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Marseille Un été en expos à la Friche de La Belle de Mai

par Pierre Magnetto
Under Automata, d’Eva L’Hoest, Tipping Point. © Naja
Under Automata, d’Eva L’Hoest, Tipping Point. © Naja
Le cercle vide, de Stéphanie Roland, Tipping Point. © Naja
Le cercle vide, de Stéphanie Roland, Tipping Point. © Naja
La Taupinière de Madison Bycroft pour visionner The sauce of all order. © Naja
La Taupinière de Madison Bycroft pour visionner The sauce of all order. © Naja
Viens avec moi, expo des ateliers La Fosse et Les Rhizomes. © Claraprat
Viens avec moi, expo des ateliers La Fosse et Les Rhizomes. © Claraprat
Arts visuels Arts plastiques Publié le 02/07/2025
Le site culturel marseillais présente dans le cadre de sa programmation estivale trois expositions d’artistes d’art contemporain dont les travaux témoignent d’un monde parvenu à un point de bascule. Une exhibition empreinte d’éco-anxiété mais aussi porteuse de voies de résilience.

Jusqu’au 28 septembre, les 3e et 4e étages de la tour de la Friche de la Belle de Mai à Marseille abritent Tipping Point, une exposition d’art contemporain franco-Belge coproduite par l’association Fraeme résidente de la Friche contribuant à la diffusion de l’art contemporain, par Le Botanique, le centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles dédié aux arts plastiques et à la musique et l’Institut Supérieur pour l'Etude du Langage Plastique (ISELP) de Bruxelles également. Dix artistes belges ont été sélectionnés par les deux institutions bruxelloises ainsi que deux artistes marseillaises invitées par Fraeme. « J’avais la chance de connaître Jérome Pantalacci d’ART-O-RAMA* que j’ai revu au Botanique il y a un an et demi, je lui ai fait part de mon souhait d’organiser une exposition à Marseille et il a demandé que je lui fasse une proposition, c’est comme ça que nous avons commencé », rapporte Grégory Thirion, co commissaire de l’exposition avec Adrien Grimmeau de l’ISELP. Les deux commissaires ont réalisé ensemble une sélection d’artistes avec lesquels ils avaient déjà travaillé et qu’ils souhaitaient suivre et pourquoi pas, « leur faire passer les frontières ».

Témoins d’un monde en rupture. « Tipping Point , la thématique, est arrivée après, elle s’est imposée au vu des artistes et œuvres sélectionnés », reconnaît Grégory Thirion. Le terme Tipping Point, littéralement le point de bascule ou le seuil critique, « désigne cet instant où une société atteint un point de non-retour, basculant irrémédiablement vers une nouvelle configuration. Aujourd’hui, ce sentiment de rupture est omniprésent avec les bouleversements climatiques, l’accélération du numérique, la polarisation politique qui génèrent une anxiété croissante face à l’avenir ». Si les œuvres n’ont pas été réalisées spécialement pour l’expo, elles sont toutes le fait de jeunes artistes dont le travail s’inscrit dans la thématique, une perception « générationnelle » du monde que l’on retrouve de plus en plus souvent dans les expressions artistiques contemporaines. Eva L’Hoest, qui vit et travaille à Bruxelles, présente Under Automata, une image capturée grâce à un appareil de photogrammétrie 3D, outil utilisé dans l’industrie du jeu vidéo pour modéliser très précisément des objets ou personnages. De retour d’une résidence aux États-Unis, l’artiste a scanné les passagers de l’avion en train de dormir, restituant une image inquiétante de corps abandonnés comme dans un sommeil éternel, semblant pétrifiés, vitrifiés. « Les japonais y ont vu l’évocation de Fukushima, ailleurs on pense plutôt à des zombies, à un crash d’avion ou à Pompéi », commente l’artiste. « La traduction entre l’analogique et le digital est au cœur de ma pratique, il est question de domestication réciproque entre l’humain et la technologie car on ne sait plus exactement qui domestique l’autre », vaste question à l’heure du déploiement de l’IA que d’autres artiste de l’expo abordent aussi à leur manière.

