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Printemps des Comédiens, les combattantes d’Alexievitch mises en scène par Deliquet

par Véronique Giraud
"La guerre n'a pas un visage de femme", mis en scène par Julie Deliquet fait l'ouverture du Printemps des Comédiens © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 31/05/2025
Julie Deliquet poursuit son théâtre du documentaire avec, créée le 30 mai en ouverture du Printemps des Comédiens de Montpellier, une adaptation éponyme de l’ouvrage de Svetlana Alexievitch, La guerre n’a pas un visage de femme. Témoignages de neuf combattantes soviétiques pendant la première guerre mondiale.

Julie Deliquet avait ouvert le Festival d’Avignon 2023 avec son adaptation de Welfare, un documentaire de Frederik Wiseman qui avait fait tourner sa caméra en 1975 dans les bureaux des services de santé et d’aide sociale de New-York, rendant visibles la détresse des patients et l’épuisement des travailleurs sociaux.

Cette année, la metteure en scène ouvre un autre festival, le Printemps des Comédiens, avec La guerre n’a pas un visage de femme, premier livre qu’a fait paraître en 1985 la journaliste biélorusse Svetlana Alexievitch (née en 1948 à Stanislav, Ukraine) dans lequel elle retrace par des entretiens le récit de femmes soldats de l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale. Alexievitch, dénoncée comme « antipatriotique, naturaliste, dégradante » par le pouvoir soviétique et ensuite soutenue par Gorbatchev. Son livre est un best-seller.

 

Fidèle à la trame de l’ouvrage, Julie Deliquet nous met face à neuf femmes qui vont répondre aux questionnements d’une autre femme, incarnant l’autrice. Assises dans la cuisine d’un appartement communautaire, elles racontent tour à tour leur « guerre ». Celle vécue en tant que partisan (émouvante Évelyne Didi) dans la résistance communiste, celle vécue par de toutes jeunes lycéennes et de jeunes mères qui délaissèrent leurs parents, leur compagnon, leur enfant, pour s’engager au combat. Elles s’improvisèrent aviatrice, brancardière, aide-soignante. L’une d’elle, médecin, poursuivit sa vocation sur le front de la « grande guerre patriotique ». Elles racontent leur premier choc de la guerre, la façon dont elles sont enrôlées, ce que représente la haine, le pénible retour après quatre ans d’absence, les violences et les tortures subies ne viennent qu’au final.

Ce qui transparaît dans ces dialogues qui fusent d’une vie à une autre, c’est la difficulté à saisir l’importance de ce qu’elles ont vécu. La victoire finale, « c’est la victoire des hommes », les femmes ont dû rejoindre le foyer ou en former un afin d’assurer la bonne marche du pays et passer dans l’oubli. Après avoir souffert dans leur âme, dans leur chair, avoir vécu l’atrocité, avoir dû porter puis soigner des corps démembrés, déchiquetés, éventrés, celles qui ont été culpabilisées par leurs familles pour les avoir abandonnés, ont dû taire ces années pour tenter de redevenir des femmes « normales ».

 

C’est un récit de l’intime que nous livre Alexievitch, une résistance qu’on ne lit pas dans les livres d’histoire, une souffrance qui a gangréné les corps du million de femmes soviétiques engagées. Une part d’ombre nécessaire pour ne pas atténuer la lumière due au Combattant valeureux, unique incarnation de la victoire. « Les hommes nous ont lâchées après la guerre » dit, amère, une guerrière. Loin de l’ouvrage historique, ce sont des fragments de vie, des souvenirs épars qui font littérature. Ces Ukrainiennes, Biélorusses, Sibérienne, témoignent de l’immensité d’un État, l’URSS de Staline, capable d’écraser son peuple pour gagner contre l’ennemi nazi, jadis allié.

Avec cette nouvelle pièce, Julie Deliquet poursuit ce théâtre du documentaire où le tragique n’est plus dans la création mais dans une « esthétique du témoignage ». Au point que les actrices passent l’essentiel de leur temps assises pour répondre aux questions d’une écrivaine que la metteure en scène a voulu hésitante, parfois maladroite. La question esthétique est donc bien posée par notre époque, au rebours des siècles précédents où les artistes considéraient que l’art ne devait pas reproduire le réel, tâche impossible, mais donner à l’imaginer. Rapportant des fragments des entretiens enregistrés, Svetlana Alexievitch fut d’ailleurs la première journaliste à recevoir le Prix Nobel de littérature en 2015 sans avoir écrit de fictions,. Au rebours d’Elfriede Jelinek, Doris Lessing, Herta Müller ou Alice Munro qui, en notre siècle, le reçurent avant elle pour leurs romans.

 

La guerre n'a pas un visage de femme, texte Svetlana Alexievitch. Traduction : Galia Ackerman, Paul Lequesne. Version scénique : Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos. Les 30 et 31 mai à 19h. Le 1er juin à 17h. Domaine d'O - Théâtre Jean-Claude Carrière. 178 Rue de la Carriérasse 34090 Montpellier

Avec : Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Blanche Ripoche, Hélène Viviès.

 

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