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Belles rencontres à Drawing Now

par Véronique Giraud
Le stand de la galerie Alain Gutharc à Drawing Now, Carreau du Temple. ©Rivaud-NAJA
Le stand de la galerie Alain Gutharc à Drawing Now, Carreau du Temple. ©Rivaud-NAJA
Quelques portraits de Eri Duden exposés par la galerie Alain Gutharc. ©Rivaud-NAJA
Quelques portraits de Eri Duden exposés par la galerie Alain Gutharc. ©Rivaud-NAJA
Diaquarelles, de Belzère, sur le stand de la galerie m.g. oger. ©Rivaud-NAJA
Diaquarelles, de Belzère, sur le stand de la galerie m.g. oger. ©Rivaud-NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 15/04/2025
Les galeries du salon Drawing Now éveillent chaque année la curiosité des collectionneurs et amateurs éclairés, les conférences invitent à la réflexion sur les champs de la création d’aujourd’hui. L’événement printanier offre aussi l’opportunité d’un aparté avec un galeriste, avec un artiste dont les œuvres intriguent.

Il est des œuvres qui disent beaucoup de leurs auteurs. En parcourant le Salon Drawing Now 2025, plusieurs rencontres, avec artistes et galeristes, ont éclairé des œuvres singulières de pans de vie. Il aura bien sûr fallu auparavant, en parcourant les allées du Carreau du Temple, avoir été attiré, intrigué par ces productions. Dans la section Process du salon, installée au sous-sol, la galerie S. présente le projet C.O.D.A. d’Arthur Gillet, qui lui a été inspiré de sa propre expérience de vie de CODA (Child of deaf adult, enfant entendant né de parents sourds). « L’acronyme anglais n’existe pas en français, souligne Sidonie Gaychet, directrice de la galerie. La coda est aussi le signe en musique qui fait le lien entre deux partitions. Or l’enfant coda va faire le lien entre les parents sourds et le monde des entendants ». C’est un rôle qu’Arthur Gillet a assumé pendant toute son enfance. À l’époque où sa mère cherchait du travail, l’ANPE lui demandait de téléphoner. Lorsqu’elle disait qu’elle ne pouvait pas, étant sourde, on lui répondait demandez à votre fils, il a dix ans… L’un des tableaux, reprenant l’Annonciation de Fra Angelico, représente cet état des choses. « Le rôle du Seigneur est joué par la technologie, celle-ci va libérer Arthur., poursuit Sidonie. L’avènement d’Internet va lui permettre de se libérer de ce rôle par rapport à ses parents ». Il représente sa mère en Vierge, lui-même en ange. La série d’œuvres, réalisées à la peinture sur soie, avec des couleurs douces et chatoyantes, fait à la fois référence à l’histoire de l’art, à la littérature, au dessin d’animation japonais, et intègre des éléments technologiques familiers comme les satellites.

C’est en suivant un atelier de peinture sur soie donné par des vieilles dames à son école, qu’il acquiert cette technique et conçoit des vêtements. Il raconte comment il a développé une peinture narrative, bien que honnie des Beaux-Arts de Rennes où il étudie. Ses professeurs ont tenté de le dissuader, mais il y reviendra plus tard. « Le besoin d’être coloré, d’être figuratif, vient de ce que j’avais conscience que dans le monde entendant c’était une maitrise de ses émotions, une maitrise de sa gestuelle pour créer un discours intelligent » explique-t-il. La douceur de la palette et la maîtrise d’exécution de la peinture sur soie peuvent suggérer une main et un esprit féminins. Vêtu d’une chasuble rouge en soie peinte, arborant une longue barbe noire joliment bouclée, Arthur Gillet fait sensation. Souriant, il prend le temps de commenter son travail, explique qu’enfant il se voyait en héroïne, ou en soubrette sous les traits de princesse Sarah du dessin animé japonais.

Ses compositions évoquent l’organisation du vitrail, Dieu est remplacé par un satellite, et Fra Angelico inspire son motif de l’Annonciation, lui se peint en ange Gabriel, la Vierge prend les traits de sa mère. « Il y a le rôle de la technologie dans les cieux, les références religieuses viennent du fait que l’enseignement aux enfants sourds de la génération de ses parents était fait en général par les religieux. Ce sont des souvenirs douloureux, son père a été maltraité. Il y a aussi un référentiel visuel important, celui d’un artiste italien, Cristofero de Predis, moine copiste du XVe siècle, qui était l’un des maîtres de da Vinci, et qui était sourd. Chargé, par une commandite du duc de Florence, de réaliser le premier manuel d’enseignement à destination des sourds. Dans ce manuel, il y a déjà la séparation du monde terrestre du monde céleste par des nuages, et la codification de la flèche dans l’oreille pour symboliser la surdité. Cette flèche représente aussi le hasard, la surdité peut atteindre tout le monde. En France, seules 5% des surdités sont héréditaires.

En montant une exposition collective, intitulée Désirés, co-organisée avec le collectif Lusted Men, qui portait sur l’érotisation du corps des hommes, Sidonie Gaychet fit la connaissance d’Arthur , alors danseur et performeur. Après qu’Arthur ait réalisé une fresque de peinture sur soie de 25 mètres, présentée en mai 2024 dans la vitrine de l’Institut Français de Berlin, la galerie S. a présenté son projet CODA au moment des Jeux paralympiques car, explique Sidonie, « les athlètes sourds sont exclus de ces jeux, trop valides pour les Paralympiques, pas assez pour les jeux Olympiques ». L’exposition prenait alors tout son sens.

