Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Ce n’est pas du crowdfunding, on appelle ça du mécénat, mais toujours est-il que pour tenter de boucler son budget, le festival Premiers Plans d’Angers dont la 37e édition a débuté samedi 18 janvier, a dû faire appel à la générosité de personnalités du monde du cinéma. Une cinquantaine d’artistes ont répondu présents et la liste qui n’est pas close devrait être rendue publique d’ici quelques jours. Il n’empêche, c’est un sacré coup de rabot que le budget du festival a essuyé, sans crier gare ou presque avec seulement l’annonce, six semaines avant son ouverture, de la suppression de la subvention de la Région Pays de la Loire. La subvention, d’un montant de 104 500 euros, correspond à 8% du budget total de la manifestation, pas vraiment une broutille. Pour les organisateurs du festival ça a été la douche froide, mais pas seulement. La décision du Conseil régional a aussi heurté les membres du collectif Sous les écrans la dèche, né au lendemain de la réforme de l’assurance chômage de 2020 et fédérant « les précaires des festivals de cinéma ». La direction de Premiers Plans avait engagé un travail avec le collectif sur le statut de ses collaborateurs les plus fragiles, la donne a changé.
82 millions d’économie et non 40 comme demandé par Bercy. Christelle Morançais, la présidente Horizons de la Région, n’a pas pris la décision de sabrer net la seule subvention de cet événement qui est le plus gros festival de cinéma de France après celui de Cannes et qui, dédié aux premiers films de réalisatrices et réalisateurs, a révélé depuis sa création un grand nombre de jeunes talents. Invitée par le gouvernement de Michel Barnier à contribuer, au même titre que toutes les autres collectivités territoriales, à la résorption du déficit des finances publiques, la Région Pays de la Loire devait rendre selon Bercy 40 millions d’euros. Sa présidente a elle décidé avec sa majorité de réduire de 82 millions d’euros le budget de fonctionnement de la Région en 2025, puis de 18 millions supplémentaires jusqu’en 2028. Autant dire que ce budget n’épargne aucun des secteurs couverts par les compétences de la collectivité régionale, même pas l’enseignement secondaire ou la formation qui figurent au premier rang de ses compétences, ni même le nombre de fonctionnaires régionaux puisqu’une centaine de postes ne seront pas renouvelés d’ici 2028, soit 10% de l’effectif.
La chute vertigineuse des subventions à la culture. Pour la culture, cela représente une chute vertigineuse de 73% des budgets dédiés. Le 25 novembre, alors que le projet de budget était connu, une manifestation rassemblait 3 200 personnes (acteurs culturels, artistes, représentants syndicaux, élus) devant l’Hôtel de Région à Nantes pour protester contre les coupes et remettre une pétition signée par 98 000 personnes. Ce à quoi la présidente de Région rétorqua en opposant une fin de non-recevoir : « le budget est bouclé ». Mi-décembre, la liste des institutions et organisations culturelles (mais aussi sociales et sportives) concernées n’ayant toujours pas été publiée, le site d’investigation sur les pouvoirs locaux Médiacités publiait la liste des destinataires d’un courrier type de la Région annonçant le renoncement de la collectivité à « la plupart » de ses « partenariats ». L’Orchestre National des Pays de Loire, Les Escales de Saint-Nazaire, le Festival des 3 continents, la Folle journée, l’Opéra de Nantes, les compagnies du spectacle vivant… et bien d’autres structures culturelles et artistiques de toutes tailles ont ainsi vu s’envoler leur subvention régionale dans sa totalité dès 2025, ou pour moitié cette année avec un assèchement définitif en 2026. Pour l’instant les acteurs culturels encaissent l’onde de choc et commencent à mesurer l’impact. Pour les plus fragiles, c’est le clap de fin qui se profile, pour d’autres ce sera une réduction des programmations, des effectifs, des actions envers les publics…
Un coup porté à la société civile. A cette manière brutale de couper les vivres, s’ajoutent les propos assez cinglants de Christelle Morançais, publiés sur X ou dans la presse régionale. Elle dénonce des « associations très politisées, qui vivent d’argent public » et affirme qu’ « aucune subvention que nous accordons n'a pour finalité de financer un emploi ou payer un loyer ». Les réactions n’ont pas manqué. « Je ne savais pas qu’un tel mépris envers le monde culturel et associatif pouvait s’assumer avec cet aplomb », s’indignait le comédien Philippe Torreton dans une tribune parue dans Le Monde le 10 décembre. Dans Libération du 24 novembre, 1 000 artistes et acteurs culturels dénonçaient « un coup porté à la société civile » car en effet la culture n’est pas seule, la cure s’impose aussi aux associations sportives, à celles œuvrant pour l’égalité femmes-hommes, pour la solidarité, la transition écologique. Elle touche les missions locales, le planning familial… La région oppose à ces coupes dans les budgets de fonctionnement les 15,3 millions d’euros prévus au titre des investissements dans ces mêmes secteurs, mais elle a bien du mal à convaincre de la justesse de ses choix.
