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Dix petites heures au Musée Duras : Gosselin en majesté

par Véronique Giraud
Musée Duras, spectacle de Julien Gosselin créé avec quinze élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL, dans le cadre des Ateliers de 3e année. © Christophe Raynaud de Lage
Musée Duras, spectacle de Julien Gosselin créé avec quinze élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL, dans le cadre des Ateliers de 3e année. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Performance Publié le 08/06/2025
Julien Gosselin a tenu en haleine le public avec "Musée Duras", un spectacle sécable de 11 heures avec pauses créé au Printemps des Comédiens. Une incarnation littéraire et une expérience théâtrale hors normes.

C'est un fait. Le choc d’une lecture déclenche chez Julien Gosselin le désir de la partager en la mettant en scène. Dans ses spectacles, le texte tient le premier rôle. La conjugaison Duras / Gosselin tenait d’une évidence. Entre l’écrivaine réalisatrice et le metteur en scène dont le théâtre donne corps à la littérature, une parenté s’est imposée. Après plusieurs réalisations inspirées par les écritures de Houellebecq, Bolano, Don DeLillo, Thomas Bernhard, le metteur en scène se réinvente avec quinze jeunes comédiennes et comédiens du Conservatoire national d’art dramatique, qu’il embarque dans un long voyage dans les livres de Duras. En cinq performances de deux heures (à voir en continu ou séparément) défilent L’homme assis dans le couloir, Savannah Bay, L’amant, Hiroshima mon amour, La maladie de la mort, L’exposition de la peinture, L'homme atlantique

 

Une expérience. Alors que l’auditoire est en train de prendre place sur les deux gradins qui se font face, une voix répète « Lie Down please. Lie Down please »... (Allongez-vous s’il vous plaît). L’injonction ne surprend pas les habitués du théâtre de Julien Gosselin. La proposition d’occuper le plateau leur avait été faite dans les premiers moments d’Extinction, au Printemps des Comédiens 2023. Quelques volontaires quittent leurs sièges pour s’allonger, puis, alors que l’intensité lumineuse baisse, qu’une brume blanche envahit l’espace, une autre invite se fait entendre : « Close your eyes ». Vibratoire, la musique augmente de puissance, à la limite du supportable, et sur l’écran noir s’affichent quatre grandes lettres : PORN. La voix devient forte, criarde parfois, déversant le flot des mots. Yeux clos, l’acte sexuel décrit dans ses moindres instants pénètre les imaginaires. L’écriture cinématographique de Duras trace son chemin à l’intérieur. L’esthétique théâtrale de Gosselin est une expérience. Dégageant de la tension de la lecture, elle laisse chacun libre d’inventer soi-même des personnages, des paysages, la lumière du jour ou de la nuit, la chambre, la maison au bord de la mer…

 

« Le jeu enlève la force du texte ». La phrase est dite deux fois dans Musée Duras. La connivence de l’écrivaine avec le processus esthétique du metteur en scène était écrite. Les textes choisis sont dits, chantés, hurlés, chuchotés, et surtout incarnés par des actrices et acteurs qui assurent également la maîtrise de la bande son, des caméras, des micros, des changements de décor.

Après une première demi-heure passée dans la pénombre de la chambre, le temps d’une courte pause, une grande table est installée, les bougies l’éclairent. Les comédiens attablés échangent, en mangeant et buvant, autour du métier d’actrice et de l’amour, c’est Savannah Bay. Anglais, français, farsi, arabe, les langues se croisent. Deux comédiens cameramen vont et viennent autour de la table, comme en témoignent les plans rapprochés sur les deux grands écrans. Un dispositif théâtral et filmique familier de Gosselin.

Un peu plus tard, seule en scène, une comédienne, magnifique Alice Da Luz, dit L’amant. A sa suite, plusieurs comédiennes et comédiens s’affairent à la technique avant de prendre en charge leur texte. Les trios amoureux font monter la fièvre du désir, la cruauté, la plainte, le désespoir, l’humiliation, le mensonge, les couples se font et se défont, l’amour donne voix à bien des scénarios. Face caméra, une comédienne portant grandes lunettes et pull à col roulé, incarne l’écrivaine qui parle art et peinture tandis qu’une autre entre sur scène, nue, pour être préparée à devenir œuvre d’art…

 

À chaque texte une forme scénique. Performance, théâtre, cinéma, public assis sur les gradins, ou rejoignant sur scène les comédiennes et comédiens, le texte s’écoute, se vit, l’auditoire encadre ou accompagne les corps porteurs de mots, la musique enveloppe, excite, dérange, les voix se délectent des phrases, grondent un mot. L’espace-texte-musique de Gosselin maintient les sens en alerte. Le sexe, la mort, l’Atlantique, l'Indochine de Duras, effraient et séduisent. Les corps des actrices et acteurs sont extraordinairement liés aux mots. Difficile de s’extirper d’un engrenage si bien huilé qu’il fait aimer ce qu’on entend.

 

Musée Duras. Création 2025, samedi 7 juin et dimanche 8 juin au Printemps des Comédiens. Théâtre Jean-Claude Carrière, Domaine d'O, Montpellier. Du 9 au 30 novembre à l'Odéon - Théâtre de l'Europe / Ateliers Berthier.

Avec des élèves de la promotion 2025 du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris : Mélodie Adda, Rita Benmannana, Juliette Cahon, Alice Da Luz Gomes, Yanis Doinel, Jules Finn, Violette Grimaud, Atefa Hesari, Jeanne Louis-Calixte, Yoann Thibaut Mathias, Clara Pacini, Louis Pencréac’h, Lucile Rose, Founémoussou Sissoko et la participation de Guillaume Bachelé et Denis Eyriey.

Mise en scène et scénographie : Julien Gosselin.

Dramaturgie : Eddy D'aranjo. Collaboration à la vidéo : Pierre Martin Oriol. Musique : Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde. Lumière : Nicolas Joubert. Collaboration à la scénographie : Lisetta Buccellato. Costumes : Valérie Montagu. Assistante à la mise en scène : Alice de la Bouillerie. Régie générale : Loraine Mercier. Régie lumière : Nicolas Joubert et Lou-Hanna Belet. Régie vidéo : Raphaël Oriol et Baudouin Rencurel. Régie son : Dominique Ehret et Julien Feryn. Machinerie/accessoires : Nathalie Auvray. Habillement : Nicolas Dupuy. Et l’équipe de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

 

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