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Mot de passe oublié ?Pénétrer une exposition de la Halle Saint-Pierre, rencontrer des œuvres qui rendent visible un pan refoulé de notre humanité, se perdre dans les créations d’auteurs dont la singularité est de se dégager de la norme des sociétés dans lesquelles ils et elles ont été mis au monde, c’est une expérience. Ce lieu unique surprend toujours le visiteur, qu'il soit curieux ou amateur d'art. Les auteurs d'art brut nous apprennent beaucoup de la culture, de la religion, de l'héritage artistique de leur pays, de leur communauté. Martine Lusardy, qui dirige la Halle Saint-Pierre pour défendre et rendre accessibles des productions et des auteurs qui ont longtemps été marginalisés, confronte le concept de Dubuffet à des cultures non occidentales. Après le Japon, c’est en Iran que transporte l’exposition en place jusqu'à l'été.
La Halle Saint-Pierre, seul endroit possible. Pour Martine Lusardy, « L’art brut d’Iran, c’est une rencontre. L’art brut, précise-t-elle, est toujours le fruit de rencontres ». Alors qu’elle était aux États-Unis pour travailler à une exposition sur la diaspora africaine, la directrice de la Halle Saint-Pierre s'est trouvée confrontée à la difficulté de travailler à un niveau international, en raison des coûts d’exposition. « Aux États-Unis, les contraintes, les normes et les coûts sont de plus en plus importants, et l’art brut s’est institutionnalisé. Travailler avec des collectionneurs privés est beaucoup plus facile que travailler avec des institutions » regrette-t-elle. C’est en échangeant avec deux galeristes chercheurs, devenus ses amis, qu’elle apprend leur souhait de faire une exposition sur l’Iran. Mais les relations politiques entre l’Iran et les États-Unis ont rendu la chose impossible. Une évidence est apparue : « le seul endroit où ça peut se faire c’est à la Halle Saint-Pierre. D’abord pour notre disponibilité, pour notre ouverture sur l’art brut en dehors des cultures occidentales, nos possibilités à se connecter avec le monde entier. La Halle Saint-Pierre est un lieu de réflexion, d’échange à un niveau international ».
Avec le commissaire iranien, l'artiste Morteza Zahedi, qui était déjà venu en Europe et aux États-Unis à travers les foires d’art brut, le lien a été fait et l’exposition fut montée en moins de six mois. Martine Lusardy a imposé que tous les artistes soient des Iraniens vivant en Iran, ou ayant vécu et étant décédés en Iran. « Appartenir à la diaspora, être immigré politique ce n’est pas du tout la même chose, explique-t-elle, les influences et les contraintes ne sont plus les mêmes quand on quitte son pays, ni l’approche de la résistance ».
« Je crée donc je suis ». L’art contemporain iranien contestataire émane le plus souvent de la diaspora. On peut s'interroger sur la place et la visibilité de l'art brut en Iran. « Pour l’instant en Iran, cette forme d’expression existe, explique Martine Lusardy, mais il n’y a pas de lieu dédié à la création hors les normes. Ceux qui reconnaissent cette forme d’art le montrent dans des galeries d’art contemporain. Il est donc visible mais il va perdre sa spécificité ». Les auteurs d’art brut ne créent pas en effet pour les mêmes raisons que les professionnels de l’art. Ces derniers, contrairement aux auteurs d'art brut, connaissent les règles du jeu, ils ont la capacité de s’y adapter pour pouvoir en vivre.
« On ne peut pas dissocier dans l’art brut l’œuvre de la vie de l’artiste, qui traverse des moments où le besoin de créer est irrépressible et non négociable. S’il ne crée pas il n’existe pas. Dans l’art brut c’est, non pas je pense donc je suis, mais je crée donc je suis ».
Les dessins de Haaj Mohammad Harati (1908 - 2001) reprennent les peintures des maisons de thé et les illustrations lithographiques. Commerçant puis tanneur, fasciné par l'art depuis toujours, il aura attendu d'avoir 70 ans pour se lancer dans le dessin, l'encre et la peinture, jusqu'à sa mort à 93 ans. Lorsque Ali Azizi (1947-2024), propriétaire d'un magasin de jus de fruits, s'est trouvé confronté à la souffrance d'un cancer, il s'est tourné vers la peinture à laquelle il n'avait pu s'adonner jusque-là. S'entourant de magazines, de photographies et de bandes dessinées, il a conçu des œuvres colorées pour apaiser la douleur.
On retrouve l’arbre dans beaucoup d’œuvres, tout comme les mythes et les figures archétypales qui ont été présents dans toutes les cultures, en cela l’art brut est universel. Mais ces figures, ces mythes, sont réinterprétés de façon très personnelle, à l'instar de la série d’arbres dessinés par le couple Mahmoodkhan & Farideh. Ils ont mis du temps à associer leur dessin, au style très différent. Ces planches à quatre mains sont à considérer comme un geste réparateur du drame de la vie. Une vidéo montre Mahmoodkhan (1947-2023), toujours souriant, raconter sa vie malheureuse sans cesser de dessiner.
Souffrant de graves TOC, Kiyavash Danesh (1966 ) a trouvé très tôt le réconfort dans la peinture. Ses œuvres expriment des récits complexes et des messages obscurs qui reflètent ses grandes connaissances historiques et géographiques. Nazanin Tayebeh (né en 1992) naquit avec le syndrome de Down. Colorés ou noir et blanc, ses dessins où foisonnent des formes abstraites tiennent sans doute lieu de langage.
Chaque rencontre suscite autant de questionnement que d'admiration.
L'art brut d'Iran, jusqu'au 31 juillet 2025 à la Halle Saint-Pierre - Paris.