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Éric Feldman, la Shoah, la famille et la pétanque

par Véronique Giraud
Eric Feldman. DR
Eric Feldman. DR
Arts vivants Performance Publié le 25/06/2025
Comédien, Éric Feldman est l’auteur d’un stand-up… qu’il joue assis. À la fois irrésistiblement drôle et terriblement émouvant, son spectacle "On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie" porte avec la politesse du désespoir la parole de l’enfant d’une famille brisée par la Shoah.

Il aurait pu se laisser dominer par la dépression, ou devenir analyste, mais Éric Feldman a choisi de raconter. Alors il attend devant les gradins du théâtre. Assis dans un fauteuil, une petite table près de lui, il entame sur le ton de la confidence un monologue de son expérience de vie et d’une longue psychanalyse achevée il y a trois ans. Le visage grave prend la lumière, les yeux pétillent d’intelligence, le grand corps est replié. Au fil du spectacle, les phrases égrenées finissent par construire un récit familial. Souvent, il en isole un mot, un mot qu’il répète pour en faire entendre les sens et contre-sens, il s’interroge sur sa prononciation, souligne un usage très XXe siècle, avant de le poser dans la bouche de ses oncles et tantes, enfants cachés survivants de la Shoah. Ses paroles deviennent alors armes de destruction.

« Mes grands-parents étaient des étrangers en France, ils ont rêvé la France Victor Hugo et d’Émile Zola, ils ont eu celle de Philippe Pétain et de Pierre Laval, ils ont connu les rafles et la déportation ». C’est de son grand-père qu’il tient le titre de son spectacle : On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie. Cette phrase, son aïeul l’avait malicieusement glissée dans l’oreille d’un joueur de pétanque. Elle résume l’héritage d’une pensée résiliente. On entend le tragique se lier à l’humour, le miracle d’être vivant à l’avortement, l’amour à la dépression, la tristesse à la désinvolture, le suicide au yoga. Convoquant les figures de Freud et de Hitler, Éric Feldman les contient dans le champ de l’intime, dans l’étrangeté des rêves, dans la construction d’une conscience, dans le rapport à soi. L’auteur manie l’humour avec sérieux.

Auschwitz, respirer, caché, cendres… Anodin pour certains, l’usage d’un mot peut être redoutable pour d’autres. Survivant d’une famille brisée, Éric Feldman chemine vers l’abyssale profondeur de la mémoire et des silences de ceux qui ont survécu au pire. Ramenant jusqu’à aujourd’hui, aux traumatismes des « malades du Camp » (référence au psychanalyste Gérard Haddad), il distille une gravité, une difficulté à vivre, qui résonne de mille manières, et sur bien des fronts, avec notre XXIe siècle.

 

On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie est joué depuis novembre 2024. Ce spectacle théâtral, produit par la compagnie Miam Miam, est mis en scène par Olivier Veillon avec l'aide de Joël Pommerat.

Installé au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 29 juin (c’est complet), Éric Feldman débarquera au Théâtre du Petit Saint-Martin du 6 septembre au 26 octobre 2025.

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