roux récupéra les quatre parties sur lesquelles figurait un long texte qui l’interrogeait. Jusque là, la gravure était répartie de part et d'autre du lit de Jean. Elle fut irrémédiablement sortie de son contexte de création pour devenir un objet témoignant de la réalisation singulière dont l'hypothèse conduisait à l'époque à considérer comme l'œuvre d'un malade.
Le psychiatre le nomma Plancher de Jeannot afin de préserver un certain anonymat de son auteur et le montra à l’occasion de colloques afin d’en faire un sujet d’études et de connaissance. Encombré par l’ouvrage monumental, il le vendit plus tard à un laboratoire qui s’en saisit comme d’un outil promotionnel. Durant trente années, l’attention des psychiatres, qui considéraient l’auteur comme malade, portait essentiellement sur le sens qui pouvait être donné au texte. Le plancher fut maintes fois exposé. Les institutions culturelles dédiées à l'art brut le montrèrent comme un exemple de ces productions d'autodidactes souffrant souvent de pathologies psychiatriques. Abimé par les transports, jamais nettoyé ni restauré, Le Plancher de Jeannot fut donné à l’hôpital Sainte-Anne qui l’entreposa dans son annexe de la rue Cabanis à Paris.
Mais la destinée du Plancher de Jeannot ne finit pas là. En 2022, il fut décidé de livrer le plancher, très abîmé et peu compris, au musée d’art et d’histoire de l’institution psychiatrique. La psychiatre Anne-Marie Dubois, directrice scientifique du musée, porta sur lui un regard nouveau. Considérant à la fois qu’elle avait devant elle une œuvre d’art dont on ne savait quasiment rien de son auteur et de ses conditions de réalisation, elle décida de le restaurer avec tous les soins, recherches et précautions réservées à toute œuvre d'art, et de conduire une enquête à la fois archéologique, esthétique, ethnologique et biographique. Exposé jusqu’au 19 avril, Le plancher de Jeannot ne livre pas tous son mystère, mais il témoigne désormais de recherches scientifiques sérieuses révélant à la fois ses secrets de fabrication, le contexte social et familial dans lequel il a été conçu, et éclairant la figure de Jean XXX sans que la maladie prenne le pas sur sa personnalité.