Le Point Némo poubelle de l’industrie spatiale. Stéphanie Roland, artiste visuelle et cinéaste présente Le cercle vide, l’évocation d’un cimetière spatial situé sur le Point Némo, le site marin le plus éloigné de toute terre, vers lequel l’industrie des satellites précipite ses engins parvenus en fin de vie, engloutis dans cette fosse abyssale de 4000 mètres de profondeur. « Je me suis aperçu qu’il n’existait aucune image de ce point et j’ai voulu créer une histoire comme un documentaire », explique-t-elle. L’artiste a créé ses propres images, de fausses archives, pour raconter « la vie et la mort d’un satellite » ; proposer « une sorte de voyage de science-fiction inversé car au lieu que ce soit un humain qui part vers l’ailleurs, c’est une machine qui revient vers la mer ». La jeune femme a été troublée par l’attachement dont les scientifiques témoignent vis -à-vis de ces engins en fin de vie. Elle a créé une caméra, sorte d’appareil hybride entre sonar et instrument d’astronomie, qu’elle a plongé dans la mer pour recueillir des images de type écographie marine avec lesquelles elle a monté son film. L’artiste déplore que cette pratique de l’industrie spatiale « soit cachée. On ne verra jamais une image mais j’ai voulu la rendre visible quand même ».

Ce  monde qui semble nous glisser entre les doigts. De son côté, Amandine Gurueaga, une des deux marseillaises de l’expo, présente So Wet Blue et Su lengua afilada, un travail autour de la transformation de la peau animale. L’artiste utilise des cuirs « déclassés » ne pouvant servir à la maroquinerie, car présentant des défauts (cicatrices, vergetures, marques cutanées), mais « qui témoignent de la vie animale et de l’exploitation de masse des animaux par l’industrie agroalimentaire ». Pour l’artiste ce travail est aussi une célébration d’un savoir-faire unique, les peaux sont rendues quasi transparentes puis colorées grâce à un process de transformation élaboré avec des tanneurs et des chimistes. Le point commun entre ces artistes et les autres exposés à la Friche, la capture volontaire ou pas « de ce monde qui semble nous glisser entre les doigts ».

Une expo de bon ou mauvais augure. La salle du Panorama est quant à elle dédiée à Les mensonges du météorologue, une installation de Madison Bycroft, artiste d’origine australienne qui vit et travaille à Marseille, proposée par Triangle-Astérides, centre d’art contemporain d’intérêt national établi à la Friche. L’artiste a réalisé dans le cadre d’une résidence à la Villa Médicis un film de 33 minutes, The sauce of all order (La sauce de tout arrangement), comédie à la fois musicale et gore sur le cercle des augures de la Rome antique. Le film est projeté dans l’antre d’une taupinière géante tandis que tout autour il est augmenté par la présence de sculptures d’oiseaux qui servaient d’oracle pour les prêtres, et de créatures éviscérées car on lisait l’avenir aussi dans les entrailles. Pour l’artiste, « c’est de la possibilité contrariée d’accéder à la vérité des êtres et des choses par le langage qu’il est question ».

Le regard d’artistes de la Belle de Mai sur le quartier de la Friche. Enfin, la Galerie de la salle des machines, au rez-de-chaussée de la tour, accueille Viens avec moi, une proposition des Ateliers La Fosse et Les Rhizomes tous deux installés à quelques minutes à pied de la Friche. Cette exposition collective dans laquelle quatre plasticiennes et plasticiens ont été invités notamment par un collectif d’habitants ayant droit de regard sur la programmation de cette galerie, propose diverses œuvres plastiques nourries par leur quotidien dans le quartier, leurs pratiques artistiques, leurs déambulations et leurs rencontres avec les habitants. Frédéric Arcos, Matthieu Herreman, Nathalie Hugues et Noémie Privat invitent le public à une traversée esthétique et poétique du quartier. Noémie Privat de l’atelier Les Rizhomes précise que les artistes présents « ne travaillent pas ensemble mais sont complémentaires. On a voulu adresser des images qui parlent de l’influence de ce quartier sur nous, sur notre travail d’artiste, sur notre culture » ajoute-t-elle. « L’exposition s’appelle Viens avec moi, c’est simple, il suffit de se rapprocher des pièces et de les ressentir ». L’artiste a choisi de travailler à l’aide de la technique de la gravure à taille douce pour représenter des femmes allongées et témoigner du travail qu’elle fait sur le corps féminin et sa représentation dans le monde de l’art. « Le regard sur le féminin m’influence beaucoup dans cette ville, dans la manière de s’habiller, de bouger, d’occuper l’espace ».

* Art-O-RAMA est un salon d'art contemporain international produit par Fraeme

 

Tipping Point, exposition franco-belge d’artistes d’art contemporains, 3e e 4e étage de la Tour, jusqu’au 28 septembre.

Les mensonges du météorologue, exposition de Madison Bycroft, salle Panorama, 2e étage de la Tour, jusqu’au 16 novembre.

Viens avec moi, exposition des ateliers La Fosse et Les Rhizomes, salle des machines, jusqu’au 24 septembre.

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Viens avec moi, expo des ateliers La Fosse et Les Rhizomes. © Claraprat
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