 

Hommage à la diapositive. Toujours dans la section Process, il est difficile d’échapper à l’impact d’une série de grandes diapositives qui occupent les trois pans de la galerie jm.oger. Pour sa première participation à Drawing Now, la galerie a choisi de présenter Diaquarelles, un projet de l’artiste peintre franco-suisse Stéphane Belzère (1963-) dont l’intention est de rendre hommage, par la peinture, à la technique de la diapositive dont l’usage, très répandu des années 60 aux années 90, s’est étiolé avec l’arrivée du numérique pour s’éteindre en 2013. Ces tirages argentiques étaient destinés à la projection dans l’intimité d’une soirée familiale ou amicale autour de vacances, ils étaient aussi courants dans la presse pour leur qualité. Pour en raviver la mémoire, Stéphane Belzère a soigneusement reproduit le cache cartonné qui entourait la pellicule et, à l’aquarelle, l’image telle qu’elle était vue une fois projetée. Ce n’est pas la nostalgie mais plutôt un pied de nez aux nouveaux usages qui lui a donné l’envie en 2019 de faire réapparaître des pans de la collection familiale au côté de sujets touristiques, politiques, mondains. Les logos imprimés sur le cache informent de la nature du laboratoire de développement de ces photographies analogiques, certaines annotations écrites à la main informent de leur géolocalisation et de la date. Parfois il aura fallu la détermination de l’artiste pour parvenir à trouver lieu et date de la prise de vue. Qu’elles soient ou non identifiables, ces images évoquent à la plupart des visiteurs le souvenir familier d’une époque révolue.

« Je trouvais que c’était une évidence de montrer ce travail à Drawing Now, étant donné la qualité du travail sur la lumière et l’originalité de cette série basée sur des images analogiques, explique le galeriste. Je trouve intéressant le rapport entre une image, l’aquarelle en l’occurrence, et un autre médium, la photo ». La série embrasse toutes sortes de sujets mémoriels, Berlin avant la construction du mur, Andy Warhol lors d’un vernissage, Daniel Cohn Bendit dans un café, les plaisirs des vacances, les portraits de famille, la beauté éclatante d’une fleur… Il y a aussi les nombreuses prises de vue dans les ateliers des Beaux-Arts de Paris, dont Stéphane Belzère fut l’élève. Oubliées dans des cartons, elles n’ont jamais été visionnées et font une apparition inédite. « Cette série sur l’école des Beaux-Arts de Paris, qui permettait de montrer l’artiste au travail, l’artiste dans des vernissages, tout ce qui fait la valeur documentaire de ces images, n’a jamais été exploitée, recensée, triée, dormait dans des fonds des années 70 ». Ce travail de mémoire documentaire de la série Diaquarelles rend compte aussi des évolutions du monde et de notre rapport à l’image.

 

Être au départ. Au rez-de-chaussée, dans le prolongement de l’entrée principale de Drawing Now, les dessins d’Edi Dubien occupent un pan entier de la galerie Alain Gutharc. « Accompagner un artiste c’est comme dans la vie, ça peut être pour quinze jours ou pour toute la vie. Ce que j’aime c’est être au départ, comme je l’ai fait pour Edi Dubien dont l’exposition actuelle au musée de la nature et de chasse est un grand succès et a été prolongée de trois mois. Je l’ai rencontré il y a huit ans. Autodidacte, il n’avait jamais exposé. Il aurait voulu faire les beaux-arts mais dans son milieu ça ne se faisait pas ». Venu à la galerie de la part d’un artiste pour montrer ses dessins, Edi Dubien ne se sentait pas autorisé, n’ayant pas fait les beaux-arts. « Je lui ai dit qu’être autodidacte n’est pas un problème. Ce qu’il m’a montré n’était pas aussi abouti qu’aujourd’hui mais j’ai ressenti quelque chose de fort. Aujourd’hui c’est un artiste vivant de son travail et reconnu pour ça ». Les portraits de petits garçons et d’adolescents, soigneusement réalisés à l’aquarelle, à l’encre, au crayon, voisinent souvent avec des animaux, papillons, oiseaux, ours, renard, loup ». Né garçon dans un corps de fille, comme il le dit lui-même, Edi Dubien n’a pas connu cette enfance. Ses autoportraits, quelque peu mélancoliques, sont ceux du garçon qu’il se sentait être, qu’il se voyait, plus à l’aise avec les animaux que dans ses relation familiales et même amicales. Les animaux ne le comprenaient peut-être pas, mais ils ne le jugeaient pas et étaient source de réconfort. Sa relation avec eux et avec la nature n’a pas cessé. « Ça parle de lui, et ça parle du monde. Son travail touche des gens très différents. Dès le départ, ses dessins ont été vendus à Beaubourg. Très vite il y a eu une exposition au musée d’art contemporain de Lyon. Cette année il était à la Biennale de Lyon, au Centre Pompidou-Metz pour Lacan, jusqu’en mai au musée de la chasse et de nature où de nombreux visiteurs sont des enfants ». À Drawing Now, les ventes sont nombreuses. « En France il marche bien, j’aimerais bien que des galeries étrangères, à Berlin ou aux États-Unis, prennent le relai ».

À quelques pas du Carreau du Temple, au 3 rue Saint-Claude, la galerie Alain Gutharc expose pour la deuxième fois Romuald Jandolo. Le galeriste a liké sur Instagram une photo de son travail alors que l’artiste était en résidence à Paris, et la rencontre eut lieu à Montmartre. « Chaque rencontre avec les artistes est unique. Avec le Canadien Kris Knight, dont les délicats portraits de jeunes hommes sont exposés, la rencontre s’est faite par l’intermédiaire d’une amie. Suzanne Husky, dont on peut voir une magnifique tapisserie, je l’ai découverte au Salon de Montrouge. Je l’ai appelée, elle était à San Francisco. Sa série des Planteurs a remporté le Prix Drawing Now 2023 ».

 

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