Un tour de vis sans précédent.C’est « un tour de vis sans précédent » s’est enorgueillie la présidente de la Région lors de la présentation du projet de budget mi-novembre. Sur ce point au moins elle fait l’unanimité. Mais le coup porté, s’il est d’une ampleur inégalée, n’est pas non plus isolé. Seules les régions Normandie et Bretagne avaient annoncé maintenir leur budget culture en 2025 après les contraintes budgétaires réclamées par Michel Barnier. Les autres exécutifs régionaux ayant annoncé des réductions il est vrai moins drastiques. Du coup, c’est le fondement même du modèle de financement public de la culture qui est ébranlé. Ce dernier ne relève pas de la compétence exclusive d’une collectivité mais de tous les échelons administratifs, de l’État aux communes et, la plupart du temps, les structures bénéficient de financements croisés.
Le ministère de la culture sort les ciseaux. En 2025 le budget du ministère de la Culture, raboté de 100 millions en décembre puis de 50 millions supplémentaires dans l’actuel projet de loi de finances, s’élèvera s’il est voté à 4,45 milliards d’euros. Par ailleurs, selon le dernier tableau de bord du département des études, de la prospective, de la statistique et de la documentation (Deps) du ministère de la Culture, qui publie des chiffres consolidés à N+2, les collectivités territoriales ont investi en 2022 près de 9,8 milliards d’euros dans la culture. La part des régions représente environ 8% de cette somme, les communes étant de loin les premiers financeurs avec 5,753 milliards d’euros. Pour autant ces chiffres restent imprécis car tous les contributeurs publics ne sont pas forcément identifiés.
Les financements publics dans le flou. Selon The Conversation, média en ligne émanant d’un réseau d’universités et d’organismes de recherche, les dépenses des autres ministères allouées à la culture s’élevaient en 2023 à 4,8 milliards d’euros. Le flou règne d’autant plus que les dépenses publiques couvrent des périmètres disparates selon les territoires parce que la définition des politiques publiques peut varier énormément d’une collectivité à l’autre. « Quiconque affirmerait pouvoir indiquer le chiffre exact des dépenses culturelles publiques en France prendrait un bien grand risque. (…) Les dépenses dans les ministères et collectivités territoriales sont le fait de nombreux services qui ne relèvent pas tous de la culture stricto sensu. On y retrouve la culture et le patrimoine, certes, mais également la jeunesse, les loisirs, le tourisme, parfois les sports, aujourd’hui le numérique et même la transition écologique » souligne le sociologue Fabrice Ruffin de l’Université de Picardie.
Plus de 2% du PIB et un service public rendu. Pour autant, les structures subventionnées vivent-elles aux crochets des financeurs publics comme le laisse entendre la présidente de la région Pays de la Loire ? En réalité elles bénéficient pour la plupart de sources de financement variées, notamment grâce aux recettes de billetterie, aux cotisations de leurs membres quand il s’agit d’associations, de services comme la restauration et du mécénat. « Nous savons que la situation est tendue et qu’il faut faire des efforts. Mais là, sans aucune concertation, le couperet est tombé fin 2024, à six semaines du festival. La région était notre deuxième financeur derrière la Ville. Madame Morançais donne l’impression que l’on se gave d’argent public, alors qu’à Premiers Plans, nos ressources propres se situent entre 40 et 50 % » confiait le 17 janvier dans Le Monde Claude-Éric Poiroux cofondateur et délégué général de Premiers Plans. D’autre part, les collectivités dépensent-elles vraiment à fonds perdus ? Dans une autre étude, la Deps évaluait pour 2020 la valeur ajoutée générée par la culture à 46,1 milliards d’euros, soit 2,2% du PIB et ce, malgré la crise due au Covid-19. D’autres acteurs, comme Catherine Blondeau la directrice du Théâtre Grand T de Nantes privé de la totalité de ses 100 000 euros de subvention régionale, insistent sur le service public rendu par les institutions qui développent des actions d’éducation artistique et culturelle en milieu scolaire, ou dans les quartiers hors les murs auprès des publics « éloignés de la culture » comme on dit, avec des tarifs très réduits pour certaines catégories de spectateurs…
Le risque de l’effet domino. Dans le contexte où la réduction des dépenses s’impose à toutes les collectivités, ce que redoutent les acteurs de la culture c’est l’effet domino. Si les budgets sont bouclés avec le concours de subventions, rien ne dit que la défection de l’un ne risque pas d’entraîner le désengagement de l’autre. Claudy Lebreton, la présidente du réseau Culture.Co qui réunit plus de 400 élus et professionnels du développement culturel d’une quarantaine de départements, a publié un appel à "préserver les politiques culturelles départementales face à la crise budgétaire actuelle", estimant que le projet de loi de finances 2025 « porte un coup fatal à leur (les départements) autonomie, et menace directement leur capacité à maintenir des politiques culturelles essentielles à la cohésion de nos territoires ». Alors que ces deux dernières années des départements ont vu leur budget culture divisé par trois, si rien ne change, 80 départements se trouveraient dans l’incapacité en 2027 de voter un budget à l’équilibre sans sabrer dans les dépenses.