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Mot de passe oublié ?L’époque médiévale est fantasmatique. Ses dragons, griffons, gargouilles et autre basilic, ont fait peur en son temps. Aujourd’hui ils ont pris le chemin de la littérature fantastique, des jeux vidéo, du cinéma, du manga, pour devenir des phénomènes de la pop culture… Et nombre d’artistes s’en emparent. Cette réalité a favorisé une collaboration inédite entre le musée de Cluny et le FRAC Ile de France. Ce dernier, qui occupe le Plateau de Paris et les Réserves de Romainville, est aussi sorti de ses murs pour composer un immense parcours d’œuvres contemporaines, tandis que le musée médiéval en accueille une vingtaine sous le titre évocateur « Convoquer les chimères ».
« C’est la première fois qu’une exposition d’art contemporain s’installe dans tous les espaces du musée, s’insère parmi les collections, explique son directeur scientifique, également conseiller scientifique pour le FRAC, . Nous avons voulu inverser les points de vue sur un sujet qui a énormément de facettes ». C’est un véritable pont entre les deux institutions puisque le musée de Cluny conserve nombre de modèles originels, sources d’inspiration d’artistes contemporains.
Le parcours débute dans la 2ème salle du musée que surplombe une chimère de l’artiste suisse Jacopo Belloni, passionné par les légendes et le folkore. Assise sur une rambarde, la créature à la tête et aux mains de feuilles vertes étend ses interminables jambes le long du mur de pierre (Giombi (Drollery) 2023). Au sol, entre un alignement de chapiteaux et trois colonnettes recouvertes d’un rinceau habité de personnages, oiseaux, d’animaux monstrueux, est associée une œuvre de Marion Verboom (Achronie 26), architecture composée d’un empilement d’objets sphériques façonnés ou industriels.
D’emblée, ces deux œuvres font écho au principe même de l’esthétique médiévale qui, comme l’explique le conservateur et co-commissaire Michel Huyhn, se distingue par le goût de l‘assemblage, de la fusion des corps avec la végétation et l’animal. Ce processus d’hybridation opère le lien entre les siècles.
Dans une très ancienne galerie au plafond en bois peint, le jeu d’échec est traité en vitrail et en boîte de voyage. Rien d’étonnant à ce qu’un jeu d’échec minimaliste jouxte une vitrine de petits jouets médiévaux fabriqués en étain, vitrine dans laquelle est posée, comme une évidence, une carte de Youri Johnson, un artiste qui se considère lui-même comme une fiction productrice de fictions et dont l’existence est faire de poèmes. D’une vitrine à l’autre, de nombreuses « cartes », entre talismans et bijoux, habillées de délicates ciselures en étain, ont trouvé place et ravivent la magie des objets de la collection.
Sur une étagère, une grande corne en forme d’ongle de griffon du XVIe siècle, enchâssée de cuivre ciselé, se trouve entourée de cornes de bœuf qui reprennent les cornes à boire de l’Antiquité, sont montées elles aussi sur une structure métallique, mais… débordent d’un sang carmin. Elles sont l’œuvre de Corentin Darré (Bloody Mary, 2021). « Avec ce sang, elles pourraient être sorties d’un récit, d’un univers qui renvoie directement à celui de la pop culture, à un manga. Le sang fait aussi référence au sang du Christ versé pour sauver les hommes » souligne Rémi Enguerhardt, co-commissaire de l’exposition. De sang il est aussi question avec le tableau Ceux qui ne dorment pas et qui gardent réalisé avec du sang sur papier. Son autrice, Alison Flora, prélève régulièrement son sang pour réaliser des compositions architecturales peu réalistes mais très évocatrices.
Après avoir traversé la salle où est conservée la fameuse tapisserie de La dame à la licorne, L’ange vert (2023) de Lou Le Forban, souriant, dansant, un luth à la main, voisine avec un charmant petit musicien du XVe siècle. Enfin, où ailleurs qu’au musée Cluny peut-on voir associés un aigle lutrin du XIVe siècle, fabriqué en laiton et dont le support est soutenu par trois petits lions, et un fauteuil de Diego Giacometti à l’élégante structure de bronze aux motifs zoomorphes et aux pattes de lion ?
Tout fait sens. Le contemporain s’immisce parmi les subtilités, les spiritualités et les inventions médiévales. Le médiéval révèle les sources et les inspirations souterraines aux créations d’aujourd’hui. Une intelligence opère, une connaissance et une grande attention portée à un imaginaire qui trouve toujours grâce à nos yeux.
Exposition Convoquer les chimères. Héritage médiéval dans l’art contemporain. Avec les œuvres de Jacopo Belloni, Corentin Darré, Erik Dietman, Frederik Exner, Richard Fauguet, Alison Flora, Diego Giacometti, Youri Johnson, Lou le Forban, Marion Verboom, Xolo Cuintle.
Jusqu'au 20 juillet. Musée de Cluny, 28 rue du Sommerand - 75005 Paris.
Cette exposition fait partie du programme "Berserk & Pyrrhia, art contemporain et art médiéval", proposé par le Frac Île-de-France. Pour en savoir plus sur le programme, télécharger le journal édité par le Frac Île-de-France.